[Archéologie] Les cavernes à remonter le temps

SUR LES TRACES DU VOLCAN

Perchée au sommet de la Fournaise, la caverne des Lataniers n’a pas encore livré tous ses secrets mais les fouilles archéologiques, qui y ont été organisées en 2017 et 2019, permettent de remonter le temps. Si les marons n’ont pas laissé de trace, en revanche une centaine de « cartes de visite » gravées dans la pierre racontent comment s’organisaient les expéditions des siècles passées.

Randonnée scientifique dans la caverne des Lataniers, puis la caverne de Cotte en compagnie de Nicole Crestey.

Bien cachées dans les recoins des plaines volcaniques, noyées sous la végétation, elles ont quelques choses de magique. Les scientifiques et passionnés qui les fréquentent les dévoilent aujourd’hui sous le nom de « cavernes volcan ». Elles s’appellent caverne des Lataniers, caverne de Cotte (Kotte?), caverne Lépinay, caverne voleur… selon l’histoire que la tradition orale leur a donnée.

À chaque fois, il est question de marons qui s’y sont « sans doute » réfugiés, y ont été retrouvés et parfois tués par les chasseurs. « Sans doute » parce qu’on n’a pas (encore) découvert, à l’intérieur de ses cavernes, de traces de ces histoires de résistance à l’esclavage. Mais depuis une dizaine d’années les archéologues enquêtent, avec des techniques de plus en plus pointues, pour écrire les chapitres de ce récit « parallèle » longtemps occulté des archives officielles.

Samedi dernier, pour la première fois, à l’occasion des Journées européennes du patrimoine, le Service régional de l’archéologie, a restitué publiquement les résultats des fouilles organisées en 2017 et 2019 dans la caverne des Latanier. Nous avons filmé l’intégralité de la conférence pour ceux qui souhaitent approfondir le sujet. A consulter également le résumé du rapport des fouilles.

Le nom de Manzac, célèbre maron, a toujours plané sur la géographie des plaines du Piton de la Fournaise. La caverne aurait pu porter son nom. Elle s’appelle « des Lataniers » en référence aux feuilles de lataniers, amenées sur place, et qui ont servi à l’aménager. Peut-être Manzac a-t-il fréquenté la caverne, lui qui a été tué en 1758 ? A l’échelle géologique, la cavité s’est creusée il y a environ 5 000 ans entre les couches de scories projetées par différentes éruptions alentours. Les résultats des fouilles ont permis d’extraire des fragments de cendre, reste de feu de bois, datés au carbone 14 entre 1664 et 1815.

« Adieu, beau volcan, aussi digne d’être exploré que l’Etna et le Vésuve, nous te laissons pour carte de visite nos noms inscrits sur la lave »

Louis Hery

La marge d’erreur est grande mais cette découverte accrédite une fréquentation très ancienne de la grotte. On pourra pousser l’enquête plus loin, comme l’a fait remarquer Charlotte Rabesahala, spécialiste du maronage, en étudiant les techniques d’aménagement et l’orientation des pierres qui pourraient trahir des modes de construction de certaines ethnies malgaches.

Pour l’heure, en l’état des recherches menées, les fugitifs et résistants n’ont pas laissé de trace dans cet endroit qui était finalement très visité. C’est ce qu’a démontré la belle équipe qui l’a étudié ces dernières années. L’histoire de leurs découvertes est attachante. Jean Perrin, un volontaire de l’aide technique devenu médecin de Petite Ile s’est trouvé, par passion et curiosité, au centre de l’aventure. (Lire ci-dessous le récit qu’il nous a transmis)

Depuis 40 ans, il fait parti de ce « peuple du volcan » qui répond à chacun de ses appels telluriques. En 2013, il découvre, ou redécouvre, la caverne des Lataniers qui a déjà fait l’objet d’articles de journalistes-randonneurs chevronnés comme Alain Dupuis et François Martel Asselin. On connaissait alors le pavé « P. Hermann » gravé sur place par l’écrivain au début du 20e siècle. Mais Jean Perrin y trouve d’autres pierres gravées, plus anciennes comme « Vitry 1860 ».

Il se met alors à l’affut de ce qu’un autre écrivain, Louis Hery, appelle des « cartes de visite ». Celui-ci relatait dans son livre « Fables créoles et explorations » son « ascension du cratère » datée d’août 1853 : « Adieu, beau volcan, aussi digne d’être exploré que l’Etna et le Vésuve, nous te laissons pour carte de visite nos noms inscrits sur la lave »

C’est après avoir lu le livre ancien que Jean Perrin remonte à la caverne en compagnie de son épouse. Il retourne une grosse pierre qui lui sert de siège et lit des mots signés de Louis Hery 162 ans plus tôt. Il blémit. « Mwin la gagne kardiak », raconte-t-il au public de la conférence de samedi dernier…

Qui a ramené des pierres gravées chez lui ?

A partir de là, la machine s’est mise en route pour une exploration systématique et pluridisciplinaire de de la caverne. Ils y ont relevé une centaine de pierres gravées. Jean Barrère, le conseiller scientifique de la Cité du Volcan lance d’ailleurs un appel aux familles qui en auraient ramené à leur domicile : « Il n’est pas question de les blâmer, ni même de récupérer ces pierres. C’est seulement pour les prendre en photos et compléter nos connaissances ». La Cité prévoit de consacrer une exposition temporaire à ces « cartes de visites » de la caverne.

Que nous révèlent ces pierres et les fouilles qu’elles ont suscitées ? Différents récits littéraires ont raconté les « voyages au volcan ». Ces expéditions duraient au moins une semaine. Celles menées par les « maîtres » mobilisaient jusqu’à 40 personnes (expédition d’Honoré de Crémon et Philibert Commerson en 1771), les guides, les scientifiques, les porteurs, les esclaves, puis les engagés et les petits blancs des hauts… Des lithographies puis des photographies disent par où passaient les explorateurs et comment ils s’équipaient pour affronter une météo changeante. Ceux qui étaient dans la chaise à porteurs, ceux qui avaient des chaussures, de la toile de jute, ou les pieds nus…

La restitution des travaux archéologiques de 2017 et 2019 a ressuscité les différents camps organisés à l’intérieur de la caverne et à proximité. On en sait un peu plus sur le matériel qui était monté là-haut, ce qu’ils buvaient, comment ils s’habillaient. La caverne des Lataniers était une étape presque obligatoire. Il y eut même au début du 20e siècle un gîte à quelques mètres de son entrée. Un amoncellement de pierre signalait sa présence.

Aujourd’hui, une large piste forestière passe à proximité mais seuls les initiés repèrent son entrée… où ceux qui ont visionné la vidéo de notre visite sur les lieux.

Franck Cellier

Récit de Paul Hermann en 1924

Paul Hermann a donc laissé sa pierre gravée dans la caverne des Lataniers environ 70 ans après Louis Hery. Dans un livre scolaire intitulé « La Réunion au cours élémentaire », et daté de 1924, il conclut l’ouvrage par la description de son « excursion au volcan ». Il y raconte son ascension à partir de Saint-Joseph jusqu’au cratère Bory en passant par la caverne des Lataniers dans laquelle il a dormi.

Nous mettons à la disposition des nos visiteurs le texte intégral de ce récit d’où transpire les opinions et ressenti d’une autre époque. C’était il y a un siècle. Pour le lire, il suffit de cliquer sur l’image ci-dessous.

Itinéraire d’un passionné du volcan

et histoire d’une (re)découverte

Dans ce texte, daté de 2016, Jean Perrin raconte la genèse des fouilles archéologiques.

Décembre 1976 : l’arrivée d’un jeune VAT (Volontaire à l’Aide Technique)

J’arrive comme VAT médecin de PMI, totalement candide en volcanisme, mais ayant quelques notions d’archéologie préhistorique. (site paléolithique moyen et supérieur et âge du bronze en Périgord Noir) avec une passion toute particulière pour les industries lithiques préhistoriques.

Avril 1977 Piton Sainte Rose, la révélation :

Le choc de l’éruption hors Enclos de Piton Sainte Rose, vécue sur place pendant deux jours avec bivouac dans l’église et divers allers-retours à la coulée sur la route des radiers et à la mer, sera l’évènement fondateur d’une passion persistant depuis bientôt 40 ans.
Je pense avoir contracté ce jour là un virus dont je n’ai jamais cherché à me débarrasser.. !

17 mars 2013 : première incursion dans la Caverne des Lataniers

Après plus de 35 ans passés à courir au moindre frémissement de notre cher volcan (avec les amis du C.D.D.V. , depuis 1985), vécu plusieurs dizaines d’éruptions dont deux, mémorables, hors Enclos, j‘avais en tête un article des «balades du JIR dimanche» montrant la «Caverne des Lataniers» et le pavé gravé «P. HERMANN Fres». Nous décidons alors, avec mon épouse M.Andrée (née Vitry), de chercher cette caverne dont j’ignorais la position exacte.

Nous la découvrons, bien cachée derrière des bois de branles, sous un relief s’inscrivant dans un petit amphithéâtre naturel un peu à l’écart du GR2.

