Sur les traces de Commerson au volcan

RÉCIT D’EXCURSION

Le jeudi de l’Ascension une quinzaine de botanistes ont marché sur les pas de Commerson.

Nous nous sommes retrouvés sur le parking du Cratère Commerson puis sur le belvédère où il a été rappelé que Bory de Saint-Vincent, venu à La Réunion 30 ans exactement après Commerson, a fait la « connaissance » de ce dernier dans la bibliothèque du Naturaliste, où il a trouvé « quelques bons voyages » dont en particulier :

– le manuscrit de Donnelet, à propos duquel il dit : « Le premier voyage que je sache a avoir été entrepris pour visiter la montagne ardente, le fut en 1760 par le sieur Donnelet, habitant du pays ; et ce que j’en sais, je l’ai trouvé dans un petit manuscrit de 28 pages in-18, que M. Faujas acheta par hasard sur un quai de Paris, et qu’il a bien voulu me communiquer »,

– les notes de Aubert du Petit Thouars, qui a visité Maurice, Madagascar et La Réunion pendant 9 ans à partir du 2 mai 1793 ; ses ouvrages ont été publiés ultérieurement, de 1804 à 1819.

– des notes de Commerson, mort en 1773, sans avoir publié.                

Le cratère Commerson a été baptisé par Bory de Saint-Vincent. Dans  l’Index de son Voyage on peut lire : « Cratère Commerson : nom que j’ai donné à une bouche volcanique de Bourbon pour consacrer la mémoire de ce naturaliste » et aussi : « Commerson : naturaliste qui a connu Bourbon ».

Il raconte le voyage de Commerson au Volcan tome 3 pages 7 et 8 : 

 « Il paraît que, quelques années après, M. de Crémon revint au Volcan. Il fut accompagné par le chevalier de Saint-Lubin et par Commerson. Ce fut par la rivière de Langevin que se commença le voyage. J’ai lieu de croire que, cette fois, les curieux s’arrêtèrent sur la plaine des Sables, et ne descendirent pas le rempart de l’Enclos pour gravir à la Fournaise ; car un dessin de Commerson, que j’ai sous la main, me prouve ce fait par les choses qui y sont omises, et qui s’il eût visité le sommet de la montagne, ne seraient pas échappées à ce grand observateur. Il paraît par ce dessin, du reste très inexact, qu’alors le mamelon  Central n’était qu’un cratère dont les bords commençaient à seulement s’élever par les coulées scorieuses qui s’en échappaient. C’est depuis ce voyage sur-tout qu’il s’est répandu, parmi le plus grand nombre des habitants du pays le préjugé ridicule, qu’une chaleur suffocante, des cendres et une forte odeur de soufre empêchaient d’approcher du volcan, de plusieurs lieues. »  

Après la visite du Cratère Commerson que Commerson n’a peut-être pas vu car, après la traversée de la Plaine des Sables, il s’est dirigé vers la source du Bras de Pontho qui a été suivi pour arriver au Piton de Villers, actuelle Plaine des Cafres.

Dans l'Atlas des planches du Voyage se trouve Ages du Volcan de Bourbon
Dans l’Atlas des planches du Voyage se trouve Ages du Volcan de Bourbon

Cet avis assez négatif de Bory de Saint-Vincent à l’égard de Commerson explique peut-être pourquoi le dessin de 1760 correspondant aux descriptions de Dolnet n’a pas été suivi du dessin du sommet du Volcan vu par Commerson dans cette série de dessins montrant l’évolution du sommet de La Fournaise.

Nous nous sommes rendus ensuite au parking de Foc-Foc pour emprunter le chemin du Piton de Bert et croiser ainsi la route de Commerson arrivé au Volcan par la ravine du Baril.

Son récit a été lu au bord du rempart où il a campé avant et après l’ascension au sommet :

 « Je ne sçais si avant de partir de Bourbon je vous ai rendu compte du voyage vraiment digne d’être célèbre que j’ai fait à ses volcans et des risques de toutes espèces que j’ai courus. Avoir escaladé des montagnes de plus d’une demi-lieue de hauteur…perpendiculaire sur le niveau de la mer, avoir franchi nombre de précipices affreux… escaladé des rempars qui sur 200 toises de profondeur, en avaient à peine six de talus… avoir fait des lieues entières sur une lame perfide qui de moment à autre s’efondroit sous nos pieds… avoir bravé une grêle de pierres rougies, fondues ou calcinées qui signala notre arrivée et qui, si elle nous fit rétrograder pour le moment, ne nous empecha pas de revenir le moment d’après… avoir été à l’escalade du volcan enflammé jusqu’à la hauteur de sa bûte, en avoir essuyé une bouffée, une flamme veloutée qui n’a fait que l’effleurer à la vérité, mais qui a atteint très vivement celui qui me suivait… n’être descendu de là que pour aller mesurer le contour et la profondeur d’un autre volcan à peine éteint mais fumant encore… avoir fait une alte de plus de deux heures d’entre les deux volcans a peine distans l’un de l’autre de 300 pas… y avoir diné en plaisantant sur l’incertitude d’y rendre nos épaves… s’être promené dans des souterrains conducteurs de la lave ou la moindre moffette sulfureuse pouvait nous suffoquer… avoir senti pendant tout le temps qu’ont duré les opérations les entrailles de la terre se bouleversant en tout sens sous nos pieds. Voila une esquisse des épreuves par où nous avons passé… Un déluge continuel de pluies qui nous ont poursuivis pendant 15 jours ou 20 qu’a duré notre voyage. La disette finale de provisions qui nous a surpris lorsque nous étions entourrés de torrens grossis par les eaux qui les rendaient inguéables et vous comprendrez aisément que c’est acheter assés cher le plaisir d’avoir satisfait sa curiosité. Si j’eusse été seul dans cette expédition, on pourrait croire que j’exagère les particularités, mais outre un détachement de créoles de Bourbon, nous étions cinq maîtres, et nous avions a notre suite 32 noirs porteurs de vivres. Mais c’est leur nombre qui nous a affamés. »

Commerson rapporte de Bourbon d’abondantes observations. « Je ne connais rien, écrit-il à Lalande, dont je sois plus content que de ce travail. La Nature n’a donné à l’Europe que de faibles échantillons de ce qu’elle pouvait faire en ce genre. C’est à Bourbon, comme aux Moluques, aux Philippines, qu’elle a établi ses fourneaux et ses laboratoires pyrotechniques. J’ai des choses ineffables, à ce sujet. Après que l’Académie aura eu les prémices, le public peut s’attendre à un bel in 4° de Mémoires plus curieux les uns que les autres. »

Ce récit insiste sur le sensationnel, une façon peut-être de « vendre » son futur ouvrage, qui ne verra pas le jour, du fait de sa mort prématurée.

Un autre récit, celui de Lislet-Geoffroy qui l’accompagnait, âgé de 16 ans seulement comme herboriste semble plus objectif mais a été rédigé a posteriori :

Une excursion au volcan du Piton de la Fournaise en novembre 1771

M. de Crémont avait déjà effectué cette randonnée trois ans auparavant ; il émettait alors le souhait suivant : « Il serait à désirer qu’un savant curieux se trouvât pour lors dans cette île et voulût entreprendre avec moi ce pénible voyage. » En 1771, pour cette seconde excursion au volcan, la présence de Philibert Commerson, naturaliste, savant et curieux, s’il en est, venait exaucer son souhait. Jean-Baptiste Lislet, n’avait alors que 16 ans, il ne guide pas Commerson comme on l’a écrit ; avec lui il découvre le Piton de la Fournaise et l’assiste, les pieds ensanglantés, avec « son herbier que je portais et mon fusil que je traînais ». Cette excursion eut lieu en novembre 1771, comme nous l’assure la présence de Commerson à l’Île Bourbon cette année-là et seulement celle-là. Une erreur dans le récit, erreur reprise dans le titre de l’article, situe cet événement en 1772. Pour ne pas risquer de propager la même erreur, nous corrigeons le texte que nous reproduisons en substituant 1771 à 1772. Les notes, sauf celles identifiées « Note JPM », appartiennent au texte de la Revue.

Éruption volcanique d’avril 2021.

VOYAGE AU VOLCAN DE BOURBON EN 1771.

Les pages que l’on va lire ont paru dans la Revue coloniale d’octobre 1871, sous ce titre  « Notice sur le Voyage de M. de Crémont au volcan de Bourbon, en 1772 ». Une note mise au bas de la première page, est ainsi conçue ; « D’après le manuscrit autographe de Lislet Geoffroy, dont nous devons la communication à l’obligeance de M. L. Bouton. » V. P.

M.de Crémont, Intendant de l’Ile de Bourbon, partit de la Rivière d’Abord le 12 de Novembre 1771 pour se rendre à la Rivière du Rempart (1), où s’étaient réunies les personnes qui devaient l’accompagner ; MM. de Commerson, naturaliste ; Jossigny, son dessinateur ; Banks, ingénieur ; le Chev. de St.-Lubin et cinq habitants des environs, conduits par M. Payet, l’un deux, pour guider. Je fus du voyage, attaché à M. de Commerson en qualité d’herboriste. Le 15, à 6 heures du matin, l’on se remit en route, contournant le piton de la Rivière du Rempart et nous rapprochant de la côte.

Nous la suivîmes à peu de distance, à travers un bois fourré, sur des laves anciennes, l’espace de près de trois quarts de lieue jusqu’à la Rivière de l’Angevin où nous nous reposâmes (2). A 8 heures on se mit en marche, suivant toujours une côte de fer, et couverte de laves, pour arriver à une petite anse garantie par la pointe Piton ; nous fîmes le tour pour arriver à l’embouchure de Vincendo, où nous fîmes halte un moment ; en cet endroit, nous ne trouvâmes qu’une eau saumâtre, qui s’infiltrait à travers les sables d’une petite anse : nous traversâmes ensuite les Ravins à Piton, suivant toujours la côte qui était moins rude, l’espace d’une demi-lieue, pour nous rendre à la Ravine de la Basse Vallée. Là on entra dans le brûlé de Barril, par un chemin extrêmement difficile, couvert de laves récentes, concassées et mêlées de scories aussi tranchantes que des morceaux de verre ; on en voyait de toutes formes et de toutes les couleurs imaginables ; cette partie étant exposée aux vents généraux (S.E.) la mer y brisait avec une violence et un bruit épouvantables, contre les rochers escarpés, qui bordent cette côte affreuse.

Tantôt s’élançant de dessous une espèce d’arcade ressemblant à un portail ou bien cheminant par des conduits souterrains, à 15 ou 20 toises, elle en sortait en forme de gerbes de 25 à 30 toises de hauteur verticale, et en retombant couvrait les environs d’une écume éternelle ; l’on entendait un son comme celui d’une trompette sous-marine, ou le mugissement prolongé d’une vache qui a perdu son veau. Enfin l’on atteignit l’embouchure de la Ravine de Barril, dans une petite crique abritée par un gros rocher presque détaché, à environ 3 ½ lieues de la Rivière du Rempart, point de départ ; à quelques pas en remontant la Ravine l’on trouva un endroit propre pour dîner et passer la nuit (3).

Le 16, à 9 heures du matin, l’on se remit un route, remontant la Ravine de Barril très peu escarpée à sa naissance, qui se perd dans des fougères et des arbustes rabougris, emmaillotés par des lianes et de la mousse, au point que les pieds des voyageurs ne touchaient que rarement la terre, ou plutôt les roches du fond. Le terrain s’élevait rapidement, on ne fit ce jour-là que cinq quarts de lieue, M. de Crémont, très fatigué, se trouva incommodé et ordonna de camper auprès d’un Piton qu’il a fait appeler Tsifaron (4) ; voici pourquoi :

Ce mondrain isolé, d’une trentaine de toises d’élévation au-dessus de la plaine, couvert de broussailles, de lianes et de mousse, est légèrement incliné de notre côté, mais à pic du côté opposé. Au coucher du soleil, les guides soupçonnèrent qu’il y avait près du sommet des Noirs marrons ; quoique la nuit fut obscure ils l’escaladèrent, conduits par leur chien et revinrent, 3 heures après, amenant une négresse malgache nommée Simandé avec son fils nommé Tsifaron ; la mère ne connaissait ni le nom de celui à qui elle était, ni le lieu qu’il habitait ; s’étant enfuie peu après son arrivée avec un Noir de son pays, qui venait de se sauver, elle avait refusé de le suivre, tant elle souffrait de la misérable situation où elle se trouvait ; elle ne parlait point du tout le français.

