[Aviation] « Pierrefonds doit reprendre le cap vers Paris »

AMINE VALY, PREMIER DIRECTEUR DE L’AÉROPORT DE PIERREFONDS

Amine Valy, ancien directeur de l’aéroport de Pierrefonds, relance le débat et l’ambition d’un grand aéroport du Sud capable de desservir la France.

Amine Valy en appelle à la remobilisation des élus pour « l’intérêt supérieur » de Pierrefonds

Deux ans et demi d’arrêt quasi total ! L’aéroport de Pierrefonds est-il mort ? Il devrait pouvoir relancer son activité dans les mois qui viennent grâce à une aide européenne exceptionnelle (lire ci-dessous). Mais son ancien directeur voit plus loin que le simple retour au niveau d’activité d’avant la crise Covid.

Amine Valy, aujourd’hui directeur du Gal « Grand Sud Terres de Volcans », association intégrée, de la Casud et la Civis, porte toujours un regard pointu sur le développement du Sud. Ayant été à l’origine de l’aéroport de Pierrefonds, inauguré le 19 décembre 1998, il en suit attentivement l’évolution et déplore la perte d’ambition du projet qu’il a mené dès la création du syndicat mixte de Pierrefonds en 1996.

A l’origine, l’aéroport de Pierrefonds rêvait de desservir Paris. Il ne dessert plus rien actuellement.

« Au début il y avait une véritable ambition partagée de onze communes (les 10 communes du Sud + Saint-Leu) de desservir Paris. Nous avions en face de nous l’Etat, la CCIR, et Margie Sudre (alors présidente de la Région), retrace Amine Valy. Nous avons réussi à agrandir la piste de 1 850m à 2 100m. Mais il faut atteindre les 2 400 à 2 500m pour faire décoller des avions longs courriers. Il fallait garder ce cap des 2 500 mètres mais les élus du Sud n’ont pas su résister au discours du Nord sur la rentabilité des deux aéroports ».

« On ne va pas contre l’Etat et l’aéroport Roland-Garros »

S’il est communément admis que l’équilibre financier de l’aéroport de Pierrefonds se situe plus vers les 250 000 passagers par an que les 100 000 actuellement visés, les pistes de développement étudiées aujourd’hui se limitent au périmètre régional. Mais « la desserte de la France, qui nécessiterait une extension de la piste, n’est plus un sujet d’actualité. Il faut raison gardée, on ne va pas contre l’Etat et l’aéroport Roland-Garros », commente Didier Prugnières, l’actuel directeur de l’aéroport, en prenant soin de préciser que c’est aux politiques de décider de ce genre d’orientation

« Je ne mets pas en cause les élus actuels, lance avec la même prudence Amine Valy. Mais je constate que nous avons abandonné le combat, que le Sud s’est fait embourber lorsque la Région de Didier Robert a fait le choix politique d’un aéroport régional de Pierrefonds. La desserte régionale ne suffit pas. Sans une mobilisation politique forte portant la volonté d’aller à Paris, on ne sauvera pas l’aéroport. L’enjeu est de taille : il s’agit de centaines d’emplois pour le Sud. Quand une compagnie se base sur un aéroport, c’est 100 à 200 emplois créés. Sans parler de l’impact qu’aurait alors l’aéroport sur toute l’économie du Sud, le développement du fret, le tourisme, l’agriculture. Avec 70 millions d’euros nous pourrions faire les 300 à 400 mètres de piste supplémentaires ».

L’Ouest se rapproche du Sud et s’éloigne du Nord

Selon le premier directeur de l’aéroport, l’idée de départ était de permettre à la population du Sud d’avoir un aéroport à proximité tant l’aéroport de Gillot est loin : environ deux heures de route et d’embouteillage. Avant l’ouverture de la route des Tamarins, une navette d’Air Austral acheminait les voyageurs de Saint-Pierre à Roland-Garros. De même un partenariat avec Air Mauritius permettait aussi aux Sudistes de rallier Plaisance puis Paris ou Londres à un prix très compétitif.

