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Battle of the year 2023. Boty. Afranchis vainqueurs

[Danse] Battle préolympique

CULTURE HIP HOP EN DANGER ?

Le Battle of the year, cette année, a été égayé par la perspective qu’un Réunionnais participe aux Jeux olympiques. Mais, se demande-t-on, les JO ne vont-ils pas tuer l’esprit propre au breakdance ?

  • Battle of the year 2023. Boty. ultimatum avec Kyllian
  • Battle of the year 2023. Boty. ultimatum avec Kyllian
  • Battle of the year 2023. Boty. ultimatum avec Kyllian à droite
  • Battle of the year 2023. Boty. public
  • Battle of the year 2023. Boty. Afranchis vainqueurs contre ultimatum

Samedi, c’était Boty. Le 10 juin dernier, le Battle of the year a repris ses quartiers à la Friche du Port. L’événement hip hop de la cité maritime fait toujours recette. Public nombreux et motivé, les meilleurs crews de l’île, DJ Tajmahal aux platines et Hassam en maître de cérémonie. 

Après de très longues heures de battles en un contre un, les crews entrent en scène. C’est cette compétition que tout le monde attend. A la fin, ce sont Les Affranchis qui ont gagné.

Tout cela est bien joli, mais la perspective d’épreuves de break dance aux Jeux olympiques ne risque-t-elle pas de détruire une culture forte? 

En préambule, il est bon de rappeler les origines du mouvement hip hop qui regroupe plusieurs disciplines artistiques (danse, graff, musique). Dans les années 60 à New York aux Etats Unis, les usines quittent les quartiers comme le Bronx pour s’installer en banlieue. Les Blancs quittent ces quartiers qui deviennent ghetto. La pauvreté, les gangs, la violence et la délinquance prennent possession de territoires totalement abandonnés par les autorités.

  • Affranchis, les double-vainqueurs du Boty 2023, best of show et battle. (photo Yohan Firmin)
  • Kilian Boty 2023 (photo Yohan Firmin)
  • Boty 2023 (photo Yohan Firmin)
  • Boty 2023 (photo Yohan Firmin)
  • Boty 2023 (photo Yohan Firmin)
  • Boty 2023 (photo Yohan Firmin)
  • Boty 2023 (photo Yohan Firmin)
  • Boty 2023 (photo Yohan Firmin)
  • Boty 2023 (photo Yohan Firmin)

De revendications civiques en fêtes musicales improvisées dans la rue, un style musical apparait dans la seconde moitié des années 70. Dans le même temps, les gangs marquent leurs territoires de tags et de graffs qui deviennent de plus en plus artistiques. Palliatif à la violence, des battles de danse, de DJing et de MCing (qui évolue vers le rap) s’organisent sous la houlette d’un ancien chef de gang, Africa Bambaataa créateur de la Zulu Nation. Il s’agit de s’affronter non plus par les armes mais artistiquement entre populations de quartiers différents avec pour valeurs « peace, love, unity ». Dans les années 80 cette culture, celle du clash et de la punchline, se développe, s’exporte dans le monde entier et trouve des débouchés commerciaux notamment à travers sa musique : le rap.

Le beakdance aux Jeux olympiques (*) ne va-t-il pas sonner le glas d’une culture positive, de paix et d’esprit d’équipe, au profit de la compétition et l’argent ? De magnifier la performance physique aux dépends de la manifestation artistique? Nous sommes allés à la rencontre des zarboutans, des anciens, des tenants de la culture hip hop. De ceux qui ont découvert la danse dans les émissions de Sydney à la télévision ou sur le bitume des rues du Port.

Prise de vues et montage Yohan Firmin. La musique a été ajoutée au montage, ce n’est pas celle de Tajmahal.

Shany

Shany a gagné deux fois le Boty réunionnais. « La première fois avec Soul City, la seconde avec Force of nature », rappelle-t-il. Aujourd’hui, il enseigne le break dance et organise le Battle de l’Ouest, autre événement phare du break dance à La Réunion. « Les Jeux olympiques, il faut savoir s’en servir, surfer sur la vague. Pour ce qui est de la perte des valeurs, des codes et du côté culturel, ça a déjà commencé ; depuis que les jeunes apprennent dans les clubs on est plus dans la performance que dans l’esprit d’équipe, ce ne sont plus des jeunes qui viennent de la rue, ils n’ont pas les mêmes problèmes sociaux. Avec le Battle de l’Ouest, en novembre au théâtre de Saint-Gilles, on va mettre l’accent sur les valeurs du hip hop et son histoire. Tous les dix ans, à chaque nouvelle génération, il faut faire cette démarche. Personnellement, je préconise de rapporter la culture hip hop dans les écoles de danse », explique-t-il. « Ici, il y a toujours un show, et puis c’est l’un des seuls événements qui organise un battle en crews, ça permet de mettre le groupe, la chorégraphie en valeur. Il y a en effet une crainte à avoir par rapport à la formule retenue en 1 contre 1. Le battle d’ordinaire est noté  aussi sur le style, la musique, le flow, la personnalité… est-ce que ce sera pris en compte. Ce n’est pas forcément le plus technique qui gagne, moi j’aime le côté sportif et martial. En tout cas, il ne faudra pas oublier les valeurs de solidarité, de respect et d’unité ; on travaille pour la paix et l’amour. »

Tic & Tac

Ulrich et Médérick, alias Tic et Tac, jumeaux, sont deux danseurs chorégraphes de danse contemporaine. Ils ont fait leurs armes autour des battles, ont gagné le Boty en 2009, le West dance péi en 2013, deuxièmes au Sifer en 2014 aux Pays Bas, médaille d’argent en 2017 aux Jeux de la francophonie. « Nous sommes les premiers à avoir mis la France et La Réunion sur le podium », assurent les deux frères. Pour eux, les Jeux olympiques sont une chance pour les jeunes. « Ça pourra leur apporter de la stabilité, un certain confort, c’est difficile de vivre de cette discipline. 

« – C’est un art, pas un sport, tempère Médérick,

« – Les JO, c’est pas l’image qu’on voudrait, le côté underground va se perdre, ajoute son frère,

« – la culture doit primer, relance le premier, c’est pas pour développer le hip hop, c’est plutôt pour faire venir le public jeune vers les Jeux olympiques. »

Eli

Eli est un ancien. Enseignant, coach de Kylian, il était aussi samedi le capitaine d’Ultimatum, le crew portois. 

Il évoque avec nous les jalousies, les choix faits au niveau des fédérations, où ce n’est pas toujours le meilleur qui gagne sa place, où l’on cherche à pousser le poulain de son équipe plutôt que le plus valeureux. La sélection mène aux subventions, les valeurs se perdent. Pour autant, même si Kylian – membre du pole France – n’est pas sélectionné, Eli pense que la perspective des JO l’a fait progresser. « Depuis qu’il est en équipe de France, il se surpasse, il voit autre chose, il s’enrichit. Ça lui est aussi utile dans ses études, il est étudiant en staps », témoigne le coach. « Mais, si les codes du breaking restent, les critères des juges sont particuliers aux Jeux olympiques; pour avoir une chance, les danseurs doivent rentrer dans ce moule, on perd en spontanéité, en liberté, il faut respecter ces critères », regrette le Portois qui pense également que la compétition aurait eu plus d’intérêt en équipes plutôt qu’un contre un. « Mais c’est vrai que les JO apportent une lumière sur la discipline, c’est une vitrine en plus, peut-être des sponsors… et, il faut y penser, ce sport est additionnel et celui qui va gagner ces JO pourrait être le seul de l’histoire à avoir cette médaille d’or. »

DJ Tajmahal

Battle of the year 2023. Boty. DJ Tajmahal
Battle of the year 2023. Boty. DJ Tajmahal

DJ Tajmahal  est le Dj officiel du Boty France, depuis de très nombreuses années. « Je suis l’un des plus vieux DJ en exercice », dit-il. « Le format initial du breakdance c’est le battle de crew, pas le un contre un, c’est pas la même dynamique, il y a moins d’intensité, plus d’individualisme. Mais, en se professionnalisant, les danseurs vont à droite à gauche, se promènent, ça permet à certains d’en vivre. Ça fait longtemps que l’origine des danseurs n’est plus une singularité. Les Réunionnais une musicalité réelle, mais il n’y a pas de style particulier à l’île. De la même façon, en Afrique ils sont très forts techniquement, mais le berceau de l’humanité et de la musique qu’on utilise ne produit pas une danse particulière. »

Philippe Nanpon

(*) Lors des Jeux de Paris 2024, la compétition de breaking sera composée de deux épreuves, une masculine et une féminine, qui verront respectivement 16 B-Boys et 16 B-Girls s’affronter dans des battles en formule un contre un.  

A propos de l'auteur

Philippe Nanpon | Journaliste

Déménageur, béqueur d'clé dans le bâtiment, chauffeur de presse, pompiste, clown publicitaire à roller, après avoir suivi des études d’agriculture, puis journaliste depuis un tiers de siècle, Philippe Nanpon est également épris de culture, d’écologie et de bonne humeur. Il a rejoint l’équipe de Parallèle Sud pour partager à la fois son regard sur La Réunion et son engagement pour une société plus juste et équitable.