Nous observons que cette caverne est en fait un abri sous roche creusé dans une couche de scories sous jacente à une coulée massive qui en forme le plafond. Elle est fermée, dans sa partie la moins surbaissée, par deux murets de pierres sèches entre lesquels se situe l’entrée. Nous remarquons, dans la paroi de scorie opposée à l’entrée, une succession de niches manifestement aménagées par l’homme. Dans celle située complètement au fond à gauche je remarque la présence de restes, très dégradés, d’un objet en métal et cuir (ou tissu) ayant pu servir de récipient ou d’éclairage.

(Re)découverte ce jour là du «pavé P. HERMANN fres» et d’une pierre gravée «VITRY 1860» et autres noms (cartouche peu lisible daté 186…, M. GEREON, . FRERES, (S)t. JOSEPH) reposant sur le sol à proximité du pavé P. HERMANN Fres., ces pierres servant manifestement de tabouret pour le confort des visiteurs.

Un examen des lieux nous fait découvrir qu’il y a des gravures un peu partout sur les pierres des murets et sur une paroi extérieure. Un beau foyer, installé contre le muret principal, depuis très longtemps (dixit Jacques Picard), à gauche de l’entrée, quand on pénètre dans l’abri, semble avoir été utilisé peu de temps avant (charbon de bois relativement récents, et réserve de bois dans l’abri).

Nous poursuivons notre petite randonnée dans la «Plaine des Remparts» ravis de cette petite (re)découverte…et nous promettant d’y revenir. J’alerte alors quelques amis fidèles et discrets
dont Patrice Huet rencontré le soir même.

23 décembre 2013 : retour à la Caverne des Lataniers avec mon fils Laurent

Grosse déception : la configuration des lieux a été bouleversée. Plus de trace de la pierre «VITRY 1860» , le foyer a été vidé de ses cendres (évacuées à l’extérieur de l’abri) et a été transféré contre le muret à droite de l’entrée.

Heureusement le pavé «P. Hermann fres» trône toujours en bonne place sur le sol face à l’entrée.

Un coup d’oeil rapide au foyer ne me permets pas de localiser facilement la pierre «VITRY 1860» peut être intégrée dans le nouveau montage.. ?

Jacques Picard, alors consulté, émet l’hypothèse de manœuvres militaires, intervenues dans l’intervalle, comme pouvant être à l’origine de ces bouleversements.. ?

Années 2014-2015

2 ou 3 passages rapides à la Caverne des Lataniers ne me permettent pas de retrouver la pierre «VITRY 1860»…qui réapparaît fin 2015 sur le sol de la caverne (signalement Alain Barrère
qui nous fait aussi part de sa découverte de la magnifique dalle gravée «HOARAU 1927-BRUNET 1929-PALMER-PICARD-LAURET 1930-PAYET»)

13 décembre 2015 :Un choc émotionnel, la découverte de la «carte de visite» de Louis HERY

Nous retournons, avec mon épouse, vérifier la présence des pierres «VITRY 1860» et «P. HERMANN fres», en découvrir deux ou trois autres facilement accessibles et procéder à un début d’inventaire photographique plus systématique.

Une dalle plate d’assez grande taille, disposée sur le sommet du mur principal, à gauche de l’entrée, presque à toucher le plafond de l’abri, attire notre attention. Nous la retournons soigneusement
et découvrons immédiatement un nom gravé très bien lisible : HERY.

Mon sang ne fait qu’un tour : je venais de lire, quelques jours avant, son récit d’expédition au Volcan, effectué du vendredi 26 au mardi 30 août 1853, intitulé «Le cratère» !

Je décrypte alors avec fébrilité quelques noms qui correspondent parfaitement au récit et me confirment que nous venons de mettre la main sur la «carte de visite» de Louis Héry et ses compagnons, très probablement gravée le lundi 29 mars 1853. (Cf. texte Louis Héry en P.J.)

Le texte gravé commence par «29 août…» (manque l’année/pierre cassée) , continue par : «en revenant du…» (manque la suite/pierre cassée) et enchaîne par la succession des noms de l’équipe : La confrontation avec le texte ne laisse guère de doute (…1853 ? et …VOLCAN ?). Reste à retrouver les pièces manquantes du puzzle dans le mur ou alentour. (Cf. interprétation graphique en P.J.)

09 Janvier 2016 : premières prises de cotes des pierres gravées et repérage du tumulus.

Je commence à prendre les cotes grossières des pierres gravées afin d’en affiner mon inventaire. Je décide aussi de protéger la fragile «dalle Héry» avec du papier bulle camouflé sous sa face inférieure gravée, car elle est déjà rayée.

