LIVRES A DOMICILE
La journée de la poésie a été créée par l’UNESCO en 1999, afin de « soutenir la diversité linguistique et culturelle de nos sociétés à travers l’expression poétique et d’offrir aux langues qui risquent de disparaître la possibilité de se faire entendre au sein de leurs communautés » (1). Voilà qui concerne particulièrement les auteurs et autrices de la Réunion, dont les œuvres sont de plus en plus écrites en créole, et qui multiplient les rencontres et fonkèr à travers l’île.
Une journée pour tout… et parfois n’importe quoi
Bien sûr, on pourra juger purement symbolique ce genre d’événement, d’autant que l’O.N.U. ainsi que d’autres organismes et même de simples particuliers, n’ont pas manqué d’inventer une journée particulière pour toutes sortes de causes : la journée du sommeil, du recyclage, de l’eau, de la santé, les journées de la jeunesse, des zones humides, sans tabac, et bien sûr les journées de l’égalité des chances, des câlins, des gauchers, des roux, de la visibilité transgenre… Bref, c’est un peu comme un placebo : même si ça ne change rien, ça ne peut pas faire de mal.
La poésie est essentielle. Tout le monde le dit, mais peu de gens la lisent. Une expression : « nous sommes tous des poètes » entretient l’ambiguïté, tout en rassurant ceux qui n’ont jamais lu le moindre recueil.
Introspection ou somnifère ?
Mais si le 21 en est la journée officielle, la poésie est fêtée durant tout le mois de mars. Et même toute une saison avec ce qu’on appelle, dans l’hémisphère nord, « le Printemps des Poètes ». On a d’ailleurs pu constater à cette occasion, que les versifleurs ne sont pas seulement douceur et « grâce », comme le programme le thème de cette année. Querelles politocardes et jalousies haineuses alimentent aussi parfois leurs muses.
Mais au fait, qui sont les poètes d’aujourd’hui ? Parmi les plus connus – ou les moins méconnus – on peut citer Alain Mabanckou, Antoine Émaz, Olivier Barbarant, Yvon Le Men, ou encore Michel Deguy et Charles Juliet, Goncourts de la poésie. Et les femmes, alors, c’est pas leur journée ? Si, rassurez-vous : Rim Battal, Sophie Martin ou Cécile Coulon ont même l’avantage de la jeunesse.
Je médite ou tu m’édites ?
Aussi étonnant que ça puisse paraître au néophyte, on trouve des dizaines d’éditeurs de poésie en France. Ils reçoivent des milliers de manuscrits, la plupart invendables. C’est d’ailleurs pour ça que certains font payer les auteurs d’avance ! Les éditeurs, comme leurs auteurs, doivent en effet se partager un lectorat très ciblé.
Alors, faute d’éditeur, dois-je m’éditer tout seul dans mon coin ? Pas nécessairement. On peut aussi s’exprimer dans des salles où l’on slame, où l’on déclame, de manière parfois encore trop emphatique parfois. Car si écrire un bon poème n’est pas facile, le lire en public est encore plus périlleux.
A la Réunion, nous avons peut-être un temps d’avance dans ce domaine : d’une part, beaucoup de nos poètes et poétesses demeurent plus engagés qu’en métropole, et d’autre part, très souvent, sont aussi acteurs et savent faire passer la puissance de leurs mots par celle de leur voix.
Car si l’écrit est un cri, l’oral n’est pas qu’un râle. Face à un public, même restreint, la poètesse slameuse-fonnkézèz peut obtenir autant de succès que sur un rayon de librairie. D’ailleurs, la scène ne constitue-t-elle pas le moyen d’expression le plus concret pour tout artiste, qu’il soit comédien, chanteur ou poète ?
Evolution sans révolution
Le public accroche mal à ces récits souvent introspectifs, à la forme qu’il juge confuse, voire abstraite. La poésie n’a-t-elle pas évolué comme la musique ou la peinture, partant d’images figuratives aisément identifiables, pour ne plus trouver la nouveauté que dans une recherche symbolique dont le sens n’est parfois compréhensible que par l’auteur lui-même ? Seuls les génies demeurent immortels.
D’ailleurs, la poésie n’est pas que de l’imaginaire, du rêve, de la beauté diaphane. Quels sont les poètes qui restent célèbres bien après leur mort ? Ceux qui se sont montrés les plus réalistes, ouverts au monde et à ses problèmes, s’attaquant aux maux de la société. Les poèmes les plus célèbres ne sont-ils pas les plus clairs ? Depuis François Villon, La Fontaine, jusqu’à Prévert ou Aragon en passant par Hugo et Baudelaire. Ceux qui marquent durablement la littérature sont donc en grande partie des rebelles, qui parfois payent leur liberté de leur vie, comme Garcia Lorca exécuté par les franquistes, ou Robert Desnos et Max Jacob par les nazis, puis les poètes juifs assassinés par Staline, l’algérien indépendantiste Jean Senac, et dernièrement, Heba Abou Nada et d’autres à Gaza. (2) . Mais qui s’en soucie ?
La poésie n’est pas faite pour endormir les gens, même si c’est peut-être le souhait de certains dirigeants qui préfèrent la littérature de salon. Laissons leur la journée « officielle », et devenons poètes les 364 jours restants !
Alain Bled
(1) source Wikipedia ou site Unesco
(2) https://agencemediapalestine.fr/blog/2023/12/23/ce-sont-les-poetes-et-les-ecrivains-et-ecrivaines-qui-ont-ete-tue-e-s-a-gaza/