Cédric Demaison raconte les « vagues » de la réalisation du clip Amont Amwin de Salangane

En tête à tête avec Cedric Demaison, photographe professionnel et réalisateur/vidéaste des clips vidéos Ola et Amont Amwin pour le groupe de maloya Salangane.

Sur les rebords bétonnés du front de mer de Saint-Leu, je rencontre Cedric Demaison pour la première fois. Au look « Rnb old school », casquette urbaine sur la tête siglée « SOVAZ », il m’accueille à l’occasion du tournage des dernières scènes du clip Amont Amwin pour le groupe réunionnais Salangane.

Accompagné de Harry, protagoniste principal du scénario et Gigi, figure féminine d’un amour passager sur l’île, on se rend dans un premier temps sous les filaos pour capturer quelques images menée par la direction amusante et remplie de blagues de Cédric Demaison.

Il lance le fameux “Action !”, Harry et Gigi se glissent dans la peau de leurs personnages respectifs avec aisance, on sent l’habitude de ce trio qui a déjà travaillé auparavant ensemble sur d’autres projets comme des pièces de théâtre et des teasers. En seulement une heure le tournage est officiellement clôturé avec efficacité et maîtrise, Cedric est satisfait et prêt à répondre à quelques questions que nous nous sommes posés.

Dans un premier temps, peux tu te présenter et nous décrire ton parcours ?

Cedric Demaison : Je suis photographe professionnel depuis 7 ans, vidéaste depuis 5 ans. Spécialiste des arts vivants, de la musique, du spectacle et des émotions vraies, je travaille au sein du Studio Éphémère. Je collabore avec des structures et artistes phares de La Réunion : Sakifo Productions, Théâtre Luc Donat, CDNOI, Cie Karanbolaz, Maya Kamaty, Gilbert Pounia, Bernard Joron, Emma Nona, Sergio Grondin, Daniel Léocadie, Florence Boyer, Didier Boutiana…

À la base, mon activité principale est la photographie mais à la demande de Stéphane Gaze, leader du groupe Salangane, je réalise leur premier clip “Ola” et comme ça a bien fonctionné il m’a fait confiance pour réaliser ce deuxième clip “Amont Amwin”. 

Comment imagines-tu le scénario d’un clip vidéo, par quelles réflexions passes-tu ? 

Alors il y’a beaucoup d’inspiration, je regarde énormément de choses, beaucoup de vidéos, beaucoup de clips. Je fais ce qu’on appelle en informatique de la “veille technologique” et notamment beaucoup de veille cinématographique. Je me renseigne tout le temps, je m’inspire de ce qui a déjà été fait parce que quand on est photographe ou vidéaste on ne réinvente pas la roue quoi ! Donc je prends des choses qui m’ont plues, des plans qui me plaisent, des émotions qui viennent et puis en fonction du morceau, j’élabore un storyboard. 

Combien de temps de préparation ça prend que ce soit en coulisse ou en temps de tournage ?

Moi je passe des nuits à écrire et à dessiner, je suis encore un peu à l’ancienne, j’ai un cahier. Et ce procédé d’écrire sur cahier me vient d’un vidéaste désormais parti en métropole : Vincent Laborde. Lui m’as appris cette espèce de version académique de fonctionner, c’est à dire écrire, dessiner, mettre sur papier ce que je ressens. En terme de temps, ça me prend à peu près deux à trois semaines d’écriture et ensuite j’organise le tournage qui lui a pris 3 jours. Les scènes vont vite une fois que tu as le storyboard et les idées en tête ! 

Comment choisis-tu ton équipe ?

Le choix des comédiens est crucial parce que je sais où je veux les emmener et comment les y emmener. C’est des gens qui font parti de compagnie de théâtre avec qui j’ai souvent déjà tourné donc maintenant je commence à avoir un book de comédiens assez important. Et comme j’essaye d’avoir un bon relationnel avec tout le monde, j’arrive je souris, je cause avec les techniciens, les administratifs… Ça permet d’avoir un book de comédiens où tu proposes un projet et si ça leur plaît, ils sont partants facilement, ils savent que ça va matcher ! Harry par exemple, j’ai tourné avec lui sur la pièce de marché de Chloé Lavaud intitulée “Pile et Face” et Gigi je la connais aussi depuis un petit moment par le biais de teasers et autres. Donc je savais que je n’allais pas en terrain inconnu avec des comédiens comme eux. 

