N’AYONS PAS PEUR DES MOTS
Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais de nos jours, on dédie tout et n’importe quoi à… tout et à n’importe quoi (ou n’importe qui). Un cagibi au rangement des poubelles, un coin de pelouse aux besoins du chien, tout, y compris des chroniques comme la mienne à la langue française. C’est dire l’étendue du désastre.
Aussi, ne me semble-t-il pas superflu de « dédier » mon billet du jour à ce terme qui, trop souvent, ne veut pas dire ce qu’on lui fait dire. Littré nous rappelle que le mot avait à l’origine une signification religieuse (« consacrer au culte divin, mettre sous la protection de Dieu, sous l’invocation d’un saint ») et que pire, il l’a conservée. Je vous l’accorde, la demoiselle a pris un sérieux coup de vieux, mais elle est toujours en activité.
Moins rigide, l’Office québécois de la langue française fait cependant obstacle de son corps à l’usage anarchique de ce très (trop) populaire descendant du latin dedicare : « En français, on peut dédier un monument à quelqu’un, dédier une œuvre à des personnes, dédier un concert à une cause, dédier un poème à l’amour, dédier une pensée à un être cher ou dédier sa vie à la défense des autres », nous dit-il. Selon lui, tout autre emploi relèverait d’un « emprunt sémantique » à l’anglais dedicated. God damn me !
En résumé, il sera loisible à un acteur de cinéma de dédier son César aux frères Lumière, à un champion de ski de dédier (et non de dédicacer, comme on l’entend souvent) sa médaille d’or à l’inventeur du remonte-pente (Robert Winterhalder, vous le saviez ?) ou à un homme politique de dédier sa victoire à tous ces électeurs auxquels ils pensent si fort et qui, à leurs risques et périls, lui ont… dédié leur voix. En revanche, arrêtons de faire de ce verbe devenu passe-partout un abusif synonyme d’« affecter », d’ « attribuer », de « réserver », de « destiner », j’en passe et des bien pires.
Promettez-moi que vous y penserez. Et gare à vous, cochon qui s’en dédit.
K.Pello
Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots