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[Économie] Quand La Poste refuse d’expliquer son zèle à taxer

COLIS POSTAUX

Quand on s’en remet totalement à un programme informatique, on en vient à taxer des colis de linge sale. Devant la grogne des usagers et les demandes d’explications, La Poste fait la sourde oreille. 

Ubuesque ! La référence à l’oeuvre d’Alfred Jarry est certes galvaudée, mais force est de constater que le fonctionnement de La Poste dans le calcul et la perception des taxes douanières tient plus d’une bureaucratie soviétique que du fonctionnement normal d’une entreprise commerciale moderne, fût-elle de service public.

Peu avant Noël, nous avions parlé de L’ « arnaque » des colis postaux  et comment La Poste, en charge du dédouanement des colis depuis juin 2022, est particulièrement zélée dans le calcul des taxes douanières, TVA et octroi de mer. Si le mécontentement des usagers ne faiblit pas, l’entreprise continue de faire la sourde-oreille.

Plus que la douane

Déjà en décembre, j’ai dû rédiger mon article sans pouvoir donner la parole à La Poste. Miraculeusement, j’avais obtenu un interlocuteur téléphonique à la direction de La Poste, on m’avait enjoint à faire une demande par mail, restée sans réponse à ce jour. L’article avait fait le constat des dysfonctionnements, de tarifs inexpliqués, d’abus de facturations. Cette fois, je voulais comprendre la raison de ce zèle, pourquoi La Poste applique la règlementation avec bien plus de rigueur que la douane elle-même, dépassant sans scrupule les tarifs applicables. 

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La Poste taxe sans discernement et refuse de s’en expliquer.

Cette fois, personne ne répond aux numéros de téléphone en notre possession, des numéros de fixes, même le standard promet en boucle un interlocuteur prochain. J’ai laissé sonner pendant une heure trente sans résultat. Il a fallu chercher sur internet. J’ai trouvé les coordonnées de la « directrice de cabinet, pôle communication et déléguée au développement régional de La Poste Outre-Mer », à qui j’ai réitéré ma demande, afin de comprendre le circuit des colis, comment ils sont taxés, comment peut-on contester ou réclamer. Elle m’a répondu par mail, en copie de la directrice locale de la communication. Et là, miracle, un coup de téléphone de cette dernière pour me demander de préciser mes questions.  La réponse a été décevante: un simple communiqué qui rappelle les tarifs et le 3631 pour se plaindre. 

Traitement informatique à Roissy

Une nouvelle demande, dans les mêmes conditions (sans la copie jointe à la cheffe, il n’y a aucune réponse), amène un nouveau mail dans ma boîte : « Bonjour Nanpon (sic), Dans mon mail du 20 février 2023 je vous ai communiqué tous les éléments nécessaires qui m’ont été adressé (resic) par les services concernés. En complément :  La prise en charge par La Poste de la taxation a nécessité de faire évoluer nos chaînes de traitement. Ainsi, la dématérialisation et la numérisation des documents, permet (reresic) le traitement de plus de colis. Vous souhaitant bonne réception. » Suivi de la signature.

De fait, d’après le syndicat Sud PTT, « les colis sont traités informatiquement à Roissy ». C’est donc un logiciel qui décide, d’après votre déclaration en douane plus ou moins bien remplie (car l’usager de La Poste n’est pas déclarant en douane), quel sera le tarif à appliquer.  Un logiciel, on le constate, lui aussi plus ou moins bien programmé. Et, pour ce « service » mal rendu, il vous en coûtera 7,5 euros supplémentaires, alors que pas un agent n’a été embauché, « on a seulement réorganisé les effectifs », explique le syndicaliste, lui même postier, et qui a constaté « une baisse du nombre de colis depuis janvier ».

Colis de linge sale

Des colis, il y en a moins. Mais comment avoir des chiffres précis avec la politique de communication que La Poste applique? Ce qui est sûr, c’est que bon nombre de personnes rencontrées assurent ne plus en envoyer ni en commander. « On a vu des gens s’envoyer à eux-mêmes leurs affaires et être taxés », raconte le syndicaliste. « Des colis de linge sale, vous imaginez », s’indigne-t-il. Et de souligner que, du coup, on sous-estime la valeur du paquet pour éviter les taxes: « On vous décourage à être honnête ». 