Cet apport de voyageurs vers l’Europe prenant leur avion à Pierrefonds a permis d’atteindre un record de trafic à 130 000 passagers dans les années précédant l’ouverture de la route des Tamarins (2008-2009). Ensuite, avec l’arrêt de la navette d’Air Austral, le trafic a logiquement diminué. Puis, il a à nouveau progressé car il est vite apparu que la route des Tamarins ne résolvait pas le problème des embouteillages. Le réseau routier est saturé et la NRL ne le fluidifiera pas non plus. Résultat : la zone potentielle de chalandise de l’aéroport de Pierrefonds ne diminue pas mais elle augmente puisqu’elle intègre de plus en plus les habitants de l’Ouest.

Autant d’arguments qui relancent le débat sur le développement de Pierrefonds : « Il faut que l’aéroport du Sud remobilise les élus, que le quorum soit atteint à chaque réunion du syndicat mixte. Il faut aller au rapport de force pour trouver les financements et voir l’intérêt supérieur de Pierrefonds. Comme avant », conclut Amine Valy.

Franck Cellier

Une promo « zéro taxe » pour relancer l’activité

La courbe du trafic de l’aéroport de Pierrefonds ressemble à l’électrocardiogramme d’une personne décédée le 17 mars 2020, date marquant le début de la première période de confinement pour se protéger du Covid.

Trafic annuel de l’aéroport de Pierrefonds. (Source : Wikipedia)

Cela fait maintenant deux ans et demi que l’aéroport de Pierrefonds tourne au plus-que-ralenti, le Covid et l’arrêt quasi complet des liaisons régionales ont annulé tous les vols commerciaux au départ et à l’arrivée de Saint-Pierre. La reprise se fait durement attendre. Seule la compagnie Ewa avait rouvert une liaison entre Mayotte et le Sud réunionnais quelques mois entre décembre 2021 et août dernier. Aujourd’hui, ne restent plus au planning des vols inter-îles, que les évacuations sanitaires opérées par le jet de la compagnie Amélia au rythme de 5 à 6 vols par semaine.

Activité minimum dans le hall de l’aéroport.

Sur les lieux, quelques guichets d’agences sont ouverts dans la salle d’enregistrement. Quelques prestations annexes sont encore disponibles : tours d’hélicoptères, ULM, parachutisme, etc. Les pompiers, les agents de maintenance et du comptoir, ainsi que ceux de la tour de contrôle continuent à se rendre au travail. Ils sont une soixantaine à avoir préservé leurs emplois et 90% de leurs salaires grâce au dispositif d’activité partielle longue durée. Grâce aussi à une aide exceptionnelle des collectivités du Syndicat mixte de Pierrefonds (Civis, Casud, Région, Département et commune de Saint-Leu) de 500 000€.

Validation européenne

Ce n’est évidemment plus tenable et il est grand temps de relancer les vols régionaux qui assuraient auparavant, bon an mal an, un trafic d’environ 100 000 passagers par an. Pour être plus précis, il s’agit quasiment exclusivement du trafic entre La Réunion et Maurice. « Le redémarrage est très compliqué, commente le directeur de l’aéroport sudiste, Didier Prugnières. Le ministre mauricien du tourisme expliquait récemment que les vols avec la France avaient retrouvé 90% de leur niveau d’avant la crise. Plus de 100% pour les vols avec Londres et l’Afrique du Sud. Mais seulement 55% avec La Réunion ».

Didier Prugnières, directeur de l’aéroport, attend les offres de relance d’Air Mauritius et Air Austral.

Pour inciter au plus vite le retour des compagnies Air Mauritius et Air Austral sur Pierrefonds, l’aéroport leur accorde une remise de 100% des redevances aéroportuaires jusqu’au 31 décembre 2023, soit une ristourne de près de 2 millions d’euros. Cette promo exceptionnelle est entièrement financée par l’Union européenne qui a validé ce dispositif en juillet. « Les négociations sont en cours avec les compagnies, explique Didier Prugnières. Nous retiendrons celle qui fera la meilleure offre en termes de capacité et de fréquence »?

Les touristes à destination de Maurice reviendront-ils à Pierrefonds d’ici la fin de l’année ? Le directeur reste prudent : « Tant que ce n’est pas signé, on ne peut pas s’avancer ».

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.