Insertion jeunes dans la rue social

Campagne contre la «Braderie du social»

LIBRE EXPRESSION

Organisée ce 12 octobre 2023 par La Fédération des Acteurs de la Solidarité,

Une brève tribune focalisée sur quelques points essentiels, et suscitée par la campagne lancée sous l’intitulé « Braderie du social », par la Fédération des Acteurs de la Solidarité – FAS, dont le CEVIF est membre… pour que des réponses soient apportées dans l’urgence et dans la durée aux personnes et aux associations qui les accompagnent, par exemple dans les rues, les distributions alimentaires, et face aux lourds problèmes d’hébergement, de logement, de travail, de santé, ainsi que des violences physiques et sexuelles dans le cadre familial.

Je ne vais pas faire ici l’inventaire des difficultés qui s’accumulent. Quelques mentions : La pauvreté s’enracine partout et touche maintenant les classes moyennes, la disqualification sociale s’aggrave avec le vieillissement continu de la population, les inégalités sociales s’intensifient avec l’accroissement incoercible du coût de la vie. En dépit des mesures gouvernementales et des investissements consentis, les violences domestiques qui affectent couples et familles ne cessent d’augmenter. En 2023, l’Etat aura dépensé 184,4 millions d’euros pour lutter contre toutes les formes de violences faites aux femmes alors que les besoins atteignent entre 2,6 à 5,4 milliards d’euros.

Qui sont les acteurs du social concernés ?

Les associations vouées à la solidarité sont de plus en plus fréquemment partenaires de fait des institutions pour assumer des missions d’intérêt public. Inévitable ! Les institutions et collectivités, garantes de l’application des politiques sociales, semblent souvent loin de pouvoir en assurer la réalisation. Elles se déchargent, pourrait-on dire, de leurs responsabilités en subventionnant des associations auxquelles elles sous-traitent ce qui relève de leur champ de compétences…

Une des récentes illustrations de cette pratique (qui n’est pas à rejeter par principe) : l’hébergement  « chez l’habitant, des victimes de violences », suggéré aux associations elles-mêmes, pendant la durée du Grand Raid « cette période tendue »… Les services publics (Services sociaux du département, CCAS, services de la préfecture) sont dans l’impossibilité de faire face à ce problème, comme à pas mal d’autres, en dépit du milliard et demi d’euros consacré annuellement aux politiques sociales… Ce qu’un lecteur d’un media en ligne souligne spontanément « Il n’y a pas besoin du grand raid pour ne pas trouver de place pour une nuit pour une victime. Le week-end 115 complet, hôtel complet. Le week-end dernier, notre association a dû payer un gîte à une victime qui était à la rue dans le sud ».

La précarisation des acteurs de la solidarité associative

Deux menaces pèsent sur les engagements des associations et souvent sur leur survie, menaces parfois réelles et parfois fantasmées il est vrai, mais toujours provocatrices d’angoisse auprès des responsables et des conseils d’administration associatifs :

1 • La première menace concerne leur financement.

– Comment peut-on assurer avec efficacité et sérénité le projet social et les implications concrètes de l’association, vouée à suppléer aux difficultés du service public, voire à ses carences, lorsqu’on consacre le tiers de son temps à la recherche des financements destinés à leur réalisation, lorsque pour leur obtention, on est enfermé dans une remise en jeu annuelle contraignante et lorsque les montants accordés pour l’année ne parviennent à leur destinataire que vers la fin du mois d’août… ? On fait comment ?

– Il n’est évidemment pas question de manquer à la transparence absolue dès qu’il s’agit de fonds publics, mais comment soumettre sans complications interminables à la bureaucratie administrative les demandes de subventions, toujours tributaires de justifications plus ou moins fondées et vérifiables, d’analyses tatillonnes de bilans des années précédentes et de réponses aléatoires et…aboutissant trop souvent à des résultats simplement inadaptés, aussi bien aux missions assignées à la structure qu’à ses besoins de fonctionnement. Et inutile même de mentionner les réponses à des appels à projets ou les risques de prises d’initiative de démarches de projets, entreprises toujours des plus hasardeuses…

2 • La seconde menace est relative aux couleurs politiques en cours, à chaque fois que les équipes parvenues au pouvoir oublient à quel point les associations vouées à l’action sociale et à la solidarité sont appelées à remédier aux carences de leur propre administration. Chaque changement politique entraîne de ce fait une fragilisation du tissu associatif financé par les institutions. Chaque perception oscillante de la tendance et des appartenances en vogue également…

De fait, pour résumer, quels que puissent être leur objet et leurs finalités, au regard des autorités publiques les associations ont tendance à être considérées comme des demandeuses, voire des quémandeuses. Conséquence, leur statut s’apparente à celui d’un « centre de coût » et leurs frais de fonctionnement ne sont jamais véritablement considérés. La réussite de l’obtention de leurs financements est tributaire de variations de toute nature, qu’il leur est bien difficile de surmonter, qui peuvent être de l’ordre de la subjectivité affinitaire et politique, bien plus que de celle de l’impartialité budgétaire.

Force est de considérer que dans la réalité, la pratique associative quotidienne nous renvoie aux difficultés épuisantes de devoir suppléer de fait aux impossibilités des services publics de répondre aux besoins d’une frange croissante de la population en détresse et d’assumer en définitive leurs missions sans doute de plus en plus difficiles.

Face aux aggravations en cours… les réponses du gouvernement, comme celles des collectivités et de l’ensemble des institutions officielles, ne sont pas à la hauteur de la profonde fragilisation de millions de personnes, et certainement pas des besoins des associations qui, avec leurs bénévoles et leurs professionnels, se consacrent corps et âme à leur soutien, à leur accompagnement et aux tentatives de résolution des tribulations qui les accablent.

Des réflexions approfondies et des quêtes de solutions doivent être menées, réellement adaptées aux « détresses sociales » qui se multiplient

Parmi les propositions les plus modérées qui émergent,

  • Les associations vouées à la solidarité devraient être reconnues comme partenaires effectifs de l’action publique, selon une vision à plus long terme, avec, par exemple et pour le moins, la mise en place de financements pluriannuels et l’arrêt pur et simple des appels à projets.
  • Apparaît en outre comme importante, une simplification sérieuse des procédures de demande de subventions, avec peut-être un guichet unique à l’échelle de l’Etat ou d’une collectivité assignée à cette fonction.

Dans la mesure où doit être, hélas, reconnue l’évidence des difficultés, voire des déficits de l’action publique en direction de plusieurs catégories de publics, et particulièrement des familles et des parents :

  • De façon plus générale, et notamment en ce qui concerne les structures qui agissent quotidiennement auprès des victimes de violence, il devient important de requérir une reconnaissance de l’expertise et du professionnalisme de la collaboration associative, très précisément par une définition du cahier des charges relatives à toute intervention auprès des victimes de violences, par des associations dont la spécialisation indispensable doit être encadrée.

Si l’on va plus loin :

Je l’ai écrit ailleurs, les détresses humaines, ça peut aisément devenir le fonds de commerce de beaucoup de monde : institutions, associations, politiques… Mais ça ne doit pas être l’alibi d’une inaction des pouvoirs publics. Il ne suffit pas d’observer que beaucoup d’institutions garantes de l’application des politiques sociales n’ont d’autre recours que de se décharger (à bas prix) de leurs responsabilités, en subventionnant des associations auxquelles elles sous-traiteraint ce qui relève de leur champ de compétences, (ainsi que j’en fais l’observation dans l’introduction à cette tribune)… Et qu’elles puissent ainsi, le cas échéant, se débarrasser de ces associations, au gré des circonstances et des stratégies, sans que ça ne leur pose aucun problème déontologique, et quelles qu’en soient les conséquences humaines et sociales…

Il m’apparaît qu’il est indispensable dans le contexte actuel, de revendiquer l’idée que le mouvement associatif, au travers de la FAS par exemple, devrait bénéficier de mandats clairs, précis et exigeants, rémunérés de façon réaliste. Que ce soit au titre d’une délégation formelle de Service Public ou par substitution à des équipes de fonctionnaires manifestement débordées.

Dans les faits et non dans les dits, cette pratique de partenariat est tellement coutumière à la Réunion qu’elle ne provoque aucun questionnement. Pour la plupart des interventions de solidarité, le relais associatif semble être à la fois traditionnel et inévitable. Il s’agit bien ne pas éluder le problème des relations fonctionnelles entre le politique, l’administratif et l’associatif, dont les publics les plus fragiles, comme les structures associatives les plus engagées, sont en train de payer le prix fort. Pour sortir de la plainte récurrente à propos de « l’urgence sociale », l’orientation proposée dans ces lignes, de missions et de mandats associatifs clairement rémunérés, pourrait se révéler salvatrice.

Arnold Jaccoud

Chaque contribution publiée sur le média nous semble répondre aux critères élémentaires de respect des personnes et des communautés. Elle reflète l’opinion de son ou ses signataires, pas forcément celle du comité de lecture de Parallèle Sud.

A propos de l'auteur

Arnold Jaccoud | Reporter citoyen

« J’agis généralement dans le domaine de la psychologie sociale. Chercheur, intervenant de terrain, , formateur en matière de communication sociale, de ressources humaines et de processus collectifs, conférencier, j’ai toujours tenté de privilégier une approche systémique et transdisciplinaire du développement humain.

J’écris également des chroniques et des romans dédiés à l’observation des fonctionnements de notre société.

Conscient des frustrations éprouvées, pendant 3 dizaines d’années, dans mes tentatives de collaborer à de réelles transformations sociales, j’ai été contraint d’en prendre mon parti. « Lorsqu’on a la certitude de pouvoir changer les choses par l’engagement et l’action, on agit. Quand vient le moment de la prise de conscience et qu’on s’aperçoit de la vanité de tout ça, alors… on écrit des romans ».

Ce que je fais est évidemment dépourvu de toute prétention ! Les vers de Rostand me guident : » N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît – Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit – Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles – Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! » … « Bref, dédaignant d’être le lierre parasite – Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul – Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! » (Cyrano de Bergerac – Acte II – scène VIII) »
Arnold Jaccoud