M. l’Intendant la retint pour le domaine et paya la capture aux guides. L’on commençait à ressentir les effets de la température des hautes régions de l’île et des brouillards épais dans lesquels on se trouvait, mais la route devenait moins difficile. Le 17, vers 9 heures du matin, le temps commença à s’éclaircir et l’on se remit en route, constamment à travers des broussailles couvertes d’une rosée abondante et froide.

A 2 heures après midi, dans une éclaircie, l’on aperçut la montagne du Volcan ; peu après on se trouva sur le bord de l’Enclos (5). L’ayant suivi en remontant vers le nord, M. de Crémont fit dresser la tente, à l’endroit où la Fournaise nous restait à l’E. N. E. du compas (6).

L’on s’occupa le reste du jour à faire des ajoupas et abat-vent, avec des bruyères, des fougères et des branches d’arbrisseaux pour mettre tout le monde à l’abri de la pluie, s’il en survenait dans la nuit. Les guides trouvèrent aussi un cabri marron ou sauvage qu’ils rapportèrent et dont ils firent hommage à M. de Crémont.

Cette nuit fut belle, mais très froide ; nous ne pouvions nous lasser d’admirer les gerbes de feu qui s’élançaient du cratère oriental et retombaient dans le centre, avec les pierres enflammées qu’il vomissait continuellement, parmi lesquelles on remarquait des flammes électriques faciles à distinguer ; ce cratère avait environ 20 toises de diamètre, excédant le sommet de la montagne de 8 à 9 pieds. A 30 toises à l’Est de celui-ci était un second cratère, de même forme et même dimension, d’où il sortait un jet de fumée, mais point de feux.

M. de Crémont, encore incommodé, se coucha de bonne heure dans son palanquin. Le lendemain 18, dès que le jour commença à poindre, l’on fit un grand feu devant la tente où tous les Européens se grillaient les jambes ; aucun créole n’en approcha. Nous nous trouvions enveloppés dans une brume épaisse et très froide qui venoit du S. E. et semblait sortir de la mer, nous cachait tous les objets ; l’on n’apercevait qu’une faible lueur de la fournaise. J’avais passé la nuit sous la porte de la tente parmi les bagages ; à quelques pas de là, je trouvai de petites flaques d’eau congelée ; en marchant dessus, je sentais le grésil craquer sous mes pieds, encore ensanglantés du triste passage de la Basse Vallée.

A 9 heures du matin, la brume s’étant dissipée de dessus la montagne du volcan, il n’en restait plus qu’au fond de l’Enclos, on distinguait aussi l’horizon de la mer aux deux tiers de la montagne prise de sa base. M. de Crémont se disposa à y descendre. Le chef des guides recommanda fortement à tout le monde : de ne point parler haut, de ne pas crier et surtout point de coups de fusils, parce que l’écho se réfléchirait dans tous les sens, avec la même intensité, l’on aurait jamais pu deviner d’où serait venu le bruit, mais de suivre chacun son chef de file à 10 à 12 pas de distance et à vue.

L’Enclos est un rempart qui entoure le Volcan de trois côtés, il a à peu près la forme d’un fer à cheval, au sommet duquel serait la Montagne du Volcan, de la figure d’un cul de chapeau ; là, sa largeur est environ de cinq quarts de lieue, s’écartant irrégulièrement en descendant vers la mer par une pente rapide. La hauteur de l’Enclos vis-à-vis notre camp était de 60 et quelques toises ; il paraît plus élevé du côté du nord ; il renferme ce qu’où appelle le Grand pays brûlé et se termine à droite à la Ravine Tremblet et à gauche à celle du Bois blanc, à 2 lieues de la Fournaise.