Métier fascinant

Est ce qu’il y’a de la place pour de l’improvisation ?

Oui complètement, par exemple quand on tournait sous les filaos, Gigi m’as proposé des choses au niveau du regard et j’écoute, je switche en fonction ! L’improvisation c’est plus sur le moment même du tournage, disons que le cadre du scénario ne bouge pas, mais on improvise sur place, au niveau des gestes. Le fait de travailler avec des metteurs en scène c’est pareil, ils mettent un cadre aux comédiens et quand il y’a besoin d’improvisation ils leurs disent : là tu fais ce que t’as envie de faire, tu as de la place pour toi et c’est à ce moment là que le comédien, dans ce cadre et ce rôle, va s’approprier la chose et va proposer. 

J’ai été bercé par le noir et blanc, mes premières expériences en photographie c’est la pellicule en noir et blanc avec la Ilford 400.

Et le metteur en scène perd un peu le contrôle…

Non, je trouve que c’est un métier fascinant d’être metteur en scène ou scénographe. J’ai eu la chance de travailler récemment avec Raymond Sarti, scénographe métropolitain qui a participé à des grandes pièces en métropole. Et de pouvoir côtoyer un monstre de la scénographie comme lui c’est enrichissant. C’est incroyable de le voir à l’oeuvre, de voir comment il organise ses scènes et ses maquettes, pour moi c’est inspirant.

Et comment s’articule la relation de binôme avec Stephane Gaze sur ce projet ?

Sur Amont Amwin, Stéphane m’as donné des pistes et des réflexions au niveau des sentiments qu’il a ressentis lorsqu’il a composé le morceau. Notamment lors de son voyage initiatique en métropole, les moments de solitude et de galère mais aussi les émotions qui l’ont traversé lors de son retour à La Réunion et enfin les sentiments forts de la transmission, de l’héritage qu’il a reçu de ses parents. Bref, il m’as donné carte blanche.

Bercé par le noir et blanc

Comment as-tu rempli cette carte blanche ?

J’ai vraiment imaginé toute l’histoire de Harry, personnage fictif qui revient sur l’île intense, on ne sait pas pourquoi ni comment mais on suit sa traversée dans différents lieux emblématiques de La Réunion. Sur Ola par exemple, on avait la vision commune autour de la danse. Mais Stéphane voyait plus le parcours d’un danseur alors que moi j’imaginais quelque chose où on voyait davantage le groupe apparaître comme c’était leur premier clip à l’occasion de leur nouvel album Vwayaz. Mais ça reste un travail d’allers-retours entre nous. Mes idées doivent coller avec son histoire.

Justement, sur ce premier clip Ola, pourquoi avoir choisit le noir et blanc ?

Alors j’ai été bercé par le noir et blanc, mes premières expériences en photographie c’est la pellicule en noir et blanc avec la Ilford 400, ça a été mes premières armes au club photo du lycée, en 1994. J’ai eu envie de faire quelque chose de très contrasté, je trouve qu’il y’a une poésie qui se dégage du noir et blanc. C’est quelque chose qui me parle beaucoup. Mais j’écoute les retours des autres, les regards extérieurs. À la base j’avais fait un noir et blanc évocateur du passé et ma copine m’as dit que ça ne fonctionnait pas, donc je suis parti sur quelque chose de beaucoup plus contrasté et ça a très bien marché. Il faut avoir cette intelligence d’écouter ce qu’on te dit parce que tu n’as pas la science infuse, jamais ! 

Et si tu devais décrire ta D.A, ta direction artistique ?

