À l’architecte de la « Maison de la mer »

LIBRE EXPRESSION

À monsieur Laurent Perrin, Architecte de la « Maison de la mer » à Saint-Leu.


Monsieur Perrin, je vous remercie pour le temps que vous prenez à parcourir ces lignes dans le contexte de la très controversée « Maison de la mer ». Vous avez certainement été mis au courant de la forte résistance citoyenne qui s’organise autour de ce projet : c’est une pétition de plusieurs milliers de signatures qui a été réalisée par le collectif « SOS DPM 974 » sans compter la levée de boucliers des organisations environnementales et les usagers du port de Saint-Leu.Je ne souhaite aujourd’hui pas particulièrement m’adresser à l’architecte, mais plus profondément à l’être humain, au possible père, au frère habitant de notre magnifique île dont nous ne sommes que les passagers éphémères pour le temps de notre vie.

Nous partageons vous et moi, chacun à notre manière, la responsabilité de poser pour celles et ceux qui nous succéderont, notre pierre au futur désirable que nous souhaitons manifester.Je souhaite dans un premier temps vous exprimer ma sincère compassion et mon soutien, car il me semble que les architectes sont malheureusement tributaires de la commande publique et n’ont que peu ou pas d’influence sur la vision, l’idéologie et les programmes des commandes et des concours qui leur sont soumis.

À ce titre, je vous remercie de la sensibilité dont vous avez fait preuve dans ce projet afin d’assurer la continuité de la déambulation piétonne tout en essayant de dégager un maximum d’espace non clôt / couvert. Cependant, depuis quelques années nous assistons à un véritable effondrement démocratique de la nécessaire consultation citoyenne qui doit précéder les grands projets d’aménagement : Nouvelle Route du Littoral, Jardins de Manapany pour ne citer qu’eux… Ces pratiques décisionnelles effectuées à huit clos issues d’un âge dépassé ne cessent de renforcer le fossé qui se creuse entre le peuple, les experts et les décideurs tout en exaltant les tensions identitaires bien souvent au détriment du fragile écosystème réunionnais, de son littoral de plus en plus spolié par le marché immobilier et d’un vivre ensemble autrefois fierté de la Réunion qui ne cesse de se dégrader.

Il semble que la logique économique et politique prime encore sur l’intérêt général, à l’heure où l’urgence climatique nous demande de transformer profondément nos modes de vie et surtout nos modes de gouvernance. Les citoyens demandent, il me semble à juste titre, plus de démocratie et des politiques adaptées aux besoins réels de la population et du contexte environnemental.

C’est dans ce contexte que je vous prie Monsieur Perrin d’alerter votre maître d’ouvrage et les pouvoirs publics sur l’importance de reconsidérer ce projet dans l’état actuel afin d’y inclure les besoins réels des usagers et de ne pas imposer aux Réunionnais un chantier aussi contesté. Les expériences à l’étranger démontrent largement les bénéfices d’une démarche participative incluant décideurs, usagers et experts avec l’instauration d’ateliers de design participatif, la collecte de données et d’idées via des questionnaires, ainsi que des présentations du projet et des consultations citoyennes à chaque étape clé.

Nous ne pouvons imaginer co-construire La Réunion de demain sans s’assurer que les projets d’aménagement répondent aux besoins réels de la population, comment favoriser l’acceptabilité sociale sans une remise en question honnête et sincère de la façon dont sont prises les décisions ? Monsieur Perrin, je crois que comme nous tous, vous avez à cœur de protéger notre île et ces derniers espaces encore épargnés, son littoral, ses montagnes, ses rivières, sa savane qui rendent notre vie ici si poétique. Je suis certain que vous avez envie d’offrir à vos enfants, à votre famille, à vos amis la même qualité de vie et ce lien si particulier à la nature qui fait de nous des Réunionnais.

Je vous encourage donc si ces mots résonnent avec vous, à rejoindre les citoyens qui s’opposent à ce projet dans son état actuel pour demander qu’il soit reconsidéré, retravaillé en y intégrant une démarche participative pour une démocratie plus ouverte, qui protège le littoral et respecte le retrait des 50 pas.

Ce projet n’est pas nécessairement complètement « mauvais » et ne doit pas forcément être complètement « mis au placard », il doit simplement s’interroger et se remettre en question, se relocaliser, intégrer « l’esprit du lieu » et la dimension citoyenne primordiale s’il souhaite mieux s’intégrer dans le paysage et dans l’imaginaire réunionnais.

Avec mes profonds respects, en vous remerciant encore d’avoir pris le temps de lire ces lignes.

Ps : Je serais heureux si vous le souhaitez de recevoir votre réponse au N°68 Chemin de la Glacière 97 423 Le Guillaume Saint-Paul. Vous pouvez également m’écrire par mail contactdavidlao@gmail.comAvec gratitude.

David Lao, écrivain et poète réunionnais

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