N’AYONS PAS PEUR DES MOTS
Parallèle Sud accueille dans ses colonnes les critiques d’un dévoreur de phrases qui peut passer pour un sacré pinailleur.
Pierre qui roule. Qui chute. Qui s’écrase. Et qui, avec la complicité de quelques une de ses consœurs, finit invariablement par pourrir la vie des automobilistes réunionnais. De vous, donc. De moi aussi, parfois. Les événements récents survenus sur l’ancienne route du littoral et sur celle de Salazie me conduisent à évoquer les deux frères ennemis de la langue française que sont « éboulement » et « éboulis ». Sachez que j’ai toujours défendu, que je défends et que je défendrai toujours l’idée que les deux ne sont pas rocher blanc et blanc rocher. Dans un souci de clarté, je préfère ainsi parler d’« éboulement » pour désigner l’action de s’ébouler (la chute de pierres) et réserver « éboulis » au résultat de ladite action (le tas de roches jonchant le sol à la suite de l’éboulement). À chacun son rôle ! Et sur le sujet, je l’avoue, j’ai la tête dure comme du caillou.
Loin de moi l’idée de condamner ceux qui emploient indistinctement les deux mots au sens de « amas de matériaux éboulés ». J’aurais d’autant plus mauvaise grâce à le faire que tous les ouvrages de référence, à commencer par le trio Larousse-Robert-Littré, ont validé cette synonymie. Tous, en revanche, ont rechigné à suivre l’audacieux pas de l’Académie, quand cette dernière a cru bon faire d’« éboulis » une « chute de pierres qui s’éboulent », acception autrefois réservée au seul « éboulement », ainsi que la vieille dame du quai Conti le mentionnait elle-même dans la 8e édition de son dictionnaire. Même s’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, inutile de dire que le glissement de terrain sémantique n’a pas fait que des heureux parmi les spécialistes de la langue.
En résumé, s’il vous est donc loisible de dire, au choix, qu’un « éboulis » ou un « éboulement » a obstrué la route de Salazie », je vous invite à éviter l’emploi de tournures telles que : « Un éboulis s’est produit, ce mardi 2 janvier, sur la Route de Cilaos. » Quitte à jeter un pavé dans la mare de nos chers Académiciens.
K.Pello
Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots