L’HIVER LE PLUS CHAUD JAMAIS ENREGISTRÉ À LA RÉUNION
Les rougeurs précoces des cardinals et des flamboyants, sont les signes d’un mois d’août très chaud (+1,6°C sur les 21 premiers jours) et annoncent un été torride avec une hausse par rapport aux normales saisonnières de 1°C à 2°C. Soit un dépassement plus intense que celui observé jusqu’à présent dû à la combinaison du réchauffement global et d’El Nino qui est de retour depuis le mois d’avril. Les premières à en souffrir seront les cultures à commencer par celle du letchi…
Notre maison brûle et nous regardons ailleurs…Cette célèbre réplique du président Chirac – qu’il avait empruntée à un historien des sciences de l’environnement — décrivait l’inquiétude suscitée par le réchauffement climatique en 2002. Elle décrit aujourd’hui une réalité en Amérique du Nord, en Europe, en Australie… Bref partout dans le monde où les incendies succèdent aux canicules entre les épisodes météorologiques dévastateurs.
Les signes du dérèglement écologique de la planète sont aussi clairement palpables à La Réunion même s’ils sont moins douloureux. Depuis le mois d’avril notre département enchaîne les trimestres les plus chauds de son histoire. Et ce mois d’août est en train de battre le record avec, pour les 21 premiers jours un dépassement de 1,6°C par rapport aux normales saisonnières relevées sur les trente dernières années (Calcul à partir des stations de Gillot, de Pierrefonds et de la Plaine des Cafres).
Nous vivons l’hiver austral le plus chaud jamais enregistré selon les données de Météo France des 56 dernières années. Tous les mois enregistrés depuis avril 2023 sont sur le podium des mois les plus chauds comparés aux normales saisonnières. Mai 2023 était même sur la première marche comme s’apprête à l’être ce mois d’août.
« Le plus remarquable pour ce mois d’août concerne les températures minimales qui sont 2,1°C au-dessus des normales. Ça se vérifie principalement sur la Plaine des Cafres qui est moins sensible à l’inertie de l’océan et où l’on observe du + 3°C sur les températures nocturnes », précise Marie-Dominique Leroux, responsable adjointe de la division études et climatologie à la direction océan Indien de Météo France.
Le réchauffement se poursuivra pendant l’été austral
En plus du réchauffement global qui s’établit actuellement à une hausse d’environ 1°C pour La Réunion, notre île se trouve aussi sous l’influence d’un nouvel épisode du phénomène El Nino dans le Pacifique et de son corollaire, le dipôle de l’océan Indien (IOD). El Nino s’étalant sur une période de un à deux ans, les prévisions pour les prochains mois annoncent une poursuite des tendances déjà observées depuis avril 2023 soit « +1°C au-dessus des normales prévues pour l’été austral » et épisodiquement des journées au-delà de +2°C.
Le début de cet épisode de réchauffement accéléré des températures est passé relativement inaperçu, masqué par quelques fronts froids. Il fallait être un peu attentif pour remarquer que les cardinals mâles ont rougi plus tôt que d’habitude. Dès le mois de juillet pour certain. Ça s’explique : la température moyenne enregistrée en juillet était de 19°C. Comme un mois de septembre, date normale de l’apparition du plumage nuptial…
Dans le même ordre d’idée, quelques flamboyants ont commencé à déployer leurs pétales écarlates… L’observation n’a pas échappé aux scientifiques. « Pauvres cardinals, les mâles vont mourir d’épuisement s’ils commencent dès à présent à se battre ou se cogner le bec sur les rétroviseurs », ironise Nicole Crestey, prof de SVT à la retraite. L’oiseau est connu pour être belliqueux lorsqu’il se pare de son plumage nuptial.
