N’AYONS PAS PEUR DES MOTS
Parallèle Sud accueille dans ses colonnes les critiques d’un dévoreur de phrases qui peut passer pour un sacré pinailleur.
Lu il y a quelques jours : «… cette chaîne agroalimentaire est reconnue comme l’une des plus qualitatives au monde et un puissant levier d’emplois. » (témoignages.re)
Mais aussi : « Des évolutions nécessaires dans un secteur ou la technologie n’a pas cessé de progresser depuis les antiques alambiques (sic) jusqu’aux colonnes de distillation modernes, pour produire des rhums de plus en plus qualitatifs. » (clicanoo.re)
En sa qualité d’adjectif, « qualitatif » signifie « qui relève de la qualité, de la nature de quelque chose, de la manière d’être ». Ainsi peut-on parler d’« une différence qualitative », du « contrôle qualitatif d’un produit » (Larousse), d’une « analyse qualitative » (Robert), d’une « étude, [de] recherche qualitative » (Académie).
La définition me semblait suffisamment claire pour qu’on ne la transgressât pas. Or, pour une raison que ma raison ignore, l’usage actuel a fait dudit terme un synonyme de « qui est de bonne qualité ». L’Académie française n’a pas manqué de s’en offusquer. Dans leur rubrique Dire, ne pas dire, les Immortels du quai de Conti écrivent ainsi : « On se gardera bien de confondre l’adjectif qualitatif avec la locution adjectivale de qualité ou des formes de même sens. » En clair, on ne remplacera donc pas du « matériel de qualité » par du « matériel qualitatif », « nos compétences » par « notre domaine qualitatif » ou un « bon hôtel » par un « hôtel qualitatif », nous expliquent-ils.
Il fallait s’en douter, la mise en garde n’aura été qu’un — énième — coup d’épée académique dans l’eau, tant les emplois fautifs continuent de proliférer, y compris dans les médias :
— « Les trois amis ouvrent un bar, snacking et resto ouvrier à Crozon qualitatif » (Ouest-France)
— « KOBOON : un produit qualitatif est un produit qui se vend presque tout seul ! » (Toute la franchise)
— « Un cameraman handicapé physique encourage les jeunes à un travail qualitatif » (MSN)
Jusqu’à présent, Larousse et Robert ont su résister à un tel raz-de-marée. Nous ne pouvons que nous en réjouir. On a déjà vu nos Dupond et Dupont de la langue se laisser emporter par des lames de fond moins violentes et… quantitatives.
K. Pello
Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots