Avec seulement 8 % de licenciées sur l’île, le football féminin peine à s’imposer face aux stéréotypes et aux inégalités persistantes. Pourtant, de plus en plus de jeunes filles s’engagent sur les terrains, portées par une passion croissante et le désir de faire évoluer les mentalités.
Il est 15 heures sur le terrain de football de Pierrefonds. Le soleil brille. Une à une, les joueuses arrivent, crampons fourrés dans un sac de sport usé, cheveux attachés à la va-vite pour certaines, soigneusement coiffés pour d’autres, comme un clin d’œil à leur féminité. Les rires fusent, l’ambiance est légère, les corps commencent à s’échauffer. Elles ont entre 14 et 16 ans et composent l’équipe U16 de la Jeunesse Sportive Saint-Pierroise (JSSP), pilier du football réunionnais. Longtemps réservé aux garçons, le club ouvre aujourd’hui ses portes aux filles. Non par obligation, ni pour faire bonne figure. Mais parce qu’elles ont leur place. Parce qu’elles la méritent.
Un jeu plus fluide, plus collectif
Dans l’équipe, les profils sont multiples. À 15 ans, Norah Gilbert a déjà une vision claire du football féminin, de ses codes et de ses obstacles. Numéro 10 de formation, elle a porté plusieurs maillots, mais c’est à Saint-Pierre qu’elle veut s’imposer durablement. « On dit souvent que le foot féminin est lent ou moins bon, mais en réalité, c’est un jeu plus fluide, plus collectif », affirme-t-elle. Elle précise « On mise moins sur l’individualisme, et davantage sur la construction du jeu. »
Un peu plus loin, Kenza Ivoula. Elle aussi a 15 ans. Elle est arrivée dans le club de la capitale du Sud en 2023, après avoir « longtemps joué dehors avec ses amis », sans jamais voir le football comme une affaire de genre. « Pour moi, c’était juste normal », dit-elle. Polyvalente et sérieuse, elle s’est vite fait une place dans l’équipe. Elle ne parle pas encore de carrière, ni d’ambitions précises. Elle se laisse guider par son plaisir simple : jouer au ballon rond.
Dans les cages, Elena Myrtho enchaîne les plongeons et les prises de balle. Son entrée dans le football relève du hasard. Venue accompagner sa meilleure amie à un entraînement, elle a décidé de tenter sa chance et ne l’a plus quittée. Une blessure au genou a bien failli la stopper, mais sa détermination a eu raison de cet obstacle. Aujourd’hui, elle ambitionne de devenir gardienne. Mais lorsqu’elle se projette dans l’avenir, c’est le métier de sage-femme qui la fait rêver.
Un encadrement bienveillant
Sur le terrain, c’est la voix de Fulbert Yoni qui domine. Entraîneur des U16 depuis plus de cinq ans, il connaît bien le football à La Réunion, masculin comme féminin. Ce qui lui saute aux yeux chez ces jeunes filles, c’est leur approche du jeu « Les filles sont plus collectives, plus rigoureuses. Elles cherchent à comprendre le jeu », souligne-t-il. Pour lui, l’intelligence tactique et le sérieux sont des marqueurs forts de leur engagement sur le terrain. Mais il tient à tempérer « Ce n’est pas une question de comparer les genres, mais de mettre en avant les forces de chacun. L’essentiel, c’est que tout le monde progresse, s’épanouisse et prenne du plaisir, peu importe le profil. »
Au bord du terrain, Laetitia Logeart suit l’équipe avec attention. C’est sa première saison en tant que dirigeante. La mère de famille prend ce rôle très à cœur. Pour elle, il ne s’agit pas seulement d’organiser les entraînements ou les matchs, mais surtout de créer un environnement où les filles peuvent évoluer en toute confiance. « Mon rôle, c’est d’être présente pour les rassurer, de leur offrir une écoute attentive, d’être une épaule sur laquelle elles peuvent s’appuyer quand elles ont des doutes », confie-t-elle consciente que l’encadrement dépasse largement les 90 minutes sur le terrain.
Une approche différente du football
À quelques mètres de la ligne de touche, Abdellah Akki, membre de la présidence de la JSSP, suit la séance avec un œil attentif et bienveillant. Il connaît chaque joueuse, leurs parcours, leurs doutes, leurs ambitions. Pour lui, leur présence sur le terrain va bien au-delà de la simple pratique sportive. « Leur approche du football est différente avec moins de force brute, plus de rigueur, plus de structure », observe-t-il.
Selon lui, la différence entre garçons et filles ne se limite pas au physique. Elle réside aussi dans leur manière d’envisager l’avenir. « Les garçons foncent, parfois sans filet. Les filles, elles, sont plus carriéristes, elles réfléchissent. Elles pensent à leurs études, à leur vie future. Le foot est important, mais il fait partie d’un tout. »
Et pour faire grandir ce potentiel, Abdellah en est certain, tout commence dès le plus jeune âge « Si on leur donnait les mêmes chances dès cinq ans, je vous assurerais qu’on aurait déjà formé beaucoup plus de joueuses exceptionnelles sur l’île de La Réunion. »
À quelques mètres, les plus jeunes s’échauffent, prêtes à prendre la relève. Marion Payet, 10 ans à peine, est déjà qualifiée de « prodige » par ses entraîneurs. Milieu axial, elle aime s’emparer du ballon, imposer son rythme et orchestrer le jeu. Depuis toujours, elle vit le foot comme une évidence. « Dès que je joue, je me sens bien, libre et moi-même. J’adore ça, c’est comme si le foot était fait pour moi », glisse-t-elle en enchaînant quelques jongles.
Près des gradins, sa grand-mère Vivienne Payet est là, fidèle au poste, boîte d’eau fraîche en main, prête à encourager sa petite fille. Elle est assise à côté de parentes venues aussi encourager leurs enfants. « J’habite tout près, alors je viens dès que je peux. Ces filles ont besoin de soutien, surtout quand on sait que le football féminin peine à faire sa place dans la société », précise Vivienne.
À la fin de l’entraînement, les filles quittent le terrain, crampons couverts de poussière, mais regards tournés vers l’avenir. Car ici, à Saint-Pierre, le football féminin ne demande pas la permission : il avance, pas à pas, vers la reconnaissance qu’il mérite.
Nafida Abdillah
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