INTERVIEW DE FO DGFIP
Depuis décembre, nous cherchons à comprendre pourquoi et comment La Poste se débrouille pour calculer aussi mal les taxes sur les colis postaux, une tâche qui lui incombe depuis juin 2022 en lieu et place de la douane. Cette semaine, nous avons rencontré Cédric Courtois, le secrétaire départemental adjoint du syndicat FO DGFIP (direction générale des finances publiques) qui, lui aussi, subit les erreurs de taxation de ses colis. Il était accompagné de Darwin Dambreville, le secrétaire départemental du même syndicat.
Vous avez lu nos deux précédents articles sur le sujet de la taxation des colis postaux par La Poste, qu’est-ce que cela vous inspire ?
Cédric Courtois : Vous évoquez le problème que, malheureusement, nous vivons tous. Mais la question ne se situe pas au niveau départemental, elle est ailleurs.
Comme relaté dans nos colonnes, et comme vous allez nous l’expliquer encore, La Poste taxe exagérément, se trompe dans les barèmes, mais toujours au désavantage de l’usager. Comment est-ce possible que cette institution soit bien plus zélée que la douane elle-même?
Darwin Dambreville : Pour nous aussi c’est un mystère. Pour autant, la convention qui lie La Poste à l’Etat pour cette délégation prévoit que La Poste touche un pourcentage sur les sommes récoltées, un pourcentage sur chaque colis. Mais quand même, nous ne nous expliquons pas comment on peut se tromper autant alors qu’ils disposent d’un programme informatique qui fait le calcul. Ils semblent se baser sur la valeur totale de la marchandise mais quels taux sont appliqués, comment ils les choisissent, c’est incompréhensible.
Les taux des taxes sont différents d’un produit à l’autre ?
Oui, tout à fait. Les taxes sont de deux ordres: la TVA qui peut être de zéro, 2,1% ou le plus souvent de 8,5%. A laquelle s’ajoutent l’octroi de mer et l’octroi de mer régional, eux aussi à taux variables et bien plus encore que la TVA.
L’erreur est humaine ? Non ?
La taxation est faite à Roissy, même pas sur le territoire de distribution. Sur le colis, la facture et la déclaration en douane sont apposées dans une pochette transparente. A l’époque, le douanier se référait à ces documents pour faire le calcul. Un calcul où on ne peut pas se tromper, chaque marchandise est dotée d’un nombre à huit chiffres qui correspond exactement à un taux de taxation. Quand vous avez ce code, qui est apposé sur chaque paquet, vous avez le taux à appliquer. La Poste n’a même pas à se référer aux documents joints, on le voit puisque la pochette n’est pas ouverte quand on reçoit le colis chez soi, c’est le scannage du code barre qui donne toutes ces informations. Une erreur de frappe sur un clavier n’est même pas possible.
Défenseur des droits
Vous pourriez nous dire quel est ce fameux problème qui n’est pas situé localement ?
Cédric Courtois : Autrefois, les colis étaient dédouanés par des fonctionnaires de la douane sur place, des fonctionnaires qui maîtrisent la législation fiscale et douanière. On pouvait communiquer avec eux. Dans le cas d’incertitude, de doute, vous receviez un carton à domicile qui vous demandait la ou les pièces manquantes, accompagné du texte législatif qui cadrait la contestation. Vous aviez également un bureau au Chaudron pour la zone Nord où rencontrer un fonctionnaire.
Darwin Dambreville : Cette compétence donnée à La Poste est une façon pour l’Etat de la protéger face à l’ouverture des marchés européens.
On a souvent reproché à la douane des délais démesurés pour le traitement des colis. C’est au moins un point qui a été amélioré.
Cédric Courtois : C’est vrai mais il s’agissait d’un problème de manque de personnel et de matériel. L’Etat ne nous donnait plus les moyens de remplir correctement nos missions. Vous le savez, quand on veut tuer un service public, on commence par le décrédibiliser en lui retirant petit à petit ses moyens. Mais nous avions quand même un service public de qualité, un interlocuteur, pas de frais de gestion, et la possibilité de voies de recours.
A propos de recours, vous avez personnellement été confrontés à des erreurs ?
Oui, j’ai personnellement quatre contentieux en cours. Et les réclamations ne peuvent se faire que par internet, le fameux 3631 renvoie lui aussi sur la réclamation par le net. Ce qui est contraire aux recommandations du défenseur des droits qui préconise trois canaux de recours au minimum : le téléphone, internet et le courrier postal. Evidemment, un interlocuteur physique est encore mieux. Pour exemple, sur une commande de livres, on m’a demandé 8,5 % de TVA alors que ces produits culturels bénéficient d’un taux réduit de 2,1 %. J’ai obtenu le remboursement, mais j’ai demandé aussi que soient défalqués les 7,5 euros de « frais de dossier », considérant que le travail n’était pas fait correctement. Sur une seconde commande, la même erreur est faite sur le taux de TVA, et ils y ajoutent de l’octroi de mer quand ces produits en sont exonérés. Et tout ça alors qu’ils avaient reconnu leur erreur la fois précédente ! Sur un autre colis, codifié «vêtements en coton », on m’a compté le taux de « vêtements en cuir » au taux beaucoup plus élevé ; le code était bon pourtant.
Darwin Dambreville : Nous demandons l’équité entre les citoyens du pays. Là, elle n’est clairement pas respectée. On nous demande de payer des taxes indues, et comment accepter de ne pouvoir faire de réclamation que sur internet dans un département touché par autant d’illectronisme et d’illettrisme ?
Cédric Courtois : Et qui va pouvoir refaire le calcul ? De par notre métier nous connaissons les taux, les textes… Comment un simple citoyen, même averti, peut-il se rendre compte des erreurs ?
Juge et partie
Vous disiez que la procédure est longue…
Après la réclamation, ils ont deux mois pour apporter une réponse. Si vous n’êtes pas d’accord, vous pouvez demander un recours de deuxième niveau, qui prend encore deux mois de plus. Et si la réponse ne vous satisfait toujours pas, vous pouvez faire appel au médiateur de La Poste qui répondra dans les trois mois. Mais cette personne travaille pour La Poste, il est juge et partie. Et si on n’a pas de réponse, on fait quoi ? Jamais les décisions ne sont assorties d’un texte juridique, justifiées légalement. Avec la douane, au moins, on pouvait attaquer la décision au tribunal administratif. Depuis La Poste, on ne trouve aucune information sur le tribunal compétent.
Entre les erreurs fréquentes et l’opacité du système, on a du mal à comprendre, même si La Poste touche un pourcentage sur chaque colis…
Darwin Dambreville : Pourquoi leur logiciel ne calcule pas le détail de la facture ? Pourquoi on a l’impression que le calcul est fait sur la valeur du colis et non pas sur la nature des produits ? comment ils choisissent les taux appliqués ? Toutes ces questions restent pour nous sans réponse. Est-ce un manque de moyens ? Est-ce volontaire ? Que font-ils des trop perçus ? Est-ce qu’ils reversent la totalité ? Nous n’avons pas de réponse mais nous aussi nous nous posons des questions.
Propos recueillis
par Philippe Nanpon