champignonnière, champignons

[Agriculture] La concurrence féroce de LM sur le marché des champignons

TEMOIGNAGE

Dans un contexte où les marchés des fruits et légumes à La Réunion sont dans une dynamique de concentration aux mains de grosses entreprises, les petits producteurs pestent. Peu sont prêts à parler. Certains osent, comme c’est le cas de Patrick Kergoat, qui a fondé la EARL Endives Réunion en 1997. Dans cet article, il partage pour la première fois son expérience dans la production d’endives et de champignons à La Réunion et sa confrontation à la société LM.

Patrick Kergoat, 58 ans, est originaire de Bretagne, dans le Finistère Nord. Il est né dans une ferme au sein d’une famille d’agriculteurs où l’on produisait principalement de la pomme de terre et du lait. “La production d’endives, je la connaissais un peu de voisins en métropole”, se souvient-il. Après cinq ans en tant qu’analyste programmeur à Paris, il débarque à La Réunion au début des années 90.

Il décide à cette époque de se lancer dans la production d’endives, qui n’existe pas encore à La Réunion. Pour démarrer son activité, il obtient le soutien de l’Europe via le fonds Feoga (Fonds européen d’orientation et de garantie agricole), qui deviendra en 2007 le fonds Feader (Fonds européen agricole pour le développement rural).

“Le problème c’est l’accès à la connaissance technique”

L’objet du mécontentement dont il est question dans cet article survient des années plus tard, lorsqu’en 2013 il décide de développer une nouvelle activité, la production de champignons de Paris. A l’époque, un autre agriculteur produit déjà des champignons dans les hauts de l’ouest mais il s’agit de pleurotes. Considérant les prix à l’importation des champignons de Paris, Patrick Kergoat, pourtant novice en la matière, réalise qu’il existe un marché.

La production de champignons est assez technique et sensible, elle nécessite également un certain niveau d’investissement en matériel qui n’est pas accessible à tous. “Une unité de production coûte a minima 100 000 euros”, précise un acteur du monde agricole. “On ne lance pas une production avec un investissement de 20 000 euros. Mais surtout, le problème, c’est l’accès à la connaissance technique. Sur le territoire, peu d’acteurs détiennent ces compétences, ce sont des privés et ils ne font pas de formation.”

Patrick Kergoat s’entoure de partenaires extérieurs au territoire pour l’accompagner et le former. Il monte un dossier pour l’obtention du Feader. Il évalue son projet à 1,5 million d’euros et demande 600 000 euros d’aide. “L’instructeur de la Daaf (Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt) de l’époque m’avait dans le pif, il m’a demandé de valider mes essais auprès de l’Inra en métropole alors que pourtant à La Réunion, il y a l’arméflhor, le Cirad, qui possèdent les connaissances techniques. La procédure d’instruction de mon dossier a duré deux ans. Et puis, finalement, il a été refusé.”

“4 tonnes par semaine”

L’agriculteur ne se laisse pas abattre, il se débrouille pour trouver par lui-même les ressources financières dont il a besoin et met sur pied son projet. La production de champignons de Paris débute à la fin de l’année 2016. “J’ai dû redimensionner le projet, je l’ai pensé avec les mêmes capacités de production mais moins automatisé. Je suis parti en chine acheter du matériel, j’ai même fabriqué du matériel moi-même.”

“A partir de là, j’avais 100% du marché soit 4 tonnes par semaine”, indique-t-il. L’activité fonctionne bien, les prix qu’il pratique étant bien plus attractifs que ceux des produits importés, il développe son entreprise, embauche de nouveaux salariés. “A cette époque, on faisait 150 tonnes d’endives par an et 180/200 tonnes de champignons par an”, précise le gérant d’Endives Réunion.

En 2017, un concurrent se présente sur le marché. Quatre producteurs s’associent pour lancer leur activité d’endives à Saint-André, ils créent la SCEA Mycopal. Rapidement, un nouvel associé, de poids, intègre l’entreprise : la société LM. Connue pour la distribution de fruits et légumes, mais aussi pour l’import, la commercialisation en grandes surfaces via des concessions (les stands des fruits et légumes), la société apparaît aussi petit à petit au sein d’entreprises de production. La société LM se retrouve en réalité à tous les niveaux de la chaîne des fruits et légumes.

“Mycopal voulait prendre le marché”

Dans Parallèle Sud, nous avons eu l’occasion de raconter la descente aux enfers de la famille Lebon. La Cour de Cassation a tranché en mai 2024, les juges suprêmes reconnaissant que l’agriculteur tamponnais, associé à LM mais néanmoins censé être à la tête de la SCEA du Bras de la Plaine créée en 2018, Olivier Lebon, n’était en réalité que le gérant de paille de la société LM. La Cour de Cassation estimait ainsi que la société LM avait dans les faits tenu le rôle d’employeur, une décision qui fait jurisprudence et pose un regard nouveau sur le modèle agricole coopératif à La Réunion.

Il n’est pas question ici d’affirmer qu’il s’est passé la même chose avec la SCEA Mycopal. Trois associés du départ ont certes quitté le navire, cependant, aucune procédure judiciaire n’a été enclenchée par la suite. Dans le milieu, on parle spontanément à l’oral de la SCEA Mycopal comme de “LM”, considérant implicitement qu’il s’agit d’une énième filiale. Dans les faits, les deux associés restants sont la société LM et Côme Damour, également président de la Sica TR, l’organisation de producteurs dans laquelle LM est également actionnaire.

Mais revenons un peu en arrière. En 2020, la SCEA Mycopal décide de se lancer dans la production de champignons de Paris, au grand dam de Patrick Kergoat. Avec l’apport de la société LM, elle dispose de moyens conséquents permettant de débloquer les lourds investissements qu’implique la production de champignons. Un bâtiment est construit. Malheureusement, la période n’est pas bonne. Avec le Covid, les coûts du fret explosent, impliquant une forte augmentation des charges liées à l’importation de la matière première nécessaire (mycélium, substrat…). Ces événements auraient poussé la société LM à demander à ses associés de mettre la main à la poche ce qui aurait entraîné progressivement leurs départs.

“Être en situation de monopole n’est jamais bon”

“Mycopal voulait prendre le marché et déstabiliser ma production”, affirme le gérant agricole Patrick Kergoat. “Le marché du champignon est lucratif”, confirme un interlocuteur bien au fait de la situation des marchés agricoles de l’île. “Être en situation de monopole n’est jamais bon pour personne”, défend pour sa part Serge Hoareau, premier vice-président du Département, en charge de l’agriculture.

“Sur un si petit marché, mettre deux producteurs, c’est ridicule”

Patrick Kergoat, gérant de la EARL Endives Réunion

Quoi qu’il en soit, c’est l’obtention par la SCEA Mycopal de 2,2 millions d’euros de subventions du fonds Feader – une aide aux investissements de lancement de la production – qui met particulièrement en rogne Patrick Kergoat. “Que LM cherche à détruire les producteurs locaux, soit, mais qu’il le fasse au moins loyalement, pas en touchant 2,2 millions de subventions alors que moi, je n’en ai pas eues et j’étais là avant eux. Surtout que, sur un si petit marché, mettre deux producteurs, c’est ridicule.”

Jusqu’en 2021, la Daaf était le service instructeur, mais sous la responsabilité d’une autorité de gestion, le Département, en ce qui concerne les aides Feader. “A partir du moment ou quelqu’un fait la demande de subvention, il répond aux critères, il obtient la subvention”, met en avant Serge Hoareau, l’élu du Département, insistant sur le fait que lui-même ne siège pas au comité technique d’attribution des fonds Feader et que de toute façon, il n’était pas élu en 2013. “Moi, je n’ai jamais vu de dossier de demande de subventions de ce M. Après, il y a un concurrent qui s’installe, il y a un concurrent qui s’installe, point. Je n’ai pas d’avis à donner là-dessus.”

“Les deux dossiers dépendent de deux programmes Feader différents”

Patrick Kergoat assure que son dossier répondait à toutes les attentes et, même s’il ne comprend pas, il affirme continuer sa route sereinement. De son côté, la Préfecture – représentant la Daaf – que nous avons interrogée note également que “les deux dossiers en question, espacés de 7 ans, relèvent de 2 programmes différents, avec 2 règlements de développement rural européen différents, des cadres d’interventions différents, des budgets différents et des gouvernances différentes.”

Si à la Chambre d’agriculture, on estime que le marché des champignons peut encore accueillir des producteurs, Patrick Kergoat conteste fermement. “La vente dépend du prix du produit, pas de la quantité que l’on met sur le marché”, ajoute le professionnel. “Aujourd’hui, on commercialise une centaine de tonnes de champignons. Les endives c’est à peu près pareil, dans les 80 tonnes. Alors qu’on était jusqu’à 20 personnes dans l’entreprise, on a dû licencier la moitié de l’effectif.”

“Mycopal vend ses champignons à un prix plus élevé”

Par ailleurs, de plus en plus omniprésente dans les grandes et moyennes surfaces de l’île, la société LM concession, via le développement de ses concessions, fait barrage aux petits producteurs qui doivent trouver d’autres débouchés pour la vente. “Mais les gros volumes se vendent en supermarché”, souligne Patrick Kergoat. “Le problème de l’endive et des champignons, c’est qu’il faut du frais pour les conserver. Au marché, si c’est resté à l’air libre, le lendemain on peut jeter. Et la réalité, c’est que Mycopal vend ses champignons à un prix plus élevé que le nôtre.”

La réponse en chiffres de la Préfecture

“S’agissant des productions de champignons toute espèces confondues à La Réunion, les éléments dont nous disposons, issus des tonnages produits par les entreprises qui bénéficient des aides POSEI*, sont les suivants :
• 2020 : 320 tonnes ;
• 2021 : 414 tonnes ;
• 2022 : 721 tonnes.

Avec la mise en place de l’unité de production de Mycopal, la production a augmenté en effet, cela est en concordance avec les objectifs du plan de souveraineté alimentaire porté par l’Etat.

Les montants de l’aide POSEI à la commercialisation locale des productions locales sont les suivants :
• 400 euros / tonne pour le conventionnel ;
• 480 euros / tonne pour le label CE2 ;
• 520 euros / tonne pour le label HVE (depuis 2024, pas de demande faite encore) ;
• 600 euros / tonne pour le label BIO.

Nous ne pouvons pas donner les montant demandés par entreprise, ce sont des données individuelles confidentielles. Globalement les montants d’aides POSEI demandés sont pour La Réunion :
• En 2020 : 153 614 euros ;
• En 2021 : 200 459 euros ;
• En 2022 : 376 233 euros.”

*Ndlr : Les aides POSEI sont des aides européennes destinées à soutenir la production agricole dans les territoires d’outremer. Elles sont attribuées en fonction de la production. Elles sont gérées et contrôlées par l’Odéadom.

Jéromine Santo-Gammaire

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.

PARALLELE SUD

GRATUIT
VOIR