inceste, pédophilie

[Analyse] Inceste… vous avez dit commission indépendante ?

COMMENT ON A DÉMANTELÉ LA COMMISSION INDÉPENDANTE DE LUTTE CONTRE L’INCESTE ET VIRÉ SON PRÉSIDENT

Les personnes qui me connaissent savent que je porte sur les institutions et les instances publiques de toute nature et de toute dénomination qui envahissent nos vies un regard pour le moins attentif. D’abord, justement, à cause de leur prolifération, dont on n’a plus besoin de se demander quel rôle elle joue dans l’irresponsabilité individuelle généralisée. Ce n’est pas la seule raison. La bureaucratie tracassière, oppressive et souvent même dysfonctionnelle qui accompagne généralement leurs activités, contribue à un rejet, évidemment pas frontal, c’est impossible, mais d’autant plus pesant qu’il concourt en misouk à leur enlisement. Et surtout, dans la sphère sociale où elles ont à assumer leurs missions élémentaires de service public, trop d’entre elles, loin de pouvoir en assurer la réalisation, se déchargent de leurs responsabilités, en subventionnant, de façon systématiquement insuffisante, des associations auxquelles elles délèguent et sous-traitent ce qui relève de leur champ de compétences…

Il faut dire que de plus, pour entraîner la suspicion, certaines y mettent du leur : absence de respect de leur propres valeurs pourtant affichées au fronton de leurs déclarations. On peut parler ici par exemple, selon les cas bien sûr, de ce qui touche, entre autres manquement, à la considération à l’égard des individus, à la justice, à l’équité, à la tolérance, à la responsabilité, à l’exemplarité…

La rencontre organisée à l’université du Moufia, le 27 juin 2023, autour des travaux de la CIIVISE et celle qui a suivi à Saint-Pierre, dans le but de (…) « recueillir (ici à La Réunion) les témoignages de personnes majeures ayant été victimes dans leur minorité de violences sexuelles, afin de formuler des préconisations pour mieux protéger les enfants. » sont venues largement bousculer ma méfiance institutionnelle… Parce que, dans ce domaine, où seules les personnes devraient véritablement entraîner nos adhésions, un homme, responsable de la coordination de cette expression publique ne pouvait que focaliser l’attention de tous les participants… J’ai été saisi par le comportement de cet homme, le juge des enfants Edouard Durand, co-président de la CIIVISE, remarquable de sobriété, d’autorité et d’équilibre, d’attention, d’écoute des témoignages exprimés, d’empathie, de rayonnement en fait… sur un amphithéâtre universitaire saisi par une émotion d’une intensité dense, mais jamais dévastatrice ou débordante… Et sans la moindre démagogie ! Avec beaucoup d’autres, je suis ressorti bouleversé intérieurement par ce que j’avais entendu.

Comme toujours en pareille circonstance je me suis ensuite plongé dans la recherche d’informations. Je résume :

  • La CIIVISE, c’est l’acronyme de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Créée en mars 2021 dans le sillage de l’onde de choc des révélations du livre « La Familia grande », de Camille Kouchner, qui accusait Olivier Duhamel de viols sur son frère jumeau. On ne soulignera jamais assez la caractéristique clairement et officiellement « indépendante » de cette instance.

  • Il faut savoir qu’un enfant est victime d’agressions sexuelles toutes les trois minutes en France.
    Crime de masse banalisé et parfaitement méconnu du public : 160.000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année. Et La Réunion est loin d’être épargnée par cette abomination.
    Ainsi dans notre pays, leur nombre minimum est estimé à 6,7 millions. 30 000 témoignages ont été recueillis en 3 ans par les équipes de la CIIVSE. Leur analyse aboutit à 82 propositions pour lutter contre les violences sexuelles contre les enfants ! Et tout ceci, il faut le redire, dans le déni ou dans l’ignorance à peu près totale de la part de la population française…

  • Il y a deux co-présidents de la CIIVISE. Nathalie Mathieu, ancienne directrice d’une maison d’accueil de jeunes filles victimes d’inceste, agit en collaboration avec Edouard Durand.


Au cours de cette rencontre du 27 juin, seul s’exprimait le second. À son écoute et à mes yeux, un homme remarquable, notamment par sa capacité à fédérer une équipe de collaborateurs d’une qualité rare, (une vingtaine de personnes, professionnels et associatifs de la protection de l’enfance, témoins, anciennes victimes…) si j’en juge par exemple l’un d’entre eux, Arnaud Gallais, qui est revenu à La Réunion en décembre (cf. Le Quotidien de la Réunion – Mardi 12 décembre 2023), présenter de façon convaincante le rapport saisissant des trois années d’intervention de l’instance. On pouvait prendre connaissance dans le même numéro du Quotidien de l’interview tout à fait éclairante sur la situation réunionnaise de Frédéric Rousset, président du CEVIF – collectif pour l’élimination des violences intrafamiliales, qui a été un des artisans essentiels de l’accueil de la CIIVISE à La Réunion.

Je lis partout que le juge Edouard Durand a consacré sa vie professionnelle à un engagement inlassable pour la justice et l’humanité, à l’égard de toutes les victimes d’inceste et de pédocriminalité. Connu pour son indépendance et son franc-parler, on le considère incorruptible à tous points de vue. Il est dit que jamais il ne recule pour affirmer avec calme, pondération et clairvoyance, cette conviction élaborée comme le principe fondamental de la CIIVISE à l’égard de chacune des victimes rencontrées, celles d’aujourd’hui et celles devenues adultes : « Je te crois, je te protège ». On ajoute quasi unanimement que jamais il n’a craint de regarder les choses en face et de demander que tout le monde fasse pareil, de poser les questions dérangeantes et d’élever la voix contre les dérèglements des structures vouées à la protection des enfants contre les violences, notamment sexuelles, dont ils sont l’objet.

Pour beaucoup, cette liberté de pensée et d’action ont fait de lui un être unique et exceptionnel, tant il sait, dans son mode de coordination, réconcilier une empathie profonde avec une lucidité intellectuelle sans défaut et un fonctionnement institutionnel rigoureux ! Et je souscris pour ma part sans réserve à ces observations ! Mais surprenant ou pas, au fur et à mesure des données recueillies au cours de l’action menée par cette commission indépendante, on le pressentait plutôt mal considéré par le pouvoir, particulièrement en raison de la « mise en évidence et de la mise en cause fondamentale des dysfonctionnements du traitement judiciaire des violences sexuelles »…

J’ai pensé que 30 000 témoignages, recueillis en trois ans sur l’ensemble des territoires de la république, par cette équipe d’une vingtaine de personnes quasiment toutes militantes de la protection de l’enfance, ne pouvaient être considérés, officieusement bien entendu, que comme la flagrance du manque de prise en considération de ce fléau massif que sont l’inceste et les violences sexuelles sur les enfants. Et peut-être également une véritable provocation pour les institutions officielles et les pouvoirs dédiés, aiguisée par un rapport et une analyse de plus de 750 pages, avec cette synthèse remarquable de 33 pages, prolongée par ce programme de 82 préconisations essentielles…

À l’audition des témoignages et à la lecture de ses textes, je trouve remarquables la production et le fonctionnement auxquels parvenait cette instance, de façon aussi exemplaire dans un domaine d’une extrême délicatesse humaine, conjuguant à la fois une méthodologie stricte et une écoute toujours personnelle d’une empathie sidérante… Cette configuration me réconciliait en profondeur avec ces institutions, trop fréquemment accrochées à une communication bavarde et en réalité parfaitement inconsistante. À mes yeux, le gouvernement pouvait enfin se féliciter d’avoir promu une personnalité intègre et reconnue pour assumer un rôle difficile, et de plus saluée pour son indépendance rigoureuse, ainsi que sa lettre de mission le prescrivait à la Commission. Le mandat de la CIIVISE s’étendait sur une durée de trois ans. Au fur et à mesure que s’approchait la date d’échéance, la commission faisait l’objet, auprès des ministères, d’une demande de prolongement de sa mission, à la quasi unanimité des instances concernées, notamment de tous les acteurs associatifs de « France et de Navarre », constamment en première ligne en matière de pédocriminalité.

Hélas, le 11 décembre 2023, le juge Edouard Durand apprend, par la presse semble-t-il, qu’il est remercié pour son travail… et tout bonnement remplacé ! Voilà déjà qui reflète une grossièreté caractéristique de tous les abus de pouvoir. S’y ajoute l’absence radicale de la moindre
reconnaissance explicite à l’égard des milliers de témoignages recueillis, alors que les traumatismes qui accompagnent toutes les atteintes à la sexualité, surtout des enfants, avec ou sans imprescriptibilité, sont toujours d’une violence insoutenable qui accompagnera les victimes
jusqu’à leur mort. Je lis et relis à nouveau que la quasi-totalité des associations de protection de l‘enfance de l’hexagone et d’outre-mer ont soutenu jusqu’au bout le maintien de la CIIVISE et de son président. En vain. Pour ne pas déroger à sa réputation devenue exécrable, le pouvoir institutionnel a fonctionné en roue libre, sans lien avec la réalité des acteurs sociaux considérés… Première et préoccupante conséquence, les jours suivants, en signe de protestation, 11 membres sur 19 de l’équipe de la Commission présentent leur démission…

La question m’a préoccupé : Pour une fois que fonctionnait une instance de façon à la fois aussi humaine et efficace, plébiscitée par toutes les structures concernées, pour quelles raisons fallait-il la démanteler, virer son responsable, par ailleurs remarquablement considéré, attribuer (verbalement) à la Commission de nouvelles finalités… avec les habillages rhétoriques habituels
évidemment peu crédibles…

Là encore, je suis parti à la quête d’informations… À mi-décembre, il ne s’agissait pas pour moi ni pour le CEVIF, de nous précipiter sur cette décision douteuse provocatrice dans le microcosme considéré de la démission éloquente de la moitié de collaboratrices et collaborateurs éminents, militants responsables et engagés, ainsi que de multiples autres protestations… Dans l’immédiat, indépendamment du mauvais sort infligé de façon déshonorante, sur le fond et sur la forme, à Edouard Durand et à son équipe la plus proche, il ne semble guère possible d’imaginer les conséquences à terme de ce démantèlement abrupt.

Pour l’heure, j’ai en tout cas compris qu’un nombre conséquent d’associations dévouées à l’écoute des crimes d’inceste et des violences sexuelles infligées généralement aux enfants craignent la fin du « Je te crois, je te protège ». L’extension invoquée des missions assignées désormais à la commission « avec une feuille de route remaniée », ressemble plus, selon mon opinion, à une dispersion des finalités qui produisaient jusque ici l’efficacité spectaculaire obtenue en trois ans par l’équipe impliquée.

Selon la secrétaire d’Etat chargée de l’Enfance, Charlotte Caubel, « il faut maintenir l’élan qu’a lancé la Ciivise et continuer à avoir cette vigilance » sur « des enjeux complémentaires pour notre pays », bien « au-delà » de l’inceste. Langue de bois, éléments de langage convenus… circulez, on s’occupe de tout ! La rhétorique des mesures gouvernementales préconisant un plan de mesures contre les violences faites aux enfants, pas seulement sexuelles, parvient à nouveau à altérer et les objectifs et la méthodologie de ce qui faisait la performance même de la CIIVISE, saluée par tous ! Enfin, après des dizaines d’années de tergiversation, de déni, d’aliénation, d’insonorité et d’invisibilité, les victimes et anciennes victimes d’inceste commençaient à être écoutées, crues, soutenues, et protégées lorsqu’il en était encore temps… Terminé tout ça ?.

