[Agriculture] Un maraîcher reconnu « salarié » de LM Distribution

COUR DE CASSATION

La Cour de cassation vient de reconnaître définitivement le géant local des fruits et légumes, LM Distribution, comme le patron d’un maraîcher qui n’était en fait que le « gérant de paille » de sa société. Une décision lourde de conséquences car elle fait jurisprudence dans le système coopératif agricole réunionnais.

LM Distribution est le premier opérateur réunionnais dans le secteur des fruits et légumes.

La décision de la Cour de cassation du 22 mai dernier dans l’affaire qui opposait la société LM Distribution à un petit agriculteur tamponnais éclaire d’une lumière nouvelle le système agricole coopératif. Les juges suprêmes confirment en effet que l’exploitant censé être à la tête de sa SCEA (Société civile d’exploitation agricole) est en fait sous les ordres de patrons qui tiennent le marché des fruits et légumes d’une main de fer.

Parallèle Sud a annoncé l’an dernier que le conseil des prud’hommes de Saint-Pierre avait jugé que LM Distribution était le gérant de fait de l’exploitation d’un agriculteur tamponnais et que celui-ci devait être considéré comme son salarié et non comme son associé. Face aux conséquences potentielles d’un tel jugement, LM s’était pourvu en cassation. En effet, l’histoire douloureuse, subie par Olivier Lebon, résonne avec celles de nombreux exploitants engagés dans le modèle agricole coopératif de La Réunion.

Rappel des faits : En février 2018, LM Distribution, société qui détient un quasi-monopole sur la distribution de fruits et légumes dans les grandes surfaces de La Réunion, proposait à Olivier Lebon, un maraîcher tamponnais, de s’associer à elle pour exploiter une quinzaine d’hectares au lieu de 2 ha. L’agriculteur était affilié à la Sica TR, société coopérative dont LM est également actionnaire.

Création en 2018, faillite en 2020

Pour développer la production, il a fallu recruter une dizaine d’ouvriers. Puis la société SCEA du Bras de la Plaine a été créée en juillet 2018 avec le maraîcher tamponnais comme actionnaire majoritaire (51%) car la loi interdit à une société commerciale de signer des baux et d’exploiter des terrains agricoles sans s’associer à un agriculteur. LM distribution apportait quant à elle la puissance de feu pour entreprendre les lourds investissements nécessaires et solliciter des subventions européennes.

LM distribue les production de la Sica TR dans les hypermarchés.

Deux ans plus tard, la société a fait faillite. Face aux ouvriers en colère, le maraîcher n’a eu d’autre solution que de déclarer la société en cessation de paiement. Elle a été liquidée le 9 juin 2020 par le tribunal de commerce de Saint-Pierre. Il apparaît alors que l’agriculteur n’a jamais eu la main sur sa société et que c’était son imposant associé qui décidait de tout.

L’agriculteur, sur lequel pèse la menace des créances accumulées par la SCEA, se bat pour faire reconnaître son statut de salarié devant le conseil des prud’hommes. LM Distribution se défend en demandant au contraire que les prud’hommes se déclarent incompétents.

Un « gérant de paille »

Le 7 décembre 2021, le conseil des prud’hommes de Saint-Pierre a rejeté cette « exception d’incompétence » soulevée par LM. Il a jugé qu’Olivier Lebon n’avait aucun pouvoir dans la Société du Bras de la Plaine. Malgré ses 51% de part, il est désigné par les magistrats comme « un gérant de paille » et considéré comme un salarié de LM Distribution.

Le 19 mai 2022, la chambre sociale de la Cour d’appel de Saint-Denis confirme le jugement de première instance. Le jugement s’appuie sur de nombreux messages montrant que la direction de LM adressait constamment des directives et des rappels à l’ordre à l’agriculteur, tant pour les actes techniques, que pour la gestion de l’équipe des travailleurs. En contrepartie il était rémunéré mensuellement en espèces à hauteur de 2 000 € avant la constitution des la SCEA et 2 500 € après. La relation de subordination en contrepartie d’une rémunération caractérise l’existence d’un contrat de travail, selon les juges.

Suite à ces deux jugements consécutifs en sa défaveur, LM s’est pourvue en cassation. L’affaire a été examinée le 23 avril 2024 et la décision rendue le 22 mai dernier. LM a essayé en vain de faire requalifier ses ordres en simples « recommandations sans caractère impératif ». Mais les juges de la cassation n’y ont pas été sensibles et ont eux aussi constaté que le pouvoir de direction, de contrôle et de sanction était entre les mains de LM. Ils ont donc rejeté le pourvoi.

Décision révolutionnaire

Ce qui rend définitive la reconnaissance du lien de subordination entre LM Distribution et le petit maraîcher tamponnais.

Pour ce dernier, l’affaire est loin d’être terminée puisqu’elle sera examinée dans les prochaines semaines (ou mois) par le Conseil des prud’hommes sur le fond. Son statut désormais reconnu de salarié pèsera également dans la procédure au tribunal de commerce.

Pour l’ensemble des agriculteurs réunionnais, cette jurisprudence de la Cour de Cassation pourrait bien révolutionner leurs relations avec les grosses coopératives et leurs opérateurs commerciaux.

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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