N’AYONS PAS PEUR DES MOTS
Parallèle Sud accueille dans ses colonnes les critiques d’un dévoreur de phrases qui peut passer pour un sacré pinailleur.
Je préfère vous prévenir : ce présent billet n’est pas un cadeau pour qui attend de la langue française certitude et clarté. Ce préalable évacué, l’ancien journaliste sportif que je suis ne pouvait rester de marbre face au nouvel exploit d’Oriane Bertone, petit bout de femme aux membres d’acier qui ne cesse de hisser La Réunion toujours plus haut dans la hiérarchie mondiale de l’escalade. En remportant son premier titre national senior de bloc, notre « grimpeuse péi » a une fois encore mis notre île « en lèr ». Résultat : à seulement 17 ans, la demoiselle n’en finit plus de gravir les échelons qui pourraient la mener dans un avenir pas si lointain au sommet de sa discipline de prédilection.
Bien sûr, nos médias locaux n’ont pas manqué de saluer l’événement, l’un d’entre eux se félicitant que l’insatiable Avironnaise ait « répondu présente » le week-end dernier, à Valence (Drôme). L’expression, bien sûr, n’a pas manqué de me rappeler qu’elle est de celles — ô combien nombreuses ! — qui gênent aux entournures les grands penseurs de la langue. En effet, doit-on dire « répondre présent » ou « répondre présente » quand le sujet du verbe est une femme ?
Pourquoi tant de réticences ?
Voyons ce qu’en pensent les linguistes ! Sans hésiter, Joseph Hanse et Adolphe Thomas prônent l’invariabilité. Tout en la privilégiant lui aussi, Jean Girodet fait preuve d’un étonnant esprit d’ouverture, jugeant que « l’emploi du féminin ne saurait être tenu pour incorrect ». Selon son habitude, le contemplatif Maurice Grevisse ne se positionne pas. L’auteur du Bon Usage se contente de citer l’exemple suivant : « Elles étaient deux mille à avoir répondu… présente. » Faut-il y voir le début d’une prise de position ? Sans autre forme de justification, l’Académie nous laisse le choix : « Ils ont répondu présents ou présent à l’appel de la Nation. » Enfin, n’espérez surtout pas d’aide de la part de Larousse et Robert. Est-ce une surprise, aucun des deux n’aborde de front l’épineuse question. Une fois de plus, c’est quand on a besoin d’eux que nos Dupont et Dupond sont aux abonnés absents. Remarquez, leur copain Littré ne se mouille pas davantage.
Dès lors, et faut-il s’en étonner, l’usage courant est à tout le moins flottant. Les médias avancent à tâtons, à l’image du quotidien sportif L’Équipe, incapable de se fixer un cap : « L’équipe de France a répondu présent avec 17 Français en demi-finales » et « sur ces deux derniers matches, mais l’équipe de France a répondu présente dans la difficulté ».
Pourquoi tant d’hésitations ? Je l’ignore, tant je ne vois, dans le cas qui nous occupe, aucune raison valable à ne pas répondre favorablement à l’irrépressible appel du féminin. L’écriture inclusive nous a habitués à de bien pires audaces.
K. Pello
Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots