[Chronique dans le noir] Cécifoot Réunion aux jeux paralympiques

DU 28 AOUT AU 10 SEPTEMBRE 2024 : PREMIERS JEUX PARALYMPIQUES ORGANISÉS EN FRANCE

Six joueurs de Cécifoot 974 ainsi que quatre accompagnateurs ont été conviés sur Paris pour assister aux premiers jeux paralympiques organisés en France. Gaël Rivière, Réunionnais vice-champion paralympique en 2012 et avocat au barreau de Paris, ainsi que David Hoareau, encadrant de Cécifoot, témoignent.

Pour celui ou celle qui ne savent pas ce qu’est le Cécifoot, permettez-moi de vous le présenter. Le cécifoot est une discipline sportive adaptée pour les personnes atteintes de déficience visuelle. Le cécifoot est dérivé du football traditionnel et permet aux aveugles et malvoyants de s’adonner au sport le plus populaire sur la planète. Sa première apparition remonte aux années 1920, mais il est devenu un sport paralympique en 2004. Les joueurs portent des bandeaux pour assurer l’équité en termes de niveau de vision

Les règles du jeu et la composition des équipes

Une équipe de cécifoot est composée de cinq joueurs : quatre joueurs déficients visuels et un gardien de but voyant ou malvoyant. Chaque équipe a droit à cinq remplacements. Le ballon de cécifoot est légèrement plus petit que celui utilisé pour le football traditionnel. Il est équipé de petits grelots pour permettre aux non-voyants et malvoyants de deviner sa position. Tous les joueurs portent un masque occultant pour assurer l’équité. Ils se fient uniquement à leur ouïe pour jouer.

Le terrain de cécifoot est plus petit que celui du football standard (40 mètres de long et 20 mètres de large).  Des barrières latérales sont présentes pour empêcher le ballon de sortir des limites du terrain. 

Le combat de Cécifoot Réunion

L’Association Cécifoot Réunion, fondée depuis 2013, œuvre pour le développement du football pour aveugles sur l’île et dans l’océan Indien. Elle propose également des sensibilisations au handicap par le sport. 

Plongée dans le monde du Cécifoot : une expérience qui ouvre les yeux !

Initiation au Cécifoot, activité encadrée par David Hoareau, rééducateur à l’IRSAM et membre actif de l’association qui est présidée par Dany Hoarau, kinésithérapeute et pratiquant malvoyant.

Ce sport est pratiqué à 5 par des athlètes malvoyants ou non-voyants, seul le gardien peut être voyant. Avec une décennie d’existence et une dizaine de pratiquants à La Réunion, Cécifoot Réunion bénéficie, depuis six ans, du soutien du footballeur professionnel Thomas Fontaine. 

Chaque mois, deux actions de sensibilisations au handicap par le Cécifoot sont organisées. Des personnes valides sont mises en situation de handicap pour découvrir notre sport adapté. Les yeux bandés, les participants reçoivent des instructions, et jouent au foot mais avec un sens en moins. Cette expérience suscite bien souvent beaucoup de questions et de confusion. 

Comment traiter les informations provenant de notre environnement et les prioriser ? 

Comment développer la résilience nécessaire et placer sa confiance en une personne tierce un guide ? 

Cette activité souligne l’importance cruciale de la communication ainsi que la nécessité de clarté dans la transmission et la réception des informations, surtout dans un environnement où les informations fusent de toutes parts.

Qui a le droit de jouer

Il existe deux catégories : B1 (non-voyants) et B2/B3 (malvoyants). Il n’y a pas de limite d’âge de participation mais il faut quand même avoir 15 ans minimum. Pour les jeux paralympiques, les non-voyants jouent mais pas les malvoyants.

En métropole, on recense 8 équipes de Cécifoot et une équipe belge (Bordeaux, Anderlecht, Saint-Mandé, AVH Paris, Toulouse, Violaines, Clermont, Schiltigheim, Nantes). Et à La Réunion, pour 18 000 déficients visuels, soit 1 à 2% de la population de l’Ile, on compte une équipe ! 

Le Cécifoot est bien ancré à l’île de La Réunion. C’est le seul lieu dans l’océan Indien doté d’une telle équipe. Il faudrait que puissent se développer d’autres structures à Madagascar et en Afrique, de Cécifoot certes, mais aussi d’autres sports adaptés pour déficients visuels. 

L’équipe Cécifoot de La Réunion s’est déplacée en métropole, aux jeux paralympiques de Rio en tant que spectateurs (cérémonie d’ouverture au stade Maracana), au Brésil (présentation du Cécifoot au lycée français de Rio, visite du Corcovado et pain de Sucre, matchs). 

D’autres déplacements sont prévuspour promouvoir le développement du Cécifoot à l’île Maurice, en Guadeloupe et à Madagascar. 

L’équipe de Cécifoot Réunion est encadrée par David Hoareau. Son président est Dany Hoarau

Mais pour le moment laissons l’équipe de Cécifoot Réunion savourer toutes les sensations sportives de ces jeux paralympiques 2024.

Jean-Phillipe Sévagamy

TÉMOIGNAGE DE DAVID HOAREAU, ENCADRANT DE CÉCIFOOT RÉUNION

S’épanouir à travers le sport et atteindre son objectif

La conviction qui anime David Hoareau est qu’il convient de considérer les « joueurs de cécifoot» avant tout comme des sportifs et non comme des personnes handicapées. 

Le handicap stigmatise les personnes, les place dans une situation particulière tandis que lui s’attache à montrer que ces joueurs sont des jeunes hommes avant tout, avant d’être porteurs de handicap, et qui sont capables de faire des choses, dont du sport, mais autrement. 

Quelques mots qui reviennent souvent : partage, solidarité, ouverture, dimension humaine.

Cécifoot Réunion s’inscrit dans une démarche d’ouverture, de rencontres et de découvertes.

Actions de sensibilisation

David promeut des actions de sensibilisation dans les centres aérés, les écoles, les clubs de foot ; faire connaître passe aussi par des rencontres avec des sportifs professionnels connus.  Ainsi Thomas Fontaine (joueur pro de football ligue 1 stade de Reims) est le parrain de l’équipe réunionnaise.

Le Conseil départemental de La Réunion est sensible à ces actions d’intégration sociale. Ainsi, la logistique nécessaire pour les déplacements est soutenue par le Département et les TRJS (Territoires Ruraux Jeunesse et Sports).

David affirme qu’il préfère mille fois un euro qui vient sponsoriser une action sportive plutôt qu’un euro qui vient pour promouvoir l’aide aux personnes handicapées. 

Avoir des idées c’est bien, pouvoir les mettre en pratique c’est mieux ; mais cela nécessite des apports financiers afin de pouvoir vivre de belles aventures humaines et sportives.

Ouverture aux autres

L’ouverture va dans les deux sens dès lors que la partie se joue entre des joueurs voyants et des non-voyants.

Pour tous, les règles de sécurité sont rassurantes, nécessaires et permettent d’être à fond dans le jeu. Les joueurs valides, pourtant bons sportifs, sont en difficulté lorsqu’ils se rendent compte de l’attention exigée à tous niveaux : pour entendre le ballon, pour se situer sur le terrain, pour effectuer les passes quand on ne voit pas ses coéquipiers.

« C’est vraiment la découverte d’un autre monde, la prise de conscience des difficultés occasionnées par la cécité dans la vie de tous les jours. Mais on a pris beaucoup de plaisir à jouer ensemble !»

Les joueurs déficients visuels apprécient l’occasion ainsi donnée de sortir de chez eux, d’avoir un but et de se retrouver avec d’autres.

Les déplacements en métropole ou pour les jeux paralympiques de Rio sont autant d’opportunités pour découvrir le monde au-delà de La Réunion,

Ces déplacements permettent aussi de se confronter à d’autres joueurs, de ne pas jouer uniquement avec les équipes auxquelles on est habitué.

Des vertus éducatives

Ce sport permet de développer des facultés compensatoires et de travailler l’autonomie, il n’y a pas de canne sur le terrain ! 

« Se repérer ça donne confiance, et puis c’est tellement bien de pratiquer un sport qu’on aime ! On se dépasse. Finalement c’est comme le foot sauf qu’on est sous bandeau et avec un ballon sonore, c’est juste adapté. »

Le sport adapté est un moyen parmi d’autres de redynamiser une vie sociale effacée. La culture, le sport sont des moyens de s’ouvrir aux autres et au monde, cela permet de faire preuve d’une certaine audace et de mettre en action le fameux «Quand on veut, on peut ». Le fait de se retrouver entre pairs dans la déficience visuelle, au sein d’une équipe soudée, permet de renforcer une identité que la comparaison avec le monde des bien-voyants met à mal parfois, « de construire une identité heureuse ». David explique : « Permettre aux jeunes de faire, de refaire du sport c’est leur permettre d’être valorisés dans une pratique sportive et de développer, pour chacun, l’estime de soi.» 

Quand « l’autonomie favorise la liberté »

Gaël Rivière est un modèle pour nous tous. Notre champion est la pépite de l’équipe de France en lice pour les jeux olympiques et paralympiques. C’est la fierté de notre île ! Un espoir pour nos jeunes aveugles !

Gaël Rivière, vice-champion paralympique en 2012, avocat au barreau de Paris, nous a fait l’honneur de son témoignage alors même qu’il est actuellement en préparation olympique avec l’équipe de France au Brésil. Il a retracé les grandes lignes de son parcours de vie et professionnel : une intervention inspirante.

Né aveugle à Sainte-Anne (Ile de La Réunion), Gaël a suivi son cursus scolaire dans un milieu spécialisé jusqu’au collège. Il remercie ses parents d’avoir accepté de le laisser explorer le monde par lui-même au lieu de le « surprotéger ». Il a ainsi quitté La Réunion à l’âge de 15 ans pour intégrer un lycée en milieu ordinaire en France hexagonale et poursuivre des études de droit à Assas. Depuis 2015, il exerce en tant qu’avocat au sein d’un cabinet parisien spécialisé dans le droit des affaires et fiscalité, comptant 180 avocats.

Lors de ses entretiens de recrutement, il avait pris le parti de ne pas stipuler sa situation de handicap sur son CV. Il nous a expliqué avec humour avoir observé « une inversion des rôles » à son embauche : c’est lui qui a rassuré son employeur sur ce qu’il pouvait faire et ce dont il avait besoin pour faire !

Voici quelques conseils de Gaël :

  •  Selon ses besoins, utiliser les outils permettant une meilleure adaptation au milieu professionnel : les logiciels de lecture d’écran, plage braille. D’ailleurs il reconnait que l’IA (intelligence artificielle) peut déjà apporter des avancées dans l’amélioration de son quotidien professionnel. Rassurer ses interlocuteurs en mettant en avant sa connaissance de ses capacités et de ses limites.
  • Demander de l’aide pour effectuer des tâches qu’on ne peut pas faire seul ; par exemple, dans son travail actuel, il fait appel à une assistante pour vérifier la forme de ses documents.
+

Jeux paralympiques

A propos de l'auteur

Jean-Philippe Sevagamy | Reporter citoyen

Jean-Philippe Sévagamy est non-voyant et membre actif de l'Association Valentin Haüy. Il surmonte son handicap en portant de multiples projets au profit des déficients visuels (DV). Il raconte comment « vivre dans le noir » pour les lecteurs de Parallèle Sud.