[Chronique] Tout et son autre

N’AYONS PAS PEUR DES MOTS

Parallèle Sud accueille dans ses colonnes les critiques d’un dévoreur de phrases qui peut passer pour un sacré pinailleur.

Bien que retiré des affaires — politiques, cela va sans dire —, Didier Robert est un homme très demandé. Du Chaudron à Malartic, l’ancien président du conseil régional a visité les commissariats de Saint-Denis en début de semaine. Auditionné mardi par les agents de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) dans le cadre de l’enquête menée sur les emplois présumés illégaux dans son cabinet durant son passage à la « pyramide inversée », il était entendu le même jour pour une « toute autre affaire (sic) », comme je l’ai lu sur un site d’information local, celle relative aux « indemnités de séjour » qu’il aurait perçues lors de sa seconde mandature.

Je ne porterai pas de jugement sur les tracasseries judiciaires du prédécesseur d’Huguette Bello. D’autres sont mieux placés que moi pour le faire. Je me contenterai aujourd’hui d’envoyer sur le banc des accusés ce « toute autre » qui, d’un point de vue grammatical, me semble à tout le moins condamnable. 

La règle est pourtant nettement plus claire que l’eau de Saint-André. Que nous dit-elle ? Que « tout » est variable lorsqu’il signifie « n’importe quel » : « En cas de violation de la charte olympique ou de toute autre décision ou réglementation applicable édictée par le CIO, un athlète ou une… » (Le Parisien). À l’inverse, il est invariable en genre et en nombre au sens adverbial de « tout à fait », « entièrement ». Exemple : « Loin de ces images véhiculées par les plateformes numériques, la réalité des livreurs, chauffeurs ou femmes de ménage travaillant pour ces dernières apparaît tout autre. » (Le Monde). Vous aurez bien sûr compris que c’est de ce tout-là qu’il s’agit dans l’affaire qui nous occupe. Donc, pas de « e » final. 

La confusion demeure cependant fréquente dans l’usage courant. Elle vient du fait qu’à l’oral, rien ne permet de distinguer « tout autre », et son indispensable liaison, de la forme féminine « toute autre ». Un petit truc afin de bien négocier l’écueil : si vous pouvez supprimer « tout » sans altérer le sens de la phrase, vous êtes en présence de l’adverbe. Exemple : « … à 18 heures, les habitants d’Urrugne et autres curieux découvriront l’église Saint-Vincent sous une (tout) autre facette » (Sud Ouest). En revanche, pas de suppression possible dans : « C’est au moins deux fois de plus que toute {n’importe quelle} autre nation sur la période » (L’Équipe). « Tout » est alors un adjectif. Il convient de l’accorder avec le nom auquel il se rapporte, en l’occurrence « nation ». 

Puisque je suis d’un naturel généreux, voici une deuxième astuce, encore plus simple à retenir que la première : quand dans l’expression « tout autre », « tout » est précédé par l’article indéfini « une », il ne peut être qu’adverbe. Partant de là, on écrira : « une tout autre raison a été invoquée », mais « toute autre raison ne saurait être invoquée ».

Qu’ajouter d’autre ? Rien. Il me semble que tout a été dit. Quant à Didier Robert, que risque-t-il dans l'(les) affaire(s) ? Il appartiendra à la justice de le déterminer. Quand ? Ça, c’est une (tout) autre histoire. 

K.Pello

Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots

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