N’AYONS PAS PEUR DES MOTS
La France a élu sa nouvelle Miss. Quand on sait que la lauréate 2024 se prénomme Ève, elle ne pouvait être que la première. Dans son discours de présentation, la radieuse brunette de 20 ans, étudiante en mathématiques et informatique à l’université de Lille, a tout de suite marqué sa différence. Elle nous a épargné les habituelles niaiseries du genre : « Je veux sauver la planète » ou « ramener la paix sur Terre ». Elle s’est simplement décrite comme une militante de la diversité féminine. Bien que le concept m’échappe un peu, j’en salue l’originalité. Tout comme je salue le courage de la jolie Nordiste d’avoir osé se produire coiffée à la garçonne, une première – réussie – dans l’histoire d’un concours qui faisait jusque-là la part belle aux cheveux longs. Pour couronner le tout, la demoiselle revendique haut et fort ses origines réunionnaises. Elle les a héritées de sa maman et elles lui valent aujourd’hui de nourrir un inconditionnel amour pour la cuisine créole, en particulier pour le rougail saucisse(s), son plat favori.
Dimanche matin, comme il se doit, Ève Gilles trônait à la une de tous les quotidiens de France, de Navarre mais pas de La Réunion, non pas parce qu’ils sont à l’agonie mais en raison de l’horaire tardif de l’élection. On l’y voyait seule, au côté de sa prédécess…euhhh, enfin vous m’avez compris, ou flanquée de ses quatre dauphines, terme désignant traditionnellement celles qui ont dû se contenter des accessits, lot de consolation pour celles qu’on oubliera très vite. La pauvre Mélanie Odules n’a même pas eu cette chance. Notre Miss « péi » a été recalée aux portes du top 15.
Mais je m’égare. Revenons à nos dauphines. Notez qu’à mon grand regret, les dictionnaires usuels n’y font pas davantage allusion qu’à l’automobile du même nom dont la silhouette dodue sillonnait les routes de mon enfance. Pas un mot non plus sur cette fichue manie qu’a le jargon sportif de faire de « dauphine » un synonyme de « deuxième ». Ainsi lisais-je récemment dans un article du Dauphiné Libéré (ça ne s’invente pas !) qu’à Bessans, en Savoie, la biathlète Eva Laine est restée « la dauphine de Voldiya Galmace-Paulin » chez les U19.
À l’entrée « dauphine », Larousse, ne propose en effet qu’une acception : « femme du Dauphin de France », autrement dit, la belle-sœur du roi, ce qui de nos jours, réduit singulièrement l’éventail des candidates. Histoire de se démarquer, Robert et Littré ajoutent tout de même qu’apposé à « pommes », le mot désigne une « boulette de purée de pommes de terre et de pâte à chou frite dans l’huile ». Or, sauf erreur de ma vue, les jeunes femmes présentes samedi soir sur la scène du Zénith de Dijon ne répondaient pas, du moins pas encore, à la susdite description.
Ce n’est donc pas dans ce bain de friture là qu’il convient d’aller chercher l’origine de ce vocable consacré par le langage populaire. À l’évidence, « dauphine » est davantage à rapprocher du substantif « dauphin », que Littré, Le Petit Larousse illustré et l’Académie définissent ainsi : « personne susceptible de succéder à un personnage important ». Le problème, c’est qu’à l’exception du Robert, aucun ouvrage de référence n’a pensé à l’associer une forme féminine.
Nos chers linguistes seraient-ils un brin misogynes ? Je n’en crois rien, et finalement, peu importe, car même au royaume des reines de beauté, c’est l’usage qui est roi.
K. Pello
Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots