[C.O.I.] Un projet de loi retiré de l’ordre du jour

UNE POLITIQUE REUNIONNAISE DE L’INDIANOCÉANIE

Les Réunionnais ont largement participé au mouvement national concernant les retraites. Les médias en ont largement rendu compte. Les sujets brûlants français sont naturellement brûlants pour les Réunionnais qui sont Français. Par contre, l’inscription puis le retrait de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale du projet de loi concernant la C.O.I., qui aurait dû être brûlant pour La Réunion spécifiquement, sont quasiment ignorés des médias : juste un article du « Quotidien » sur le retrait de l’ordre du jour. Cela est d’autant plus curieux que, dans cette affaire, La Réunion occupe une place importante.


Le 29 décembre 1982, les ministres des Affaires étrangères de Maurice, de Madagascar et des Seychelles fondent la Commission de l’océan Indien. Il y a quarante ans maintenant. Le 10 janvier 1984, les mêmes signeront les fameux accords de Victoria qui donneront un caractère plus institutionnel à la Commission sur le plan international. La France et les Comores, jusqu’en 1985, bénéficieront d’un statut d’observateurs, préalable à leur adhésion programmée. En 1986, la France, « au titre de La Réunion », et les Comores deviendront membres de la C.O.I.
Si la création de la C.O.I. remonte à quarante ans, l’idée qui aboutit à sa création est beaucoup plus ancienne. Dans l’esprit de ses inspirateurs — et j’en suis — il s’agissait de la manifestation des Peuples pour, au début, faire de l’ensemble des « îles du sud-ouest de l’océan Indien » « une zone de paix ». Se sont greffés sur cette ambition, le projet d’une université de l’océan Indien, celui de la C.O.I. (La Commission de l’océan Indien) et bien d’autres.
Dès le début, les Réunionnais ont joué un rôle important dans la création de la Commission. Derrière les trois fondateurs de 1982, il y avait des Réunionnais. Et si en 1986, la France en est devenue membre, c’est « au titre de La Réunion ». Il est important qu’il y ait une politique réunionnaise derrière la politique française concernant l’existence, les fondements, les ambitions et les frontières de l’Indianocéanie ; concernant la C.O.I. comme outil politique de l’Indianocéanie des Peuples.

L’Indianocéanie, sa réalité, ses fondements, ses ambitions et ses frontières

L’Indianocéanie est une réalité géo-politique particulière composée des îles suivantes de l’océan Indien : les îles de l’archipel des Comores, La Réunion, Madagascar, les îles mauriciennes et les îles seychelloises. Ces îles ont, toutes, un fonds culturel commun : elles ont été peuplées par des Africains, des Asiatiques et des Européens qui se sont métissés et ont donné des langues, des cuisines et des cultures originales ; elles ont, toutes, connu la colonisation française ; et sont francophones. Ce fonds culturel commun des îles indianocéaniennes permet de concevoir, entre leurs Peuples, « une coopération communautaire » .
Il existe chez les dirigeants de ces pays (y compris réunionnais), une tentation récurrente d’élargir l’Indianocéanie à des pays comme le Mozambique, l’Afrique du sud, voire la Chine ou l’Inde. Cette vision de l’Indianocéanie est une vision économique d’affaires internationales, alors que l’Indianocéanie dans les frontières et pour les raisons qui viennent d’être définies, est la vision d’une communauté de Peuples qui, profitant des atouts de leur fonds culturel commun, ont décidé de relever ensemble, par eux-mêmes et avec les aides dont ils disposent, le défi de leur développement. Cela n’empêche pas des coopérations de la Communauté avec les pays environnants et n’empêche pas davantage des coopérations bilatérales des pays de la Communauté avec ces pays. L’Indianocéanie, dans l’océan Indien, n’est pas l’océan Indien. C’est pour cela qu’il faudra faire la distinction : à commencer par confirmer la dénomination de l’Indianocéanie et, peut-être, par appeler La Commission de l’océan Indien, La Commission pour l’Organisation de l’Indianocéanie.

L’Indianocéanie des Peuples

De la même façon que, sur le plan local, « Le Projet » qui se met en place a pour but de « retrouver le peuple réunionnais », sur le plan régional, l’Indianocéanie a pour but de remettre les Peuples des îles indianocéaniennes au centre de leur développement grâce à une coopération communautaire. Ni l’Afrique du sud, ni la Chine, ni l’Inde, ni le Mozambique, etc. ne partagent ce fonds culturel commun qui fait le ciment de l’Indianocéanie. L’extension de l’indianocéanie « altèrerait une relative unité culturelle » disent certains commentaires.
Par ailleurs, l’introduction de ces pays dans la Communauté, compte tenu de leur situation, rendrait difficile une coopération communautaire des Peuples dans l’égalité.
S’agissant de la France, il est entendu qu’elle est comparable aux autres grands États comme la Chine, l’Inde ou l’Afrique du sud. Elle est dans la C.O.I. « au titre de La Réunion ». Elle est l’État de La Réunion et pour cette raison, partenaire des autres États, mais c’est le Peuple de La Réunion qui fait partie de la Communauté. C’est pour cela que la représentation française au sein de la C.O.I. doit être indianocéanienne. Dans le système de roulement des secrétaires généraux, le secrétaire général français, quand vient son tour, doit être Indianocéanien, comme le titulaire de la représentation française au Conseil des ministres de la C.O.I. Dans ces fonctions, il aurait rang de délégué du ministre français des affaires étrangères. Les relations françaises de notre gouvernement avec ces pays sur un plan général, devront être distinctes des relations françaises indianocéaniennes de la coopération communautaire. Les Français devront se concerter bien entendu, pour ne pas mener dans leur domaine respectif, des politiques contradictoires d’un point de vue national.
La Communauté, dans le respect des souverainetés des États, sera la force des Peuples pour leur développement. L’Histoire montre, en effet, que le changement réel de la situation des Peuples les plus défavorisés ne peut venir que d’eux-mêmes, sous la protection de leurs États et libres des lobbies économiques mondialistes. Compte tenu de ses ressources humaines, de ses ressources naturelles, des aides dont elle est éligible, la Communauté indianocéanienne peut devenir une Suisse de l’océan Indien en matière niveau de vie de ses Peuples. La fin de Madagascar, comme pays parmi les plus pauvres du monde, vaut bien l’effort pour l’idéal de la Communauté.