A 9 heures et demie, M. de Crémont donna l’ordre de descendre, ce qui se fit dans l’ordre suivant : M. Payet, chef des guides, M. l’Intendant et les deux guides qui le soutenaient, car il était toujours incommodé. M. de Commerson et deux Noirs portant un paquet de cordes, une marmite et une chaînette en fer. M. Banks et M. de St-Lubin, plus 3 ou 4 Noirs avec des serpes. M. de Jossigny resté au camp pour dessiner des vues. J’y restai aussi ne pouvant marcher.

Au bout de trois quarts d’heure, nous vîmes nos voyageurs au fond de l’Enclos, qui commençaient à gravir la montagne. Le temps était très beau, presque calme. La surface sur laquelle ils marchaient, formée de laves refroidies, se répandait autour jusqu’au pied de l’Enclos ; il y avait, cependant, plusieurs de ces coulées de laves, mêlées de scories, qu’il fallait éviter.

A 2 heures M. de Crémont était rendu à la distance d’un jet de pierre du cratère, d’où il ne sortait que de la fumée ; ils s’en approchèrent tous, et de dessus une petite éminence, ils virent le fond, à une trentaine de toises, apercevant des crevasses, par où sortait la fumée, produites par des laves en fusion ; du même endroit ils aperçurent dans l’autre cratère la lave bouillonnante s’élever jusqu’aux bords de la cheminée d’où sortaient les flammes (7).

Le vent ayant changé, renvoya la fumée sur l’endroit où étaient ces Messieurs, et sortant par des fentes autour de ces mêmes cheminées, ce qui les obligea à se retirer promptement dans la crainte d’en être suffoqués. Personne ne sentit l’odeur du soufre, mais bien celle du fluide électrique ; vers 3 ½ heures M. de Crémont ordonna de descendre dans le même ordre que l’on était monté pour n’être pas exposé aux brouillards du soir, ce que l’on fit avec facilité par le même chemin ; et à 6 ½ heures tout le monde fut rentré au camp.

Le 19, M. de Crémont se reposa des fatigues de la veille, souffrant de l’indisposition dont j’ai parlé. Dans la journée je parcourus une partie de la plaine des Sables, jusqu’au Piton Bellecombe, admirant la variété des couleurs et des formes des fragments de laves et des scories dont elle était couverte. Il tomba un peu de pluie dans la nuit. Le 20, M. de Crémont fit lever le camp à sept heures du matin, pour nous rendre à la plaine des Caffres : la fuite du brouillard et la présence du soleil nous réjouissaient. Surtout M. de Commerson qui n’oubliait pas ses poches et son herbier que je portais et mon fusil que je traînais ; m’étant un peu écarté, je le perdis de vue ; montant alors sur un petit mondrain, je le trouvai à se baigner dans le cratère d’un volcan (8) ; (c’est celui que M. Bory de St-Vincent a nommé depuis cratère du Petit Thouars ; il a aussi nommé cratère Hubert le suivant, et Piton Chisny celui qui vient après.)

Quoi qu’il n’y ait guère que trois quarts de lieue, entre l’Enclos et le rempart de la plaine des Sables, nous fîmes plus d’une lieue en traversant diagonalement cet espace, afin de contourner dans la plaine de Cilaos, la naissance de la Rivière du Rempart ; elle sort comme du fond d’un puits dont un côté se serait éboulé ; là sa profondeur a près d’un quart de lieue, on ne distinguerait pas un homme au fond ; nos guides nous disaient qu’il fallait deux jours pour y descendre, et remonter de l’autre côté. Nous marchâmes toujours dans la direction du N. O. en quittant la plaine des Sables, environ cinq quarts de lieue, où est la naissance du bras de Ponteau (9), au pied du Piton des feux à Manzac ; puis tournant à l’Ouest, passant entre le Piton Guichard et celui que M. Bory a nommé depuis Lislet, nous nous rendîmes au Piton de Viller (10) sur le même bras de Ponteau vers 11 heures du matin.

M. de Crémont partit de suite pour se rendre à St-Benoît, par le chemin du milieu de l’Ile ; nos guides retournèrent à la Rivière d’Abord avec M. de St.-Lubin du côté opposé. MM. de Commerson, Banks et de Jossigny restèrent au Piton de Villers, le premier visita les environs, ramassant des cailloux, des fougères et autres plantes curieuses et mit son herbier en ordre. Le 21 nous descendîmes par la plaine des Palmistes (11), où la pluie nous assaillit et nous conduisit jusqu’au Burgau où est l’établissement du Gouvernement.

Lislet-Geoffroy

 Les numéros dans le texte correspondent aux différentes étapes de l’expédition (carte suivante). Si Commerson parlait de 15 à 20 jours d’expédition, Lislet-Geoffroy ne parle que de 6 jours. Commerson évoque un déluge continuel de pluie, Lislet-Geoffroy est plus mesuré. 

    Son texte est accompagné d’un dessin (voir ci-dessous). Le relief de La FournaiSe y est trop accentué par rapport aux remparts mais on distingue le Formica Leo et les Nez Coupés de Sainte Rose et de Bert. Au sommet se trouvent deux cratères dont l’un est en éruption et l’autre fume seulement  

Piton de la Fournaise et enclos Fouqué en 1732
Piton de la Fournaise et enclos Fouqué en 1772

    Sur le sentier nous avons observé quelques unes des 29 plantes récoltées par Commerson  au Volcan (voir liste ci-dessous). Aucune n’a disparu depuis son passage. En gras les espèces dont un herbier de Commerson se trouve au CIRAD de Saint-Pierre dans l’herbier universitaire de La Réunion.

Nicole Crestey

Nom scientifiqueNom vernaculaireFamilleStatutEtymologie
01Acacia heterophyllaTamarin des hautsFABAC.Réunionheterophylla = à feuilles différentes 
02Agarista buxifoliaPetit bois de rempartERICAC.Mada., Réunionbuxifolia = à feuilles de buis 
03Carex borbonicaCYPERAC.Réunionborbonica = de Bourbon
04Clematis mauritianaLiane marabitRANUNCULAC.Mada., Masc.mauritiana = de Maurice
05Cordyline mauritianaCanne marronneASPARAGAC.Masc.mauritiana = de Maurice
06Cyperus melicoidesCYPERAC.RéunionMelicoides = à allure de mélique
07Erica arborescensERICAC.Réunionarborescens=à port d’arbre
08Erica galioidesThym marronERICAC.Réuniongalioides = qui ressemble au gaillet
09Erica reunionensisBranle vertERICAC.Réunionreunionensis = de La Réunion
10Eriocaulon striatumERIOCAULAC.Mada ?, Masc.erio = laine, caulon = tige
11Eriotrix lycopodioidesASTERAC.Réunionerio=laine, trix=poil, lycopodioides=à allure de lycopode
12Faujasia pinifoliaASTERAC.RéunionBarthélemy Faujas de Saint-Fond (1741-1819) 
13Faujasia salicifoliaChasse vieillesseASTERAC.Réunionsalici = saule, folia = feuille
14Festuca borbonicaPOAC.Réunionborbonica = de Bourbon
15Helichrysum arnicoidesPetit velours blancASTERAC.Réunionarnicoides = qui ressemble à l’arnica
16Helichrysum heliotropifoliumVelours blancASTERAC.Réunionheliotropi = héliotrope, folium = feuille
17Hubertia ambavillaAmbavilleASTERAC.Réunion, Mauriceambavilla=ambaville
18Hubertia tomentosaAmbaville blancheASTERAC.Réuniontomentosa = tomenteuse
19Hypericum lanceolatumFleur jauneHYPERICAC.Com., Réunionlanceolatum = en forme de fer de lance
20Oberonia distichaORCHIDAC.Afr, Mada, Com, Mascdisticha=distique
21Phlegmariurus saururusLYCOPODIAC.Hémisphère sudphlegma=mucus, ura=queue, saurus=lézard
22Phylica nitidaBranle bâtardRHAMNAC.Masc.nitida = brillant
23Poa borbonicaPOAC.Réunionborbonica = de Bourbon
24Polystichum ammifoliumDRYOPTERIDAC.Mada, Réu, MauAmmi=genre du fenouil annuel, folium=feuille
25Psiadia anchusifoliaBouillon blancASTERAC.Réunionanchusi = anchuse, folia = feuille 
26Psiadia argenteaPetit veloursASTERAC.Réunionargentea = argentée
27Psiadia callocephalaASTERAC.Réunioncallo = beau, cephala = tête
28Sophora denudataPetit tamarin des hautsFABAC.Réuniondenudata = denudée
29Stoebe passerinoidesBranle blancASTERAC.Réunionpasserinoides = qui ressemble à la passerine

