N’AYONS PAS PEUR DES MOTS
Nous sommes tous des tortionnaires. Qui nous ignorons, certes, mais nous sommes tous des tortionnaires. Et pour cause, sans même le savoir, nous passons notre temps à infliger les pires outrages, les pires avanies, à cette belle langue qui est la nôtre et à nombre de ses expressions dont nous galvaudons le sens, la forme quand ce n’est pas tout simplement l’orthographe.
« Tirer les marrons du feu », « faire des coupes sombres », « sans coup férir », « le retour de l’enfant prodigue », « lever un lièvre », « battre son plein », « tomber dans le lacs », « il y a péril en la demeure », « se dorer la pilule », « descendre en flammes », « au temps pour moi », « souffrir mille morts», les inséparables « loin de là » et « tant s’en faut », « pousser des cris d’orfraie » ou encore « faire long feu » et sa voisine de palier « ne pas faire long feu » qui, contrairement à ce que beaucoup croient, n’est pas le contraire de la précédente : décennie après décennie, la liste de nos victimes ne cesse de s’allonger.
En hommage à ces malheureuses que nous maltraitons à l’envi (tiens, en voilà une sur laquelle je reviendrai !) et « à l’insu de notre plein gré » aurait dit Richard Virenque, l’un de mes poètes du sport préférés avec Franck Ribéry, j’ai donc décidé de vous raconter leur histoire, selon une périodicité non établie. Pas question pour autant de rompre avec la tradition instaurée depuis près de deux ans et c’est à partir d’une « perle » pêchée dans un média local que je me propose d’ouvrir ma chronique hebdomadaire :
– « Fidèles à leurs habitudes, ses protégés se sont jetés comme des morts de faim sur tous les ballons, sans pour autant parvenir à percer le rideau défensif saint-joséphois. »
En la matière, mes anciens confrères de la capitale ne sont pas exempts de tout reproche. Témoin, cet extrait du quotidien Ouest-France : « L’arrière quimpérois sait tout faire ou presque : driver, shooter de loin, et plus que tout, défendre son bout de terrain comme un mort de faim. » Pour tout dire, qu’elle soit de l’Hexagone ou d’outre-mer, la presse sportive s’en délecte jusqu’à plus soif. L’expression fautive « comme un mort de faim » n’en finit plus de circuler impunément dans l’usage au détriment de la très respectable mais désuète locution « comme un meurt-de-faim ». La confusion est d’autant plus « savoureuse » qu’il existe entre les deux une différence majeure : dans l’une, la personne est morte, dans l’autre, elle est toujours bien vivante. Vous en conviendrez, la nuance a son importance, surtout pour l’intéressée.
Sachez que le nom composé et invariable « meurt-de-faim », car il s’agit bien d’un nom, d’où la présence des traits d’union, n’a rien d’un jouvenceau. Il est né au début du XVIIe siècle d’un mariage peu conventionnel entre la forme verbale « meurt » – au sens de « en train de mourir » – et le substantif « faim ». Synonyme de « crève-la-faim », bâti sur le même principe, le terme désignait, et désigne toujours si l’on en croit nos dictionnaires usuels, un « miséreux n’ayant pas même de quoi subsister », nous dit l’Académie. Dès lors, on comprendra aisément l’acharnement du malheureux à lutter pour ne pas passer du statut de « meurt-de-faim » à celui de « mort de faim », ce dernier n’ayant plus rien à espérer. Si ce n’est le repas éternel…
K. Pello
Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots