Projet Payanké voile solaire de Guy Pignolet

[Espace] Comment faire participer le monde  du numérique à l’essor de la filière spatiale réunionnaise

ECONOMIE/CULTURE

A l’invitation de Digital-Réunion et de Guy Pignolet, acteur émérite de la communauté spatiale mondiale, il s’est tenu récemment dans le Hub Lizine (ancienne usine sucrière de La Mare, reconvertie en centre d’affaires) un afterwork  — on dirait ici un sobatkoz ou entretien libre …aprè lo tan travay — sur le thème : Mèt La Rényon an lèr avèk PAYANKEU.

PAYANKEU, kosa i lé ? Pour son promoteur Guy Pignolet — qui œuvre librement depuis plus de 15 ans maintenant au développement d’une culture et d’une activité spatiales réunionnaises — Payankeu est « le 5e projet réunionnais mondial » d’envoi dans l’espace d’un objet de conception réunionnaise réalisé avec des partenariats multiples à travers le monde. L’objet en question est cette fois un mini-satellite, un cubesat, lancé dans une course coopérative Terre-Lune par la propulsion d’une voile solaire, avec l’objectif de rapporter une photographie de la face cachée de la Lune. L’important dans cette course n’est pas tant le but à atteindre que le chemin pris et les partenariats qu’il fera naître dans l’île et au dehors.

Guy Pignolet estime que « le secteur spatial pourrait d’ici 2050 atteindre l’importance qu’a le numérique aujourd’hui ».

Le 24 janvier dernier, Digital-Réunion, en la personne de son directeur Sébastien Cohéléach, a réuni avec Guy Pignolet une vingtaine de personnes motivées par le développement d’une filière spatiale émergente — dont il faut objectivement reconnaître que le monde économique réunionnais n’a pas encore clairement pris conscience. Ça viendra… Tous les acteurs potentiels de la filière — industriels de Digital-Réunion, de l’ADIR, du Club Export et plus largement du Medef-Réunion — étaient invités à la présentation.

Guy Pignolet compare souvent l’émergence de cette filière du futur de l’île à ce qu’était ici l’informatique il y a encore seulement une trentaine d’années, avant la création de l’ARTIC — l’ancêtre de Digital-Réunion qui vient de fêter ses 25 ans. Lui-même estime avoir contribué à l’apparition de la filière informatique réunionnaise en œuvrant avec Jean-Marc Péquin à l’informatisation des participants des premiers Jeux des îles, en 1979. « Avec une machine de 5 ko de mémoire centrale, à l’époque ! » rappelle-t-il.

Déploiement d’une première voile solaire

« Toute grande aventure commence petit », renchérit Sébastien Cohéléach. Digital-Réunion — qui totalise aujourd’hui près de 1 500 entreprises et 10 000 acteurs de la filière informatique — est prêt à « donner de la visibilité » au projet Payankeu. Logique ! Il ne saurait y avoir d’activité spatiale sans le numérique… Guy Pignolet estime pour sa part que « ce secteur (spatial) pourrait d’ici 2050 atteindre l’importance qu’a le numérique aujourd’hui ».

Il a donc entrepris de refaire devant l’auditoire l’historique de l’association française des voiles solaires, l’U3P, que préside actuellement Erika Vélio, une ingénieure réunionnaise travaillant aux Pays-Bas, chez AirBus. L’association vient d’ailleurs de transférer son siège à l’île de La Réunion. La veille, plusieurs des cofondateurs de l’U3P avaient participé à une rencontre virtuelle avec les promoteurs de GAMA, la première voile solaire française qui, lancée depuis le 3 janvier dernier, sera déployée en mars.

Payankeu sera donc la deuxième, en dépit d’une déjà longue histoire jalonnée de rebondissements, depuis le projet Libellule (Demoiselle) arrêté par la première guerre du Golfe et rebondie dans le projet Papang, devenu à son tour le projet Payankeu « en passant de la compétition à la coopération », précise Guy Pignolet.

Payankeu est donc un cubesat de 3 kg… qui atteindra les 7 kg avec les accessoires embarqués, dont une voile en kapton de 49 m2, lancé dans un périple qui doit durer 1 an et demi… le temps d’aller à la Lune, poussé par les photons. Et pour soutenir l’attention du public pendant 1 an et demi, un double modèle économique a été retenu : celui du Tour de France  — un convoi qui se déplace à travers l’Europe en changeant de ville chaque semaine ; et celui du Cirque du Soleil, parce que le Cirque de la lune, piloté à travers l’Europe par Pierre Muñoz (ancien manager du Cirque des cirques), devra être relayé par d’autres chapiteaux en Inde, au Japon et aux Etats-Unis, qui sont les autres points d’appui du projet.

« C’est un projet mondial sous maîtrise d’œuvre réunionnaise », résume Guy Pignolet. « Il a été conçu pour montrer à tous que les Réunionnais peuvent faire du spatial ». A ceux et celles qui n’en comprennent pas les retombées pour nos activités terrestres, ou qui pensent que “ c’est trop cher ”, nous avons à La Réunion une valeur-étalon imparable : « Le coût de Payankeu, c’est l’équivalent d’un mètre-cinquante de la route en mer ! », évalue-t-il.

Un projet porte-drapeau

Le plus important dans ce projet “porte-drapeau”, c’est le développement d’une filière pour l’économie future de l’île. Selon Guy Pignolet,  il existe au moins une vingtaine d’entreprises réunionnaises qui ont les moyens de se lancer dans l’activité spatiale.

Pour les y encourager, le concept “tandem” propose d’associer un coach à chaque industriel réunionnais tenté par l’expérience. La concrétisation commence très souvent par une présence à un congrès mondial et cette année 2023 offre deux possibilités de s’ouvrir à cet univers en étant accompagné : c’est d’abord, du 3 au 9 juin, le Congrès de l’ISTS (Inter-x Space Technology and Science) au Japon, suivi du Congrès mondial d’Astronautique (IAC) qui aura lieu à Bakou, Azerbeïdjan, du 2 au 6 octobre.

La fin de la présentation s’est attachée à concrétiser un développement de la filière spatiale, laquelle ne peut compter que sur l’implication de personnes motivées, que ce soit dans les lycées, à l’université, dans les entreprises et les associations scientifiques.

Jean-Pierre Chabriat, conseiller régional délégué à la recherche, insiste sur les moyens humains à mobiliser : « Il faut trois à quatre personnes, très impliquées de façon permanente pendant deux à trois ans, avec des relais à compétences scientifiques », appuie-t-il.

La course Terre-Lune n’est qu’un moyen de parler à l’opinion publique, pour la sensibiliser à un très large potentiel qui, à La Réunion, peut concerner trois domaines majeurs que sont le numérique, l’agriculture et l’énergie, avec les centrales en orbite.

Pascale David

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