François-Xavier Couzi, le directeur de la Société d’Études Ornithologiques de La Réunion, relève que l’apparition d’El Nino en avril dernier a provoqué un décalage de l’envol des pétrels de Barau. Les effets du réchauffement climatique sur l’avifaune de La Réunion demeurent cependant marginaux par rapport aux autres menaces que sont les prédateurs (rats et chats) ou l’urbanisation et l’éclairage public. En plus, les oiseaux de La Réunion sont capables d’encaisser des phénomènes extrêmes comme les cyclones. Une hausse de 1°C ou 2°C ne devrait pas les perturber outre mesure mais peut quand même avoir une influence plus durable sur leurs populations.
Saison à haut risque pour le letchi
Les effets les plus notables sont à rechercher sur les cultures. Gilbert Rossolin, responsable du département des productions végétales à la Chambre d’agriculture explique que la première victime sera cette année la saison de letchis : « Le manque de fraîcheur a retardé les floraisons et les vergers affichent déjà un mois de retard. La maturité va être décalée de novembre à décembre et le plus gros de la récolte tombera en période cyclonique »… Avec le risque de tout perdre.
Plus grave : l’élévation des températures moyennes favorisent la prolifération des bio-agresseurs (mouches des fruits, bactéries, champignons, etc.). « Cet hiver on a plus de piqûres de la mouche des fruits. On aura des pertes », prévient-il. L’introduction de la mouche orientale (Bactrocera dorsalis) en 2017 a affecté pratiquement toutes les plantes hautes.
Voilà qui complique la tâche des agriculteurs « bio » obligés de déployer des moyens plus coûteux pour protéger leurs cultures. On observe ces dernières années qu’à cause de la prolifération de la mouche des fruits, les productions de pêches deviennent de plus en plus compliquées et les agriculteurs de l’Entre-Deux renoncent à produire du chouchou.
Vers une modification du paysage agricole
Gilbert Rossolin note certes que l’élévation des températures peut favoriser certaines productions en élargissant les cycles. « On a pu produire des ananas en hiver. Mais je vois plus d’inconvénients que d’avantages en général », dit-il. Il cite notamment une probable diminution de la richesse des cannes à sucre. Il note également les dégâts des pluies de juillet sur les lentilles de Cilaos — 50% de pertes — même si ces précipitations exceptionnelles sont davantage dues à El Nino qu’au réchauffement lui-même.
« On va peut-être voir une modification du paysage agricole, prévoit-il. A ce rythme, il faudrait refroidir les serres de maraîchage installées sur le littoral en dessous de 400 m d’altitude, ce qui serait aberrant. Il faudra donc plutôt les remonter en altitude ».
À l’augmentation des températures s’ajoute les sécheresses de plus en plus sévères. Les pluies de cet hiver n’ont pas compensé le gros déficit de la dernière saison chaude. La sécheresse menace plus particulièrement l’ouest où, ironie de l’histoire, le fameux basculement des eaux d’Est en Ouest, se révèle inopportun pour alimenter les hauts. Le refoulement par pompage est trop coûteux. Gilbert Rossolin conseille plutôt la construction de grandes retenues collinaires à l’instar de celles de Bourg-Murat.
Affaiblissement de la barrière de corail
La surchauffe observée sur terre se confirme en mer, conséquence directe du phénomène El Nino. Avec 2°C supplémentaire estimé, le blanchiment des coraux va s’intensifier. En vingt ans le récif réunionnais s’est dégradé notablement comme le relève le dernier rapport de l’Initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR, 2022). Ce qui affaiblit drastiquement l’effet cassant de la barrière face aux cyclones et aux fortes houles. D’autant plus qu’une barrière récifale vierge de coraux va avoir tendance à s’arracher sous l’énergie des vagues.
Comme le battement de l’aile du papillon, une plume rouge sur un moineau peut annoncer des conséquences démesurées.
Franck Cellier
Conférence sur les incidences du réchauffement climatique à La Réunion
Le 21 mars dernier, à l’occasion de la Fête de la forêt à Saint-Paul, Marie-Dominique Leroux décryptait les incidences du réchauffement climatique à La Réunion, notamment l’augmentation des périodes de sécheresse, la modification probable de la trajectoire des cyclones, le risque majeur d’une raréfaction de la ressource en eau…