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[Arts et culture] Une enquête sur les violences sexistes et sexuelles

MOUVMAN FH+

Le mail est simple, sobre. Il annonce qu’une enquête est en cours du 3 au 24 septembre 2023 sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu des arts et de la culture. Le mouvman FH+ Réunion, créé en juin dernier, a proposé aux professionnels du milieu de participer afin d’établir un état des lieux. Situé à mi-chemin entre le professionnel et le personnel, le monde de la fête aussi, le milieu est propice à certaines dérives et à de profonds déséquilibres liés au genre. Mais les données manquent.

Ne pas faire de vagues. C’est un petit milieu, tout le monde se connait, ou presque, on imagine aisément la difficulté de trop s’exposer. C’est aux comportements normalisés pendant des décennies, déséquilibrés et malsains que s’attaque ce collectif. Discriminations liées au genre, violences sexistes et sexuelles… les membres du Mouvman FH+ entendent mettre un terme aux agissements de ceux qui nourrissent ce système et libérer la parole des victimes.

« Peur de perdre leur emploi »

« Il y a des victimes isolées qui n’osent pas parler car on est sur un petit territoire », fait remarquer Valérie Fontaine, manageuse de plusieurs groupes de musique, co-fondatrice du mouvement réunionnais. « Elles ont peur de perdre leur emploi, de se faire blacklister, de ne plus trouver de boulot à La Réunion. Elles craignent qu’on ne les croie pas. Comme elles n’ont pas de témoin, elles disent que c’est la parole de leur agresseur contre la leur. »

Au vu du nombre rapide de retours au questionnaire, l’initiative était semble-t-il la bienvenue. « On voudrait que les victimes osent en parler, ne se sentent plus seules », ajoute Sandrine Ebrard, chanteuse, également membre de l’association. « Et on aimerait que, de l’autre côté, les agresseurs ne se sentent plus tout puissants. Il y a énormément d’hommes, mais on se rend compte qu’il y a aussi des femmes au pouvoir qui peuvent être pires parfois que certains mecs en termes de harcèlement. » « On est sur un terreau favorable à La Réunion, c’est le quatrième département français au niveau des violences conjugales* « , rappelle Valérie Fontaine.

« Faire un état des lieux »

Pour recueillir les témoignages, les co-responsables du Mouvman FH+ vont se former. Elles souhaitent mettre en place un réseau d’écoutantes, des alliées, disponibles par téléphone. L’objectif : accompagner les victimes dans leur parcours, leur donner accès à un psychologue et à un avocat. « Les plaintes mettent des plombes à être traitées, ça donne pas envie d’y aller ». Dans certains cas, pour assurer l’anonymat, l’association envisage même de faire appel à des écoutantes situées dans d’autres régions de France.

Le questionnaire ne s’adresse pas qu’aux victimes. « L’objectif est de recueillir des chiffres sur la situation à La Réunion, de faire une sorte d’état des lieux », explique Valérie Fontaine. Rapidement, le mouvman FH+ entend aussi mettre en lumière l’état de la parité dans la culture (les postes occupés en fonction du genre, les salaires, les parcours professionnels).

Le mot a tourné en interne, dans le milieu de la musique, du cinéma notamment, mais tous les secteurs de la culture ne connaissent pas encore l’association. « Il manque un peu la presse, la mode, le livre, mais aussi les conservatoires ou les écoles d’art », remarque Valérie Fontaine.

Mise en valeur du matrimoine

Parmi les objectifs que s’est donnés l’association figurent également la mise en valeur du matrimoine et la prévention au sein des écoles d’art et des conservatoires contre les violences et discriminations liées au genre.

Après les mouvements Me Too et Music Me (principalement en métropole mais aussi à la marge, à La Réunion), les femmes du Mouvman FH+ constatent que les choses évoluent à leur rythme dans le milieu de la culture.

« Aujourd’hui, par exemple, pour obtenir les subventions du Centre national de la musique (CNM), une structure est obligée de suivre la formation de sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles », indique Valérie Fontaine. Dans le milieu, on sent qu’il s’est passé quelque chose. Est-ce que c’est une prise de conscience ou de la peur? On dirait que c’est un peu des deux. »

« J’avais intégré le sexisme »

« Avant, moi-même, je rigolais aux blagues sexistes », confesse Valérie Fontaine. « Je traînais beaucoup avec les garçons, les discussions de filles autour du maquillage ça ne m’intéressait pas. J’avais intégré le fait que les filles étaient chiantes, j’étais toujours dans des milieux d’hommes. Je ne me suis jamais sentie féministe. Quand un homme me prenait par la taille ou autre je savais le remettre à sa place parce que c’est mon tempérament. Et puis, un jour, en 2021, je me suis pris une claque (au sens figuré). Je préparais une conférence pour laquelle je devais intervenir sur la place de la femme dans la musique. J’ai pris conscience grâce à cette femme qui m’aidait à préparer mon interview que j’avais intégré le sexisme. »

Valérie Fontaine ressent le besoin d’agir, d’aider les femmes dans son milieu, la musique. « Pour changer les autres il faut d’abord se changer soi-même. J’ai fait comprendre aux mecs qu’il y a des blagues qu’ils ne pourraient plus faire en ma présence. » Avec Elsa Bendhif, dirigeante de jeudi formation, émerge la volonté d’élargir le projet à l’ensemble du milieu culturel et artistique. Elles décident de créer l’antenne réunionnaise du mouvement HF.

Sur un fil entre le perso et le pro

Ce mouvement, constitué ensuite en association, est apparu en France à partir de 2008 après la publication d’un rapport commandé par le Ministère de la Culture « pour l’égal accès des hommes et des femmes aux postes de responsabilités, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation dans le secteur du spectacle vivant ». Le rapport déclenche des prises de conscience « en mettant au jour des discriminations dont on ne soupçonnait pas l’ampleur dans le spectacle vivant », indique le site internet du Mouvement HF.

A La Réunion, les six membres du bureau ont choisi de renommer l’association Mouvman FH+, pour ouvrir la porte aux discriminations de genre de manière plus large.

Le milieu des arts et de la culture est particulièrement propice à des débordements et dérives. « L’alcool, le coté festif, ce sont des facteurs aggravant dans notre milieu », fait remarquer Valérie Fontaine. « On est toujours sur un fil entre le perso et le travail. A la fin du concert, en backstage, les gens picolent. C’est la famille de la culture, on se tutoie, on se tape la bise. Quand le public est parti, tu as des affinités, mais est-ce que tu te confies ou pas ? Est-ce que ce sont des amis… Pour ma part j’ai toujours su mettre des limites mais on voit bien que pour certain.e.s c’est plus compliqué.

« Une fille pas maquillée sur scène, ça n’arrive pas »

Dans le milieu, l’apparence, le physique tient un rôle important. Dans certaines activités, comme la danse ou les arts du cirque, le corps est souvent dévoilé, les contacts physiques sont au centre de l’activité.

« J’ai vu des coachs scéniques dire aux filles: sois plus féminine, plus provocante », se souvient Valérie Fontaine. « Une fille pas maquillée sur scène, ça n’arrive pas. Ca fait partie des codes. On est dans des métiers de séduction. »

« C’est presque obligatoire d’être dans la séduction », confirme Sandrine Ebrard, ancienne mannequin et investie également aujourd’hui dans la CGTR Spektak. « J’ai la sensation que si les femmes ne le font pas, ça ne passe pas. Ca va leur être reproché par un maillon de la chaîne, même si c’est déplacé de la part de la personne, comme un producteur ou un distributeur qui n’a pas à gérer ça. Contrairement aux hommes, quand tu es une femme artiste, on ne te sollicite pas, c’est à toi de démarcher pour faire connaître ton projet. La séduction est une des cartes que tu peux utiliser. C’est déjà tellement difficile que si tu ne l’utilises pas, ce sera encore plus difficile. »

Statuts précaires

Elle raconte comment la femme, dans le milieu musical, est en prise avec une pression toujours plus pressante. Dans ce secteur, la concurrence est importante, l’image omniprésente, le clip a pris une place prépondérante. « Il faut être forte, percutante, présenter une image claire de son projet. Esthétiquement, il faut savoir ce que tu renvoies, dans quoi tu t’inscris et là on parle de ton corps, de ton apparence. C’est de plus en plus lourd, comme si l’industrie de la musique demandait de plus en plus de cases à cocher pour que ça fonctionne. Sans oublier que lorsqu’elles ont un certain âge, les femmes se font saquer, elles sont jugées moins fraîches, on va en choisir des plus jeunes. C’est la cata. »

« Pour une femme c’est de plus en plus difficile et complexe. D’autant que nos statuts restent précaires et si toi en tant que femme tu as une difficulté à un moment de ta vie (un accident, une séparation…), c’est toi qui te prends la précarité en pleine figure. C’est ce qui m’est arrivé. »

Malgré le fait qu’elles évoluent dans ce milieu majoritairement masculin où l’entente masculine prédomine, les deux interlocutrices estiment néanmoins qu’il est important de « construire avec les hommes, que ce mouvement soit ouvert, pas fermé. »

*https://la1ere.francetvinfo.fr/violences-conjugales-la-guyane-est-le-territoire-francais-avec-le-taux-le-plus-eleve-de-femmes-battues-1349544.html

Enormément de talent, peu de visibilité

Dans le milieu de l’audiovisuel, le travail du Mouvman FH+ est soutenu par la Saacre qui a fait circuler l’enquête. Cette seconde association a tout juste un an, elle aimerait par la suite se coordonner pour mettre en place des actions sur des tournages, de la sensibilisation sur les comportements acceptables ou non, les sanctions encourues. La Saacre se concentre spécifiquement sur les secteurs du cinéma, de la création de jeux vidéo, le journalisme TV, la radio et les nouvelles écritures (podcasts, réseaux sociaux…).

« Notre objectif premier est de participer à l’émergence d’un cinéma de La Réunion, plus juste, plus inclusif et paritaire », explique Jade Paquien, secrétaire de l’asso. « On inclut toutes les minorités de genre. Montrer que oui dans un film on peut retrouver une personne handicapée pour parler d’autre chose que du handicap, voir une avocate noire dans un film français, etc… Sortir des personnages caricaturés. »

L’association est née du constat de terrain d’un manque criant de visibilité des œuvres réalisées par les femmes. Celles-ci se présentent aussi moins pour participer aux résidences d’écriture par exemple. « Sur les tournages, on retrouve les femmes aux mêmes postes sans possibilité d’accès à d’autres postes. »

Parmi les prochaines actions, les membres de la Saacre souhaitent créer un forum, d’ici fin 2023 à début 2024, permettant de regrouper des personnes du cinéma et de l’audiovisuel pour échanger sur la parité dans ces milieux. Les chiffres sur la question n’existent pas, seuls les constats visibles tiennent. L’association milite pour plus de parité dans les milieux artistiques mais aussi techniques. Elle envisage de mettre en place des formations mais aussi des actions de prévention dans les classes de l’Iloi (l’Institut de l’image de l’océan indien) ou dans le BTS audiovisuel du lycée Mémona Hintermann.

« L’objectif est de montrer que les femmes peuvent faire ces métiers, elles sont tout à fait légitimes », reprend Jade Paquien. « Nous voulons valoriser les productions de minorités et de femmes pour qu’il y ait une reconnaissance des œuvres qui sont faites. Pendant des années, il n’y a pas eu de représentation. Il faut briser ce plafond de verre, montrer que c’est possible. Des réalisatrices à La Réunion ont énormément de talent mais peu de visibilité. Je pense par exemple à Julie Jouve qui a réalisé le premier court-métrage réunionnais, Tangente, parvenu en 2018 à la sélection officielle des César pour les court-métrage de fiction. Le film est également produit par une femme. »

Jéromine Santo-Gammaire

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.