La C.O.I., outil politique des Peuples indianocéaniens

Dans ce contexte, les pouvoirs locaux des îles (y compris le pouvoir local réunionnais) devraient former, au sein de la C.O.I., un outil politique au service de leurs Peuples pour leur développement. La C.O.I. devrait, sans tarder, définir une politique indianocéanienne du développement de ses peuples : que peuvent-ils produire pour répondre à leurs besoins de biens et de services ? Que devront-ils exporter pour importer ce dont ils ont besoin et qu’ils ne peuvent pas produire ? Quelle politique de mobilité des personnes et des biens à l’intérieur de la Communauté pour favoriser l’implantation des moyens de développement là où ils devront être ? Quelle politique de formation communautaire des hommes ? Enfin, quelle politique concernant les aides africaines, asiatiques et européennes ? La C.O.I. doit devenir un outil politique de développement des Peuples entre les mains des autorités politiques des pays qui composent la Communauté.
L’ambition de la C.O.I. sera de faire changer directement la situation des Peuples, comme acteurs de leur développement.

La question de Mayotte

Reste l’épineuse question de Mayotte. Qu’elle soit comorienne ou française, Mayotte est Indianocéanienne. A cet égard, chaque camp conservant ses positions, Mayotte au titre de l’Indianocéanie ne peut pas être exclue de la Communauté jusqu’au moment où le contentieux sera réglé. Les modalités de la présence indianocéanienne de Mayotte sont à trouver, tous ensemble. Le développement de la Communauté contribuera à faciliter le règlement du contentieux actuel. Celui-ci, les principes des antagonistes étant pris en compte, ne devrait pas empêcher les changements de la situation des Peuples.
Au niveau de l’Indianocéanie, la volonté de la Communauté sera de respecter les positions opposées de la France et des Comores et de leurs partisans respectifs sans prendre parti et, en attendant la solution du contentieux, de mener, avec Mayotte indianocéanienne, sa politique de développement des Peuples.

Que faire ?

Nous venons d’esquisser ce qui pourrait être une politique indianocéanienne de La Réunion. Comment susciter un mouvement indianocéanien autour d’une politique commune ? Pour commencer, mon article sera ma « contribution » aux États généraux de La Réunion.
L’Indianocéanie devra être à l’ordre du jour de ses travaux. Pour nous, tout commence par un consensus réunionnais. Mais dans ce domaine comme dans d’autres, des initiatives peuvent être prises dès maintenant, sans attendre les conclusions des États généraux.
Le projet de Loi qui a été retiré de l’ordre du jour aurait dû faire l’objet, non pas seulement de coups de téléphone pour avoir des avis consultatifs de responsables locaux. Il aurait dû faire l’objet de travaux communs entre Paris et La Réunion (auxquels aurait pu être associée Mayotte). C’était l’occasion de définir une politique française indianocéanienne.
« Le respect des intégrités territoriales des États » prévu dans le projet de loi aurait provoqué des réactions mahoraises (ce qui a été le cas). Il y aurait eu une feuille de route arrêtée pour faire face à cette réelle difficulté selon le principe que Mayotte française ou comorienne est indianocéanienne.
En tout état de cause, il faut relancer la Communauté indianocéanienne des Peuples pour leur développement par eux-mêmes. Dans le respect des souverainetés des États, dans le recherche de solutions pragmatiques des problèmes qui se posent, en attendant les solutions aux contentieux actuels, dans la volonté de rechercher des solutions satisfaisantes à terme, dans la volonté, par-dessus tout de mobiliser les Peuples, la Région et le Département ensemble, pourraient lancer une campagne de rencontres avec les Comoriens, les Malgaches, les Mauriciens et les Seychellois en vue de préparer une rencontre générale pour définir cette fameuse politique indianocéanienne. La Commission territoriale élargie serait tout indiquée pour se charger de cette mission. Des représentants de la vie civile pourraient être associés à ses travaux.
La Réunion, comme dans les années 1970, pourrait être active, non plus pour créer la Communauté, mais pour lui redonner son esprit, la maîtrise et les moyens pour le développement des Peuples. Dans cette perspective, l’idéal de la Communauté est la solution la plus réaliste.


Paul Hoarau

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