[Biodiversité] Restaurer la forêt abimée par l’Homme

REPORTAGE A LA FORÊT DU REMPART A GRAND COUDE

Dans les hauts de Saint-Joseph, à Grand Coude, trois trentenaires s’évertuent depuis quatre ans à restaurer la forêt. Héritée par l’un d’eux, cette parcelle de nature recèle une richesse de biodiversité étouffée par les invasifs qui pullulent. En quatre ans, ils sont parvenus à revaloriser un hectare de forêt sur sept. Le travail est énorme, leur détermination et leur enthousiasme le sont tout autant. Reportage.

Jay Jetshan et Fabien Mondon ont repris le terrain il y a 4 ans, en quête de sens à donner à leur vie. Les 10 hectares, dont 7 de forêt, appartiennent à la famille de Fabien depuis plus de 100 ans (voir encadré). Ils sont situés à Grand Coude, à Saint-Joseph, en haut de la rivière des Remparts. Le matin, lorsque la vue est encore dégagée, on aperçoit le plateau qui abrite le village en contrebas sur la gauche, et en face, un énorme rempart dont on ne distingue pas le pied.

Ce dimanche 19 novembre, « la Forêt du Rempart » (le nom que porte le lieu) accueille une trentaine de convives. La visite commence par une volée de marches qui pénètrent un peu plus haut dans le bois. L’objectif de la visite : sensibiliser les participants à la préservation de l’environnement et aux trésors de biodiversité dont regorgent les forêts encore préservées.

Hot spot de perte de biodiversité

Le chemin serpente dans la forêt, emmenant les visiteurs pour 1h15 de découvertes variées. L’une des plus petites orchidées du monde perchée sur une branche, le bois de piment, le bois d’olive blanc, le fanjan « nurserie », qui permet aux graines de germer sur sa mousse. Sans oublier le mahot, l’arbre emblématique de ce type de forêt de bois de couleur des hauts, qui enrichit les sols. « Nous nous trouvons dans une forêt tropicale », explique Fabien Mondon. « C’est dans ce type de forêts que se trouve la plus grande biodiversité du monde, 70 % de la biodiversité », indique notre guide.

Il rectifie : « Ici, c’est un hot spot de biodiversité mais aussi de perte de biodiversité ». En quatre ans, les trois amis qui s’occupent du lieu et les bénévoles qui les ont aidés ont réussi à restaurer un hectare de forêt. Les six autres restent envahis de plantes exotiques qui prolifèrent, interdisant de circuler.

Le lézard vert des hauts en danger d’extinction

« Le lézard vert de Bourbon des hauts, se nourrit du nectar des fleurs de mahot », raconte Fabien. « Il pollinise les fleurs, comme les abeilles. Il est aujourd’hui en danger d’extinction parce que son habitat disparait. » Il poursuit : « La première menace qui pèse sur la biodiversité, ce sont les exotiques envahissantes. Ca prend la place au sol, ce qui est au-dessous n’a plus de chance de pousser. Le bringellier marron est utilisé pour faire la vaisselle et comme papier toilette. Le raisin marron est très dur à enlever. Très coûteux aussi. Il demande beaucoup de temps, beaucoup de main d’œuvre. La liane rouge, même un bout de feuille repousse ! Elle monte et tue tout ce qui est en-dessous. Parfois, on organise un chantier participatif, mais c’est le projet de toute une vie. »

La visite terminée, le groupe se rassemble sous les chapiteaux pour un copieux repas traditionnel cuisiné au feu de bois par Gabriel Bénard. Le troisième ami de la bande les a rejoints il y a un an. Amis de longue date, ils jouaient déjà ensemble dans le même groupe de musique de maloya. Au menu : apéritif avec beignets de patate douce, houmous de gros pois. Pour l’entrée, gratin de potimarron du village, brèdes, rougail tomates arbustes et enfin un cari de légumes et un cari poulet pour le plat principal. Complété par un gâteau ti son au chocolat pour le dessert. Heureusement que la petite marche en fin de journée permet de faire digérer.

Enthousiasme communicatif

Mais avant de redescendre, les trois amis proposent un maloya. Ils chantent leurs propres compositions, parlent d’amour et de nature à travers des textes très actuels. Pour eux, la culture est indissociable de leur engagement en faveur de la nature et il leur tient à cœur de transmettre également cet héritage. D’autant qu’au vu de la toponymie, l’endroit aurait pu servir de refuge ou tout du moins de lieu de passage aux marrons.

Un à un, les convives s’en vont par le sentier marron. Jay, Fabien et Gabriel continuent à transmettre leur joie et leur enthousiasme communicatifs. Même s’ils sont encore loin de pouvoir vivre de leur activité ici, ils avancent avec finesse et stratégie. Ils travaillent désormais avec l’aide du Conservatoire botanique, l’Office français de la biodiversité, l’Armeflhor, le Département, l’ONF et le Parc national et sont parvenus à décrocher quelques subventions pour soutenir l’énorme effort qu’ils mettent en œuvre sur leur lieu.

