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[Chronique] Forfait : tout à déclarer

N’AYONS PAS PEUR DES MOTS

Parallèle Sud accueille dans ses colonnes les critiques d’un dévoreur de phrases qui peut passer pour un sacré pinailleur.

N’Golo Kanté, Paul Pogba, Mike Maignan, Presnel Kimpembe et depuis mardi, Christopher Nkunku. « La liste des blessés et des forfaits s’allonge du côté de l’équipe de France », s’inquiétait récemment le quotidien régional Ouest-France, repris en chœur par nombre de ses petits camarades de jeu. 

Alors que son coup d’envoi n’a pas encore été donné, le décrié Mondial qatarien de football est-il en train de se jouer dans l’infirmerie pour nos Bleus chéris, obligés de défendre leur titre malgré l’absence de plusieurs de leurs stars ? Forfait par-ci, forfait par-là, le mot n’a (hélas !) jamais été aussi présent dans les colonnes de nos journaux préférés et ceux que l’on aime moins, exception faite du Quotidien de La Réunion qui, fidèle à sa décision de boycotter la compétition, continue de faire comme si de rien n’était. 

S’il s’est installé dans l’usage au sens — abusif — d’ « être indisponible », le tour « être forfait »  essuie des pluies de critiques sur le terrain linguistique. Les puristes persistent (à juste titre) à le siffler hors-jeu, ne voyant en lui qu’un raccourci maladroit de l’expression d’origine hippique « déclarer forfait », dans laquelle « forfait » désignait l’indemnité due par le propriétaire d’un cheval qui, après l’avoir engagé dans une course, renonçait à l’aligner sur la ligne de départ. 

Depuis lors, le mot a fait son chemin. De nos jours, « forfait » a pris le sens de « renoncement », d’ « abandon ». Il décrit donc une action et non un état, contrairement à ce que pourrait laisser croire la forme erronée « être forfait », à qui le peu regardant Larousse (il est pour l’instant le seul) a déjà ouvert les pages de son petit dictionnaire illustré à défaut de l’évoquer dans sa version numérique. 

Malgré les mises en garde répétées des arbitres de la langue française, la locution fautive a solidement planté ses crampons sur la pelouse médiatique. À tel point qu’il serait vain d’essayer de convaincre mes confrères journalistes de laisser au vestiaire ce vilain réflexe de langage. J’en sais quelque chose, ce match-là est perdu d’avance. Au vu du nombre d’emplois proscrits relevés chaque jour dans la presse, j’ai dû me rendre à l’évidence : au sein des rédactions, tout le monde s’en… foot. 

Faut-il s’en étonner ? Pas vraiment. Un soir de 1990, le grand attaquant anglais Gary Lineker prononça cette phrase devenue célèbre : « Le football est un sport qui se joue à onze contre onze, et à la fin, c’est l’Allemagne qui gagne ». En français, c’est toujours l’usage qui finit par repartir avec la coupe du vainqueur. 

K.Pello

Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots

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