D’autant qu’Edouard Durand, le 12 décembre sur France-Info, a de quoi se défendre face aux reproches à peine masqués du discours gouvernemental : « …Je ne laisserai pas dire que nous ne sommes pas occupés de formations et des enfants victimes de prostitution, de pédocriminalité en ligne ou de toute autre violence sexuelle. Nous avons modélisé un parcours de soins et préconisé le repérage par le questionnement systématique. Nous avons toujours été dans l’action… » Il ajoute de façon significative : « Je suis en colère de recevoir tous ces messages des victimes qui disent : tout ça pour ça ? Il n’y a pas un mot pour nous ? Ce n’est pas une question de personne. Il y a un autre protagoniste, il y a l’agresseur et la victime et il y a la société qui doit renoncer à être spectatrice des violences sexuelles faites aux enfants… »

En tout cas, rapporté par le Figaro, le 15 décembre, « On a l’impression qu’on cherche à mettre un couvercle sur la libération de la parole que la CIIVISE a entraînée », estime Laurent Boyet, président et fondateur de l’association « Les Papillons », qui lutte pour libérer le plus tôt possible la parole des enfants victimes de violences, quelles qu’elles soient. « Nous craignons que cela marque un affaiblissement de la lutte contre l’inceste, qui n’est plus au cœur de la feuille de route de la CIIVISE »

N’est-on pas en train de dire aux victimes « ça va maintenant, on vous a suffisamment entendues… » ?

Et je tombe également mi-décembre sur un article du Canard Enchaîné, rédigé par Fanny RuzGuindos, qui semble éclairer les choses : Il s’agit du successeur désigné d’Edouard Durand, ancien rugbyman président de l’association du « Colosse aux pieds d’argile », businessman avéré, qui n’est sans doute pas en soi un « mauvais boug » ! C’est surtout un pote de la ministre des sports qui l’a décoré de l’Ordre national du Mérite et un obligé de la secrétaire d’Etat à l’enfance qui vient de le nommer… Ben, on peut comprendre ! Son association du « Colosse aux pieds d’argile » est financée à près de 50% par les ministères. Vous avez dit « commission indépendante » ?

En bref et selon ma lecture, on peut craindre légitimement que le bazar institutionnel habituel recommence…

Arnold Jaccoud

Chaque contribution publiée sur le média nous semble répondre aux critères élémentaires de respect des personnes et des communautés. Elle reflète l’opinion de son ou ses signataires, pas forcément celle du comité de lecture de Parallèle Sud.

A propos de l'auteur

Arnold Jaccoud | Reporter citoyen

« J’agis généralement dans le domaine de la psychologie sociale. Chercheur, intervenant de terrain, , formateur en matière de communication sociale, de ressources humaines et de processus collectifs, conférencier, j’ai toujours tenté de privilégier une approche systémique et transdisciplinaire du développement humain.

J’écris également des chroniques et des romans dédiés à l’observation des fonctionnements de notre société.

Conscient des frustrations éprouvées, pendant 3 dizaines d’années, dans mes tentatives de collaborer à de réelles transformations sociales, j’ai été contraint d’en prendre mon parti. « Lorsqu’on a la certitude de pouvoir changer les choses par l’engagement et l’action, on agit. Quand vient le moment de la prise de conscience et qu’on s’aperçoit de la vanité de tout ça, alors… on écrit des romans ».

Ce que je fais est évidemment dépourvu de toute prétention ! Les vers de Rostand me guident : » N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît – Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit – Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles – Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! » … « Bref, dédaignant d’être le lierre parasite – Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul – Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! » (Cyrano de Bergerac – Acte II – scène VIII) »
Arnold Jaccoud