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Arnaud Fachero : « La mobilité active, c’est une façon d’être au monde »

Créé d’abord pour répondre à une problématique de déplacement au travail, le CRUB (Collectif réunionnais des usagers de la bicyclette) s’est depuis emparé du sujet de la mobilité active et travaille en collaboration avec les acteurs locaux pour donner plus de place au vélo. Son co-président, Arnaud Fachero, répond aux questions de Parallèle Sud. 

La mobilité active, ce n’est pas seulement ne pas polluer c’est aussi prendre en compte les impacts sur la santé économique, sur la santé physique et bien-sûr celle de la planète.

Quand on parle de mobilité vélo, on entend mobilité douce ou mobilité active. Quelle nuance faites-vous ?

Arnaud Fachero:  Pour moi, la mobilité active, ce n’est pas qu’un mode de déplacement, c’est une manière de vivre. On a tendance à confondre mobilité douce et mobilité active. La première est une notion écologique — on parle de modes de transport qui ne polluent pas. Mais la mobilité active, c’est autre chose : c’est une mobilité dans laquelle on s’engage physiquement, mentalement, socialement.


Marcher, pédaler, se déplacer autrement, ça demande une part de soi, une volonté, un effort. Et cette implication change la relation qu’on entretient à l’espace, aux autres, et même à soi. La mobilité active, ce n’est pas seulement ne pas polluer : c’est être acteur de sa vie, dans une démarche de santé et de lien social.

Comment est né le collectif CRUB ?

Il est né d’une situation très concrète. Quand l’hôpital Gabriel Martin a été transféré à Cambaie, on s’est retrouvés face à un site enclavé, sans transports en commun adaptés, avec trop peu de stationnements. Les usagers qui allions sur notre lieu de travail à vélo ont vite compris que ça allait être le chaos.
On a donc rassemblé la région, les collectivités, les associations et les citoyens autour d’une table. C’est de là qu’est né notre premier collectif, “Mobilité CHOR”, puis le CRUB : le Collectif Réunionnais des Usagers de la Bicyclette.

À partir de là, tout s’est structuré : nous avons adhéré à la Fédération des Usagers de la Bicyclette (FUB), lancé des actions locales, créé des vélo-écoles et participé à la mise en place du baromètre des villes cyclables.


Il y a quatre ans lors des premières consultations du baromètre vélo, on était que trois à distribuer des prospectus et seules trois communes se sont mobilisées. Il y a eu une vraie évolution car lors de la dernière édition dont le rapport est paru en septembre 2025, on a mobilisé 15 communes sur les 23 de l’île. On voit que les choses bougent avec une participation en hausse même si il y a une difficulté pour analyser les données sur certains territoires notamment dans l’Est et dans les Hauts.  Le baromètre, c’est devenu un outil de travail pour les collectivités. Avant, elles avaient des données très limitées. 

Comment se passe le dialogue autour de la question du vélo ?

Le dialogue peut-être difficile lorsque’il s’agit de trouver des points communs entre les usagers. Les besoins de chacun sont différents. À La Réunion comme ailleurs, beaucoup de comportements viennent de croyances et non de connaissances. Par exemple, beaucoup de gens pensent que la “bande jaune” sur la route est une piste cyclable. Ce n’en est pas une ! C’est une bande multifonctionnelle où les véhicules lents peuvent circuler ou se garer en cas de panne.


De même, beaucoup pensent que sur une voie verte, les vélos sont prioritaires — alors que non. La voie verte est d’abord dédiée aux piétons, aux personnes âgées, aux personnes à mobilité réduite. Les vélos y sont tolérés, mais doivent adapter leur vitesse. La méconnaissance du code de la route, c’est un vrai problème de sécurité. Et ça crée des tensions entre usagers. 

Le cas du Cap La Houssaye est souvent cité comme exemple de conflit d’usages. Pouvez-vous expliquer ?

Oui, c’est un cas emblématique. Le Cap La Houssaye, c’est un axe très fréquenté, accidentogène, que je connais bien : j’y ai travaillé dix ans, j’y ai vu des dizaines d’accidents.
Quand l’aménagement a été réalisé, beaucoup ont cru que les vélos devaient désormais quitter la route pour rouler sur la voie verte.
Et un jour, un chroniqueur radio a dit : “Enfin, on ne verra plus de vélos sur la route !”
C’était dramatique, parce que cette phrase a nourri l’idée que les vélos n’ont plus leur place sur la chaussée. Résultat : des automobilistes qui klaxonnent, des cyclistes qui se font insulter, et des incompréhensions généralisées. Il suffit d’un mot mal interprété pour que les gens s’opposent. On se retrouve comme à Paris : des usagers dressés les uns contre les autres. 

Dans les cartes du baromètre vélo de La Réunion, les rond-points sont souvent considérés comme très dangereux. Pourquoi ?

Parce qu’ils concentrent toutes les erreurs de conception. Sur beaucoup de rond-points de l’île et comme dans la conception au niveau national qui date de 1980, les cyclistes sont orientés vers l’extérieur, ce qui les place dans les angles morts des voitures.

Quand un automobiliste prend la deuxième sortie, il coupe littéralement la trajectoire du vélo.
Nous travaillons actuellement avec la Région sur Saint-Denis pour y tester un “rond-point hollandais”, où les cyclistes circulent en dehors du flux motorisé mais conservent une priorité claire.
Mais tout cela dépend des contraintes d’espace, des propriétés foncières, et des budgets.

Exemple de rond-point giratoire cyclable.

Vous avez aussi un discours très fort sur la formation, des cyclistes comme des automobilistes.

Oui. On ne peut pas changer les comportements sans éducation. Les cyclistes doivent apprendre à se comporter comme des véhicules, à occuper leur place, à anticiper.

Et les automobilistes doivent apprendre à partager l’espace, à comprendre la fragilité de l’autre.
C’est pour cela que nous avons développé des vélo-écoles : pour apprendre aux gens à se sentir en sécurité, à comprendre les règles, à lever leurs peurs. Le problème, ce n’est pas le vélo. C’est le manque de culture vélo. 

Vous dites souvent que la mobilité active dépasse la question du transport. Qu’entendez-vous par là ?

Le vélo, ce n’est pas qu’un outil pour aller d’un point A à un point B. C’est un instrument de vie. Quand vous êtes à vélo, vous vivez à un autre rythme. Vous voyez les gens, vous leur dites bonjour, vous sentez la météo, vous respirez.


C’est un mode de transport qui rend la ville plus humaine, parce qu’il reconnecte les individus à leur environnement. Ça réduit le stress, ça favorise la santé, ça crée de l’empathie. Et au fond, ça change aussi la manière de travailler, de consommer, de vivre ensemble. La mobilité active, c’est une façon d’être au monde. Elle rend la société plus douce, plus collective, plus empathique. 

Vous collaborez avec l’ADEME pour financer un poste de chargé de mission. Où en êtes-vous ?

Oui, l’ADEME locale et nationale nous accompagnent. Sophie Pouthier a été très présente à nos côtés. Nous avons obtenu l’enveloppe, mais il faut encore consolider le financement avec des partenaires locaux et réussir à utiliser des leviers tels que les vélos-école pour avoir un financement plus pérenne. Ce poste est essentiel : sans chargé de mission, nous restons en marge du dialogue avec les collectivités.

Les techniciens municipaux, les chargés de mission des intercommunalités se parlent entre eux. Nous devons être au même niveau pour peser, pour faire remonter la parole des usagers. Sans relais humain permanent, le plaidoyer s’épuise. On a besoin d’un professionnel pour faire le lien entre la société civile et les décideurs. 

Qu’est-ce qui vous pousse à continuer malgré ces obstacles ?

Ce sont les gens. Les regards qui changent, les entreprises qui appellent pour comprendre, les jeunes qui viennent apprendre à faire du vélo, les élus qui commencent à nous écouter. Comme le démontre le rapport du baromètre vélo 2025, il y a de nombreux progrès depuis l’année passée et il faut s’en féliciter. 

On sait que la route est longue — mais chaque aménagement, chaque rond-point corrigé, chaque personne qui se met au vélo, c’est une victoire collective. Et c’est ça, la mobilité active : du mouvement, au sens propre et figuré. Ce qu’on veut, ce n’est pas que tout le monde fasse du vélo. C’est que tout le monde ait le choix.

Entretien réalisé par Olivier Ceccaldi

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A propos de l'auteur

Olivier Ceccaldi

Reporter citoyen, Olivier a tout d'abord privilégié la photographie comme support pour informer notamment sur les réalités des personnes exilées face à la politique migratoire de l'Union européenne. Installé sur l'île de La Réunion depuis 2024, il travaille principalement sur les questions de société.

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