[LIBRE EXPRESSION]
A La Réunion, Jacques Tillier le directeur du Journal de l’île (un des deux principaux journaux locaux) s’attaque de façon vulgaire et machiste, dans son édito hebdomadaire, à des femmes magistrates, responsables politiques ou représentantes d’institutions publiques.
“Les bas qui plissent et le poil qui frise”, “mémères”, “bécassine”, “députée griotte au sourire béat”, “fille à papa”, “castafiore”, “donzelle”, “crêper les chignons”, “la rectrice tape du talon aiguille” … voilà quelques-uns des qualificatifs employés chaque semaine par cet éditorialiste. Accompagnés d’illustrations caricaturales qui mettent en scène ces femmes affublées de bas résilles, de talons aiguilles, entourées de soutiens-gorges et culottes suspendues, les éditos de ce journaliste versent dans la haine et la misogynie.
Ancien journaliste du journal d’extrême droite Minute, ex-conseiller de chefs d’Etats du continent africain comme Paul Biya et Lansana Conté, Jacques Tillier est connu pour avoir été séquestré par Jacques Mesrine alors qu’il espérait décrocher une interview de ce dernier en 1979. Il officie au Journal de l’île depuis le début des années 1990.
Les signataires de la tribune ci-dessous dénoncent avec fermeté ce qu’elles qualifient “d’infamie” et de “haine des femmes”.
– Selon le dernier rapport de la Fondation Jean Jaurès et Equipop, le backlash est ce phénomène de « retour de bâton » que nous avons vu se déployer de manière très claire en 2022, au moment de la remise en question du droit à l’avortement aux Etats-Unis. Oui, à chaque avancée dans la conquête des droits des femmes, on peut faire le constat de mouvements conservateurs et réactionnaires qui travaillent pour le maintien de la domination masculiniste.
À La Réunion, nous avons pris l’habitude de voir cette haine des femmes s’épancher toutes les semaines dans un éditorial du samedi. Malgré une nette prise de conscience des discriminations et des inégalités sexistes, les femmes continuent de se heurter à l’obscurantisme du patriarcat et du masculinisme. Ils sont encore là, ces machos d’un autre âge qui voient l’émancipation des femmes comme un cauchemar et qui croient naïvement qu’on vient leur « voler » leur place. Chaque samedi, l’incitation à la haine, à la violence et à la discrimination des femmes s’étire sur des colonnes en double page. À cela s’ajoutent des caricatures des plus sexistes mettant en scène des femmes politiques, dans des postures dégradantes, affublées de qualificatifs et surnoms insultants, les renvoyant à ce que le machisme voudrait les réduire : des femmes à dominer.
Ces injures et ces mises en scène sont honteuses et visent à porter une atteinte grave à leur intégrité. Mais plus largement, ce lynchage hebdomadaire des femmes a pour but de dissuader toute fille, toute femme de s’engager dans la sphère publique, d’occuper des fonctions électives ou des postes à haute responsabilité. À La Réunion, il ne fait pas bon être une femme, quand bien même, on serait procureure, présidente de tribunal ou rectrice, alors que chacun sait bien combien il est difficile pour une femme d’accéder à de tels postes.
Finalement, cet éditorial du samedi remplit à merveille son rôle : il propose une image de la femme réunionnaise des plus dégradantes et s’assure de briser toute ambition féminine. Chaque semaine, il cimente et renforce le plafond de verre de notre société réunionnaise. C’est notre backlash péi, tout en illustration !
Nous reconnaissons pleinement la liberté d’opinion et la liberté d’expression. L’histoire de la presse à La Réunion et de son pluralisme sont le résultat de luttes qui ont occupé la société réunionnaise depuis la création du premier journal réunionnais en 1794. Le droit à l’information, à la liberté d’expression, à la libre critique sont des libertés fondamentales que réclamait déjà en 1832, le journaliste réunionnais Nicole Robinet de la Serve.
Nous nous inscrivons dans le prolongement de la pensée d’Albert Camus pour qui “un pays vaut souvent ce que vaut sa presse (…) Une société qui supporte d’être distraite par une presse déshonorée et par un millier d’amuseurs cyniques (…) court à l’esclavage”.
À l’approche de la date solennelle du 8 mars, Journée Internationale des Droits des Femmes, nous signataires de cette tribune, condamnons fermement le discours haineux porté par Jacques Tillier à l’égard des femmes. Nous rejetons l’idéologie patriarcale véhiculée par cet éditorialiste qui piétine les femmes, leur image et leur intégrité. Nous alertons les autorités sur la haine des femmes véhiculée par les éditos de ce journaliste.
Signataires : ● Nathalie Bassire, députée de La Réunion ● Huguette Bello, présidente du Conseil Régional de La Réunion ● Evelyne Corbière, conseillère régionale ● Emeline K/Bidi, députée de La Réunion ● Karine Lebon, députée de La Réunion ● Juliana M’Doihoma, maire de Saint-Louis ● Vanessa Miranville, maire de La Possession ● Karine Nabénésa, Vice-présidente du conseil régional ● Céline Sitouze, Vice-présidente du conseil régional
Avec le soutien de : ● Mathilde Panot, députée LFI-Nupes, présidente du groupe LFI ● Christine Pirès-Beaune, députée PS-Nupes, porte-parole du groupe socialistes et apparentés ● Sandra Regol, députée EELV-Nupes, vice-présidente du groupe écologiste
Chaque contribution publiée sur le média nous semble répondre aux critères élémentaires de respect des personnes et des communautés. Elle reflète l’opinion de son ou ses signataires, pas forcément celle du comité de lecture de Parallèle Sud.