Aucune centrale nucléaire ne fournit d’électricité dans notre île. Pourtant, les Réunionnais, comme tous les Français, contribuent au financement de cette filière. Une situation paradoxale, qui interroge sur la justice énergétique et sur les modèles possibles pour un territoire insulaire en quête d’autonomie.
Une taxe nationale pour une énergie absente
Sur chaque facture EDF, les usagers paient une série de taxes. Parmi elles, l’accise sur l’électricité (anciennement CSPE) représente environ 13 à 16 % du montant total. Cette taxe finance le service public de l’énergie comme le soutien aux énergies renouvelables, les tarifs sociaux, mais aussi stabilité du tarif réglementé.
Ce système de « solidarité tarifaire » permet aux usagers des départements d’Outre-mer de bénéficier des mêmes tarifs que ceux pratiqués dans l’Hexagone, même si le coût réel de production est bien plus élevé localement. À La Réunion, où le réseau est isolé, le coût moyen de production est estimé entre 180 et 250 €/MWh. En comparaison, l’électricité d’origine nucléaire coûte autour de 60 à 70 €/MWh, selon la Commission de régulation de l’énergie (sans inclure les coûts de démantèlement des centrales).
« Il n’y a pas de centrales nucléaires à La Réunion, pourtant nos factures continuent d’en financer le fonctionnement : c’est ce que l’on appelle la solidarité tarifaire nationale », résume un ingénieur de l’ADEME Réunion.
Une dépendance tarifaire à double sens
Les Réunionnais pourraient alors se demander : si nous ne consommons pas d’électricité nucléaire, pourquoi continuer à la financer ?
Mais l’inverse est tout aussi vrai : sans cette solidarité, les factures locales exploseraient. Le système tarifaire national permet à l’île de payer un prix artificiellement bas, compensé par des taxes nationales payées par tous — y compris les métropolitains qui, eux, consomment du nucléaire bon marché.
Ainsi, refuser de contribuer au nucléaire reviendrait à renoncer à ce mécanisme de péréquation. Et donc à payer le prix réel de l’électricité locale. À l’heure actuelle, ce prix serait 30 à 100 % plus élevé que les tarifs en vigueur, selon les scénarios étudiés par l’ADEME et EDF SEI.
Une alternative crédible : le 100 % renouvelable local
Plutôt que de continuer à dépendre d’un modèle énergétique centralisé et carboné, plusieurs études proposent une autre voie pour La Réunion : celle de l’autonomie.
L’ADEME, Reuniwatt, ou encore la Région ont publié des scénarios de transition vers un mix 100 % renouvelable d’ici 2030, reposant sur :
- du solaire photovoltaïque (31 %),
- de l’hydroélectricité (27 %),
- de la biomasse, du biogaz, et de l’éolien,
- et un important système de stockage (batteries, stations de transfert d’énergie par pompage).
Selon Reuniwatt, ce modèle permettrait une production à ~99 €/MWh, tout en garantissant une fiabilité du réseau et une baisse drastique des émissions de CO₂. Il ne s’agirait donc pas seulement d’un choix écologique, mais aussi économique et stratégique pour l’île. Depuis 2024, la conversion des centrales d’EDF et d’Albioma à la biomasse a marginalisé l’utilisation de fioul et du charbon. Cependant, des installations fonctionnant au Gasoil Non Routier (GNR) sont utilisées pour la gestion de la pointe journalière de consommation et comme moyen de secours en cas d’aléas sur le système électrique.
« L’autonomie énergétique est techniquement possible et même souhaitable. Elle permettrait de relocaliser les investissements, de sécuriser les approvisionnements et de créer de l’emploi localement », défend un chercheur du laboratoire PIMENT (Université de La Réunion).
Le moment de choisir notre modèle
Aujourd’hui, la contradiction est flagrante : les Réunionnais financent une énergie qu’ils ne consomment pas, pendant que le territoire importe des pellets et subit les aléas climatiques. L’autonomie énergétique, si elle devient une priorité collective, suppose des choix politiques forts : réorienter les aides, soutenir l’innovation locale, et sortir d’un système où La Réunion reste en bout de ligne.
« La Réunion n’a pas besoin du nucléaire pour s’éclairer. Elle a besoin d’un projet de société où chaque kilowatt-heure produit ici profite vraiment à ses habitants », résume une militante écologiste.
Un autre modèle est possible et existe déjà sur le papier. Rêve ou future réalité ?
Jean Fauconnet
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