Le premier botaniste de La Réunion

Commémoration du 250ème anniversaire de la mort de Philibert Commerson ou Sur les pas de Commerson au Volcan.

C’est à l’initiative de Nicole Crestey que se sont retrouvées en ce jour de l’Ascension une quinzaine de personnes (majoritairement des botanistes amateurs), intéressées, voire très intéressées par la vie de ce botaniste, le premier botaniste de La Réunion !

A commencer par Simone Sempéré, autrice métropolitaine de « Dans le sillage de Bougainville », récit de son voyage sur les traces de Bougainville autour du monde en 1767-1769. Commerson avait fait partie de cette expédition en tant que médecin et botaniste du roi. Il abandonnera l’expédition en novembre 1768 à l’Isle de France (Ile Maurice) sur ordre de Pierre Poivre afin d’étudier la flore des Mascareignes.

Simone Sempéré vient de publier en 2023 « Herbier de mon tour du monde », un recueil de 80 planches réalisées lors de son voyage. 

Etait présente aussi Bernadette Thomas, autrice réunionnaise de « Jeanne, il était une femme », roman qui met en scène Jeanne Barret, première femme à avoir fait un tour du monde, déguisée en homme. Elle était la compagne de Philibert Commerson, l’a aidé dans son travail de botaniste et de médecin.

Nicole Crestey est enseignante de Sciences de la Vie  et de la Terre à la retraite, membre de l’Académie de l’Ile de La Réunion, naturaliste passionnée. Elle concentre ses recherches actuelles sur les naturalistes venus à La Réunion.

Philibert Commerson, Jeanne Barret sont deux personnages dont les vies suscitent l’intérêt, excitent l’imagination… et c’est bien ce qui a motivé les autres participants. 

L’expédition au volcan de Philibert Commerson en novembre 1771 a fait l’objet de plusieurs récits : le sien, celui de Lislet Geoffroy (accompagnateur) et celui de Bory de Saint Vincent.

C’est Bory de Saint Vincent qui a donné son nom au cratère Commerson, c’était en 1801, en mémoire du naturaliste. Il est peu probable que Philibert Commerson soit passé auprès de ce cratère car à l’époque la descente sur la Plaine des Cafres se faisait par le Bras de Pontho depuis la Plaine des Sables.

C’est plus loin que l’on peut mettre ses pas dans ceux de Commerson, arrivé au Volcan par la ravine du Baril. Le cheminement depuis le parking de Foc-Foc jusqu’au bord du rempart permet de recenser les plantes qu’il a observées et récoltées. Certaines  de ses propres planches d’herbier peuvent être consultées au CIRAD à St Pierre. L’occasion de relever que Commerson n’a rien pu publier avant sa mort (à 46 ans), ses planches d’herbier ont été négligées…, certaines perdues… Certains naturalistes se sont approprié ses travaux…

C’est au bord du rempart où les récits de l’expédition se font « vivants », on peut s’imaginer la halte, la mise en place des tentes, la construction des abris avec des branles et des fougères. Leur nuit fut éclairée par une éruption, leur réveil par un beau soleil, leur descente (sûrement par le Pas de Bellecombe-Jacob actuel découvert 3 ans auparavant) dans un grand silence pour éviter les chutes de pierres…

Philibert Commerson montre dans son récit son enthousiasme pour ce qui l’entoure. Enthousiasme sincère ? Ou excessif et guidé par l’idée d’une future publication ?

En ce jour de l’Ascension 2023, on pencherait plutôt pour la première hypothèse : paysage toujours grandiose, flore toujours aussi extraordinaire dans ce lieu si extrême.

Andrée Féménia

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