« Besoin de sens »

« La restauration écologique est quelque chose de complet », souligne Fabien. « Il y a la lutte contre les invasifs, il faut multiplier les plantes donc ça implique d’avoir une pépinière. Il faut faire de l’entretien aussi. Tout ça ne rapporte pas d’argent, donc peu de gens se lancent là-dedans car il faut pouvoir en vivre. » Pour cette raison, le trio a débuté en 2023 ces événements touristiques en cohérence avec leurs valeurs afin d’avancer vers une durabilité du projet.

Fabien revient sur les débuts de l’aventure. « Avant ça, je travaillais dans l’hôtellerie, Jay dans l’insertion professionnelle. On avait des activités qui ne répondaient pas à ce besoin de sens qui était important pour nous. Au même moment, la personne qui habitait là s’en allait. On est tombé amoureux de la forêt. En l’explorant, on a vu qu’elle était en danger. On a eu envie de devenir acteurs de la préservation de l’environnement de La Réunion, sensibiliser les gens à sa beauté et aussi aux menaces qui pèsent sur elle. » Les enjeux sont importants, la forêt se trouve en bordure de la forêt primaire, classée cœur de Parc national, un hot spot de biodiversité. « Pour moi, il y a aussi un coté patrimonial que j’avais envie de préserver pour transmettre un jour cette forêt dans un bon état », ajoute Fabien.

Beaucoup d’aide bénévole

Bien que non professionnel jusque là, « avec un père et un grand-père agriculteurs, j’ai toujours baigné dedans », indique Fabien. « A l’époque, on faisait du maraîchage bio et du géranium et mon père avait commencé des expérimentations pour cultiver des plantes médicinales. »

« Quand on a commencé, on a mis beaucoup de temps pour enlever les invasifs, dégager les plantes. Il y a eu beaucoup de casse à cause des acacias qu’avaient planté les habitants à l’époque de la culture du géranium. Des amis se sont intéressés. Au départ, c’était un loisir et puis on a découvert que beaucoup de gens étaient à la recherche de sens comme nous. Beaucoup de personnes sont venues nous aider bénévolement. »

Comme ils n’ont pas d’expérience dans le milieu, Fabien et Jay se forment, font venir des experts sur le terrain pour leur prodiguer des conseils. Fabien intègre même la SPL Edden, qui a des missions de restauration écologique sur toute l’île et dans tout milieu, et apprend sur le terrain en parallèle du travail sur la Forêt des Remparts.

« L’objectif, c’est que la forêt puisse retrouver une autonomie »

« Au début, on a fait des erreurs bien sur, comme arracher des invasifs sans replanter derrière… tout a repoussé. On a appris qu’il faut planter de façon dense, jusqu’à quatre plans au m2.On a la chance d’avoir la forêt et on peut se fournir en semences. On fait attention, on ne prélève jamais plus de 15 à 20% des semences, on laisse bien sur pour les habitants de la forêt et les oiseaux. »

Plus ils apprennent de la forêt et plus ils sont en mesure d’établir les actions prioritaires, de mettre en œuvre des stratégies efficaces. « On a du rechercher des compétences en cartographie, faire appel à des gens qui maitrisent des outils comme le drone pour avoir une idée globale de l’état de santé de notre forêt. »

« Par exemple, le lézard vert des hauts est en danger, c’est un enjeu écologique important pour nous donc on va replanter des espèces favorables pour son alimentation, la ponte etc. L’objectif c’est que la forêt puisse retrouver une autonomie, une indépendance. »

Jéromine Santo-Gammaire

Au 19ème siècle, Alexandre et Marie Payet sont propriétaires d’un domaine de 150 hectares entre Manapany et Grand coude. Ils ont 10 enfants et cultivent la canne à sucre. L’une de leurs filles, Yvonne, la dernière fille, se mariera avec Augustin Mondon et ils auront 4 enfants. Les terres seront divisées en plusieurs parties pour les enfants. Yves, via sa marraine Lucile, sera l’héritier de Grand Coude. Son frère, quant à lui, sera héritier du domaine de Manapany.
À cette époque à Grand Coude, la culture du géranium va être fortement développée et appréciée pour ses huiles essentielles et ses bienfaits. Mais malheureusement une pause se fera vers 1962 à cause des tempêtes et des cyclones qui dévasteront les plantations. La culture du thé va alors se développer. Yves et sa femme , Marie-Céline, auront 4 enfants dont Bernard. Celui-ci héritera de la Forêt du Rempart à Grand coude.
Sur ce même terrain, vers 2010, une mère et sa fille s’installeront dans un petit coin reculé de cette grande et splendide forêt du Rempart. Elles élèveront très simplement du bétail face à la montagne. La jeune fille scolarisée devra faire plus d’un kilomètre pour attraper le bus à la volée. Elles cultiveront leurs légumes et leurs fruits. Pendant 10 ans elles résideront dans une jolie et chaleureuse petite maisonnette en bois. Pendant 10 ans, cette courageuse femme et sa fille ont vécu ainsi prouvant à quiconque qu’il est tout à fait possible de vivre sans eau ni électricité, par leurs propres moyens et leur entrain. Et enfin cela fait 4 ans que Bernard a pris sa retraite et a légué à Fabien la Forêt du Rempart. Celui-ci avec ses deux amis feront en sorte de cultiver la belle biodiversité de cette forêt.
Noélia Thierry

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.

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