[Chronique] Le poids — colonial — des mots

N’AYONS PAS PEUR DES MOTS

Parallèle Sud accueille dans ses colonnes les critiques d’un dévoreur de phrases qui peut passer pour un sacré pinailleur.

Lu cette semaine : « La période de répression neo-coloniale des années 1960-1970 a laissé des traces dans les esprits d’habitants de pays qui subirent le colonialisme français, sinon pourquoi demander à remplacer « Métropole » par « Hexagone » plutôt que par « France » dans les futurs textes de loi ? » (témoignages.re


Un débat sensible peut en cacher un autre. L’amendement déposé par le député guadeloupéen Olivier Serva, visant à remplacer le terme « métropole » par « Hexagone » dans la loi de programmation militaire, a relégué au second plan la polémique sur le déplacement de la statue de Mahé de La Bourdonnais. Deux cas différents, mais une volonté bel et bien commune : alléger l’Outre-mer du poids de son lourd passé colonial en faisant disparaître certains de ses plus douloureux symboles. 


Cette fois, aucune sculpture en bronze à déboulonner, mais un remaniement sémantique à graver dans le marbre. « Les mots, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ont une force d’assignation, c’est-à-dire ils nous disent comment nous sommes vus et comment nous acceptons d’être vus, justifiait il y a quelques jours Corinne Mensé-Caster, dans une interview accordée à Franceinfo. Donc les refuser, c’est revendiquer une nouvelle posture et être dans une logique d’un dialogue où nous serons notre propre centre. »
Pour l’ex-présidente de l’université des Antilles, « les mots ne sont pas innocents et influent sur notre manière de voir le monde. Ce n’est pas pour rien qu’il y a tout le temps des néologismes, des réactualisations des mots, ajoute-t-elle. Parce que cela permet de dynamiser la vision des choses et de modifier l’ordre socio-politique. »


Rien ne destinait pourtant le mot « métropole » à se retrouver ainsi dans l’œil de cyclone. Issu du grec mêtropolis (« ville mère »), il signifia d’abord « cité qui a fondé une ou plusieurs colonies », puis, dans l’antiquité romaine, « capitale administrative d’une province de l’Empire ». Dans l’Église primitive chrétienne, il désigna « le siège d’un évêché dont le titulaire possédait la prééminence sur d’autres évêques et exerçait certains pouvoirs de juridiction », rappelle l’Académie. Il « désigne toujours la capitale d’une province ecclésiastique, où se trouve le siège archiépiscopal ». De  nos jours, il est couramment employé au sens de « ville la plus importante d’une province, d’une région, d’un pays ».
Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que « métropole » prit l’acception « exotique » qui aujourd’hui dérange, en l’occurrence : « État considéré relativement à ses colonies ou à d’anciennes colonies et possessions d’outre-mer », une définition que partagent à la virgule près le trio Robert-Larousse-Littré. 


Les mauvaises langues diront que, plutôt que de s’épuiser à vouloir déboulonner les mots qui fâchent, nos élus devraient consacrer toute leur énergie à la lutte contre les fléaux qui frappent les territoires ultramarins (la cherté de la vie, le chômage chez les jeunes, le creusement des inégalités sociales, l’insécurité grandissante… ), d’autant que la question soulevée par Olivier Serva n’est pas nouvelle. Elle figurait déjà au menu des États généraux de l’Outre-mer de 2009. Elle ne donna lieu à aucune avancée concrète.

Quatorze ans plus tard, le serpent de l’Outre-mer refait surface.  

K. Pello

Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots

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