Les députés réunionnais sont déjà montés au créneau. Pour toute réponse, le ministre délégué chargé des Outre-mer, Jean-François Carenco, avait promis en fin d’année dernière le passage de la franchise pour les colis entre particuliers, dans le sens Hexagone-Réunion, de 250 à 400 euros. Ce n’est toujours pas le cas. Nos députés ont également pointé la distorsion de traitement entre les citoyens français.

Alors que Sud PTT remarque que les frais de traitements entre pays de l’Union européenne sont moins chers qu’entre deux départements français,  le syndicat FO DGFIP (direction générale des finances publiques), dénonce cette distorsion: « Les postiers ne connaissent rien aux finances publiques. Comment expliquer qu’un même livre, posté à deux adresses différentes – nous avons fait l’expérience avec un collègue – n’est pas taxé pareil ? » On ne peut pas. Quand la question a été posée au PDG de La Poste, « il a bredouillé, sans répondre ».

Philippe Nanpon

Le casse-tête de la réclamation

J’ai moi-même été confronté à un cas pratique de réclamation impossible. Pour mon soixantième anniversaire, mon entourage voulait me faire un beau cadeau, et s’est cotisé pour m’offrir une montre. Pas une montre au prix d’une voiture, mais un objet qui marquerait le coup. Commande est faite sur un site marchand en France, facturée hors taxes, la TVA et l’octroi de mer sont payés au facteur. Jusqu’ici, tout va bien. Sauf peut-être qu’il faut faire confiance au moment de signer son chèque, le livreur n’a aucun document qui justifie le calcul, on ne reçoit la facture que le lendemain sur internet. 

Mais la montre reçue est défectueuse, il faut la retourner à l’expéditeur, qui en renvoie une autre. Mais oublie de préciser sur sa déclaration en douane qu’il s’agit d’un retour de SAV. Qu’à cela ne tienne, en attendant mon colis, j’appelle la direction des douanes à Saint-Denis pour savoir quelle sera la démarche à suivre. Là, un brave fonctionnaire m’explique que la douane ne s’occupe plus non plus des réclamations, que lui-même n’a pas idée de comment contester un trop-perçu, et va jusqu’à confier que, pour sa part, il ne commande plus rien sur internet tellement les erreurs de La Poste sont nombreuses et insolubles. 

Numéro masqué

Il me reste à me rendre à mon bureau de poste pour tenter de rectifier l’erreur de l’expéditeur avant l’arrivée du préposé. On commence par me dire « c’est pas nous, c’est la douane » mais, devant la certitude qui est la mienne, on accepte de considérer ma demande. Il faut alors expliquer son cas, une demande qui est rédigée sur écran accompagnée de mes coordonnées. « On vous contactera prochainement par téléphone », m’assure-t-on. En effet, dès le lendemain matin, une dame m’appelle, depuis un numéro masqué. Mon interlocutrice semble maîtriser son sujet, elle est visiblement réunionnaise (on aurait pu craindre un call center étranger), je me dis qu’on devrait pouvoir trouver une solution. Mais non. Alors que mon colis sera livré dans les tout prochains jours, il faudrait faire une réclamation par internet, au centre Colissimo en France hexagonale. 

« N‘existe-t-il pas un bureau où je pourrais venir m’expliquer avec toutes mes pièces justificatives pour régler le problème rapidement, comme le faisait la douane ou tout agent des finances publiques? » Eh bien non. « Vous comprenez, cet argent est parti à la douane, c’est à eux de juger. » Je n’en crois rien, je n’ai pas encore payé les taxes une seconde fois. Et je peine à comprendre pourquoi ce que La Poste a fait, La Poste ne peut pas le défaire. « Et combien de temps faut-il pour que ma réclamation soit traitée? », demandais-je. « Entre 20 et 40 jours, sachant que votre colis ne restera de toute façon que deux semaines dans le bureau de poste avant d’être renvoyé à l’expéditeur. » Le colis est reparti, et mon cadeau d’anniversaire attendra encore.

PhN

A propos de l'auteur

Philippe Nanpon | Journaliste

Déménageur, béqueur d'clé dans le bâtiment, chauffeur de presse, pompiste, clown publicitaire à roller, après avoir suivi des études d’agriculture, puis journaliste depuis un tiers de siècle, Philippe Nanpon est également épris de culture, d’écologie et de bonne humeur. Il a rejoint l’équipe de Parallèle Sud pour partager à la fois son regard sur La Réunion et son engagement pour une société plus juste et équitable.