Procession lors de la fête de la Salette à la Ligne des Bambous le dimanche 18 septembre 2022.

[Chronique] La peur du vide

N’AYONS PAS PEUR DES MOTS

Lu ce matin sur un site local d’information : « À peine installé, Thierry Sorin a dressé le bilan de l’activité « très dense » des juridictions de Saint-Denis et Mamoudzou, notant que pour « la 3e année consécutive », ces tribunaux ont dépassé le nombre des 6 000 requêtes enregistrées, dont près de 4 000 référés, c’est à dire des procédures d’urgence. »

Encore un mot victime des caprices de l’usage, mais « pas queuuuu… » Si l’on s’en tient à ce que nous disent les ouvrages de référence, « consécutif » s’applique à plusieurs choses qui se suivent sans interruption dans le temps. À quelques virgules près, l’Académie, Larousse, Le Robert et Littré nous offrent la même définition. Et des exemples à l’unisson : « Il a plu pendant six jours consécutifs » (Robert) ; « Pendant trois jours consécutifs (Littré) ; « Dormir dix heures consécutives » (Larousse). 

Partant du principe de pur bon sens qu’il faut au minimum deux éléments pour former une suite, les expressions du type « pour la quatrième année consécutive », « pour la troisième fois consécutive » ou « une dixième victoire consécutive » ne sont donc rien de moins qu’absurdes. Dans son Bon Usage, Maurice Grevisse s’en indigne. « Les adjectifs « consécutif » et « successif » ne devraient être employés qu’au pluriel, étant donné leur sens, ‘’qui se suivent’’ », affirme-t-il.  Avant de déplorer : « Le singulier est loin d’être rare, surtout avec un ordinal. »

Il suffit en effet de parcourir la presse numérique francophone pour constater l’ampleur des dégâts :  50 occurrences consultées et 92% d’emplois fautifs. 

« La Bourse de Bruxelles termine en hausse pour le quatrième jour consécutif » (La Libre Belgique)

« Pour l’équipe fanion du Stade Langonnais, c’est un deuxième week-end consécutif sans compétition » (Sud Ouest)

« Les Voltigeurs de Châteaubriant viennent d’enchaîner un deuxième revers consécutif en championnat sur la pelouse de Romorantin (1-0) » (Ouest-France)

« Les secouristes s’activent ce vendredi, pour le quatrième jour consécutif, dans l’espoir d’extraire vivant le petit Rayan » (L’Express)

La liste est longue et personne ne s’en offusque, malgré la volonté commune – c’est suffisamment rare pour le signaler – de nos chers dictionnaires de ne pas se laisser séduire par l’usage. Dommage que leur louable résistance n’ait pas reçu le soutien des grammairiens Joseph Hanse et Daniel Blampain, pour qui « l’emploi de « consécutif » au singulier, gardant le sens qu’il a au pluriel de « de suite », est très courant et très clair » (6e édition du Dictionnaire des difficultés du français).  

Une position, je le dis tout de suite, que mon esprit cartésien ne saurait partager. Selon moi, il ne fait qucun doute que « consécutif » ne doit s’employer au singulier que lorsqu’il signifie « qui est le résultat, la conséquence de quelque chose », comme dans l’exemple suivant : « Un Plan de prévention des risques technologiques (PPRT) a été élaboré en 2014 pour gérer les risques et contribuer à leur réduction, particulièrement l’effet de surpression consécutif à une explosion. » (Paris Normandie)

Le hic, et il est mastoc, c’est que la langue française n’offre pas de substituts ad hoc à l’emploi incorrect de « consécutif ». Présentées comme de possibles succédanés, les locutions « de suite », « à la file », « de rang » ou « d’affilée » n’ont pas davantage de légitimité à accompagner un nom au singulier. 

Alors, que faire ? Comme toujours, il est possible de contourner l’obstacle : « Les impôts ont augmenté pour la quatrième année en quatre ans » ; « Le PSG devra se passer de Neymar pour la quatrième fois en l’espace de quatre matches » ; « Le XV de France a remporté consécutivement six victoires » … Correct sur le fond, mais lourd sur la forme. 

Hélas ! je crains donc que ce singulier « consécutif » n’ait de beaux jours devant lui, et cela, au mépris de toute logique grammaticale. Mais quel poids peut bien avoir la logique devant l’irrépressible besoin qu’a l’usage de combler ce vide dont le locuteur a horreur ?

K.Pello

Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots

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Kozé libre

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