Si ce n’était que moi, je pense que on aurait fait un clip très sombre pour Amont Amwin. Où le personnage s’enfonce dans ses problèmes, où il ne trouve pas de solution et à la fin sur la Plaine des Sables, il devient fou ! Sauf que Stéphane, comme c’est son histoire, voulait quelque chose qui s’ouvre et non qui se ferme. Personnellement ma D.A c’est plus quelque chose de dark, je suis en recherche de ça. Comment les personnages peuvent toucher le fond sans forcément remonter après. J’ai exploré cette facette notamment dans mes débuts en studio de photographie avec un projet “This is how I saw you” où je mettais les modèles en situation de déchéance complète. Maquillage qui coule, le mec avec sa bouteille de rhum, etc. Retranscrire des scènes et des images de débauche, c’est des choses qui m’intriguent et je pense que je n’ai pas encore fait le tour de la question. J’aime bien faire des choses qu’on n’a pas l’habitude de voir à la Réunion. 

Retoucher la couleur

Comment fais-tu, au moment du montage, pour que l’image suive le rythme de la musique ?

En fait la vidéo, ça fonctionne comme une vague. On part d’en bas, on arrive sur un point culminant et c’est là où le maximum d’émotions doit être. Après ça redescend, pour peut-être remonter après, sur une plus petite vague. En général la musique ça fonctionne comme ça. Sur le morceau de Salangane, Amont Amwin, ça démarre doucement, ça monte petit à petit, on arrive sur le deuxième couplet où on va avoir des émotions et après on retombe. Mais le montage et le cadrage ne sont pas ma spécialité donc je m’entoure de gens pour qui ça l’est. Ce que j’aime et qui m’intéresse, c’est la réalisation, j’aime bien avoir un pas en arrière et regarder les comédiens vibrer et recadrer en fonction. 

Retraites-tu beaucoup les images ?

Pour ce qui est du traitement de l’image, des couleurs choisies ou du grain appliqué, c’est mon domaine. J’ai l’idée en tête avant, je sais ce que je veux donner, par exemple là je sais que je veux quelque chose d’un peu passé, un peu vieille pellicule. J’ai en tête une simulation de film Fuji ! De l’Eterna ou du Bleach, dans ce genre là ! Et ensuite tu fais de l’étalonnage, scène par scène, donc c’est régler la colorimétrie, retoucher la couleur pour que ça colle à la scène d’avant.

Enfin sur Amont Amwin, quels sont les lieux emblématiques réunionnais choisis pour le tournage et pourquoi ?

J’ai choisi comme lieu phare le Volcan du Piton de la Fournaise, je voulais que ça soit l’aboutissement du voyage du personnage, que l’histoire commence et se termine au volcan telle une boucle. Ce lieu c’est le symbole de l’émotion, c’est tellement grandiose de tourner là-bas, il y’a quelque chose n’inexplicable, déjà c’est La Réunion, ça parle à beaucoup de Réunionnais mais ça peut aussi être un désert, un endroit imaginaire. 

C’est le point qui raccroche le début et la fin du clip. Après les autres lieux parlent d’eux mêmes, l’aéroport par exemple, parce que tous les gens partent et arrivent de là, je voulais que ça soit bien reconnaissable. Et puis la Grande Chaloupe car c’est un lieu marquant de l’histoire de La Réunion, le train est arrivé là, il y’a encore des rails et une gare.

Je voulais que les rails soient aussi un symbole du voyage du personnage, son sentiment vers la liberté, vers un espoir. Parce que maintenant les rails c’est l’espoir pour tous les Réunionnais d’avoir moins d’embouteillages. C’est porteur d’espoir. J’ai également choisi Saint-Leu parce que c’est une ville qui me parle, j’ai tourné le premier clip de Salangane ici donc encore une fois on reboucle la boucle. 

Entretien et photos : Okéana Hertkorn

Contribution bénévole

Le 27 novembre 2025 au Téat’ Plein Air de Saint-Gilles, le concert de Salangane sera illustré par les clips Ola et Amont Amwin de Cedric Demaison.