Hervé Douris, au regard affûté, venait de nous signaler son identification récente d’un tumulus dominant la caverne : nous ne l’avions jamais remarqué !

Ce tumulus, tronqué par les ans (et les hommes?) est situé sur une éminence du relief, à proximité immédiate de la caverne. Ce relief constitue un excellent repère et poste d’observation vers l’amont en direction du «Piton des Basaltes» et du «Piton de la Rivière de l’Est» ainsi que vers l’aval en direction du «Piton des Feux à Mozac» (lequel se révèle aussi être un exceptionnel poste d’observation naturel)

Je connaissais ce tumulus pour l’avoir vu sur un agrandissement d’une vieille photo chez Jacques Picard et j’avais alors quelques difficultés à bien l’orienter par rapport au relief actuel. Elle représente un groupe d’une vingtaine de personnes (avec casques coloniaux, guides, bœuf, chevaux, matériel…) posant devant le gîte de la Caverne des Lataniers, le tumulus étant visible en arrière- plan.

19 Mars 2016 : petit «parcours historique» sur le trajet classique des voyages au Volcan

Armé de beaucoup de bonne humeur et d’un «Embryon de Livret Guide Illustré» de ma confection, nous effectuons, avec quelques amis de confiance, une partie du trajet classique depuis la «Pente Zézé» jusqu’à la «Caverne des Lataniers» avec arrêt de rigueur à la «Stèle à Josémont Lauret»

Alain Barrère attire notre attention sur l’emprise au sol, encore visible, du gîte de la caverne des Lataniers. On distingue, en effet, un vague rectangle légèrement surélevé et surtout des petits fragment de coraux bien identifiables éparpillés sur le sol. Il nous explique qu’ils sont issus du mortier de montage des murs du gîte. Alain nous fait aussi part de la découverte d’autres objets, gisant en surface, à l’extérieur de la caverne et sur le plateau la surmontant.

(dont des objets en verre ou métal de toutes époques et un fragment de faïence fin XIXe (?)siècle. Il nous montre aussi le squelette d’un chat reposant dans la partie la plus surbaissée de l’abri.

Nous vérifions, ce jour là, avec François Martel-Asselin et Alain Dupuis, entre autres, la bonne orientation du gîte et du tumulus de la photo ancienne par rapport au relief, inchangé.

Compte tenu de la proximité de la route (600m.), de la fragilité de ce patrimoine exceptionnel et de sa vulnérabilité, nous décidons, faute de mieux, de mettre en sécurité, avec moult précautions, les pierres gravées VITRY et HERY, à proximité immédiate de la caverne (trois témoins).

Pour rappel : Suite au bouleversement des lieux constaté en décembre 2013, j’avais, indirectement, fait alerter la DAC OI dès 2014 sans succès, mais je dois avouer que je n’avais pas beaucoup insisté ni contacté son directeur moi même…J’ai réitéré en 2014 et 2015 mes alertes auprès des amis déjà concernés avec lesquels nous avions d’ailleurs envisagé une sécurisation

du pavé Paul Hermann à la Cité du Volcan…ce dont nous nous sommes finalement abstenus.

12 Août 2016 : première sortie conjointe avec la DAC-OI, la C.D.V., l’ONF et l’Université.

Rendons à César ce qui est à César: grâce au talent de persuasion de Patrick Pégoud que j’avais alerté, nous nous retrouvons donc un beau matin sur le parking de «Bois Ozoux» avec, en plus du noyau initial : Virginie Motte (DAC OI), Patrick Pégoud (ONF), Christian Germanaz (Université), Patrice Huet et Arthur Vaïtilingom (Cité du Volcan) ainsi que Michel Sicre (fraichement retraité ONF) et nous nous rendons derechef à la Caverne des Lataniers.

Ce premier repérage des lieux ayant convaincu Mme Virginie Motte de l’intérêt patrimonial de ce site et de sa vulnérabilité: elle décidera, très rapidement, avec Mr. Edouard Jacquot de la suite à donner…

19 Septembre 2016 : Première réunion officielle à la Cité du Volcan

Sous la houlette de Virginie Motte nous présentons les données déjà acquises en présence des acteurs déjà cités ainsi que de Mr. Eddy Moultson représentant le Parc national et de Mr. Pierre Brial géomètre-expert.

Un calendrier prévisionnel a été établi par Mme Virginie Motte, ce qui nous occupe aujourd’hui puisque les autorités compétentes, ont décidé de nous associer à ce «Projet Cavernes-Volcan» Nous en sommes ravis !

Jean Perrin, Petite-Ile, le 07/11/2016

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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