De la résistance des esclaves dans des colonies anglaise et française

LIBRE EXPRESSION

Deux  destins  parallèles : Ratsitatane   et  Toussaint  Louverture

Préambule :

Nous sommes fin 18ème– début 19ème siècle. Dans le sud-ouest de l’océan Indien, d’une part,  dans l’une des plus grandes iles de l’arc des Antilles, d’autre part. Dans ces deux zones géographiques, la traite des esclaves noirs s’inscrit dans le cadre du commerce triangulaire entre l’Europe, l’Afrique (y compris Madagascar) et l’Amérique.

1. Ratsitatane

Ce n’est pas un esclave. Bien au contraire, c’est un prince de l’ethnie merina. Ethnie des Hauts-plateaux malgaches qui, progressivement, bataille après bataille, étend sa domination sur l’île de Madagascar. Né en 1790, Ratsitatane est le neveu du roi Radama 1er (1810-1828).

A l’époque, l’écho de la 1ère abolition française de l’esclavage (1793) parvient tout juste aux colonies des Mascareignes que Napoléon Bonaparte rétablit le régime cher aux colons de ces lointaines mais lucratives contrées. Légale ou clandestine, la traite continue entre Madagascar, la côte orientale de l’Afrique et les trois îles.

A la même époque, Angleterre et France envisagent très sérieusement de coloniser la Grande Île, escale particulièrement intéressante sur la Route des Indes. Entre missionnaires anglicans et catholiques, la concurrence est rude. Qui l’emportera ?

Ouvert aux idées européennes, le roi Radama 1er signe, en 1817, un traité d’amitié avec la Grande-Bretagne. Ce qui n’est pas du goût de Ratsitatane qui n’apprécie pas du tout cette ouverture officielle aux Occidentaux. Les valeurs des Blancs ne sont pas les siennes. 

Ne sont-ils pas, tous ou presque, colonialistes, esclavagistes ? Ne supportant pas la franche opposition de son neveu, en 1821, Radama 1er l’exile à l’île Maurice, colonie anglaise depuis 1810, officiellement depuis le traité de Paris de 1814. Déterminé, non seulement Ratsitatane s’évade de la prison de Port-Louis, mais il prend la tête d’une révolte d’esclaves auxquels il aurait déclaré : 

« Suivez-moi dans la montagne et vous serez libres ! »

Dès la nouvelle de l’évasion du groupe de marrons conduit par le prince malgache, une milice, armée par le gouverneur britannique Farquhar, se lance à sa poursuite. Le relief de l’île Maurice n’étant pas aussi accidenté que celui de La Réunion, les fugitifs sont rapidement capturés – ont-t-ils été trahis ? – et traduits devant un tribunal colonial.

Trois esclaves, dont Ratsitatane (considéré comme tel), sont condamnés à la peine capitale, « pour l’exemple ». Les autres marrons sont promis aux fers. À Maurice, Plaine verte, le 15 avril 1822, un bourreau (esclave ?) décapite le rebelle malgache Ratsitatane. Empalée sur une pique, sa tête est exposée au public. Ensuite, a-t-elle été embaumée ? Si oui, aujourd’hui, est-elle dans la réserve du Musée d’Histoire naturelle de Port-Louis ? Quant à son corps, où a-t-il été enterré ?

2. Toussaint l’ouverture 

C’est un esclave. De parents originaires du Bénin, François Dominique Toussaint nait dans une plantation française, l’habitation Bréda, en 1743.

Depuis une cinquantaine d’années, Haïti, la partie occidentale de la légendaire Hispaniola est une colonie française florissante, la partie orientale – Saint-Domingue – étant restée espagnole depuis l’arrivée de Christophe Colomb, en 1492. Les principales productions sont agricoles : le sucre de canne (d’abord et surtout !), le café, le coton, le tabac, le bois d’ébène, l’indigo,…

Avant la Révolution française, les relations de l’aristocratie blanche locale ont commencé à se détériorer avec la métropole. Non pas qu’elle veuille l’indépendance comme les « 13 États fondateurs » (futurs États-Unis) voisins, mais elle voudrait plus d’autonomies politique et commerciale. 

Parallèlement, durant tout le 18ème siècle – et même avant ! – des révoltes d’esclaves ont eu lieu. Sporadiquement. Un peu partout, sur ce grand territoire montagneux qu’est Haïti. 

Le vent de la Révolution française arrivant à pleines voiles, à Cap Haïtien comme à Port-au-Prince, François Dominique Toussaint devient le chef de la révolte des Noirs en 1791. 

Dès 1794, il se rallie à la France révolutionnaire qui vient d’abolir l’esclavage. De fil en aiguille, l’ancien esclave fédère tous les Noirs de l’île. Neutralisant toute opposition royaliste, il gagne son surnom de « Louverture » aux brèches qu’il ouvre, bravement, dans les rangs ennemis. Tant et si bien qu’il accède au grade de général ! Fort de ses victoires sur l’ensemble du pays, en 1800, il proclame l’indépendance d’Haïti et devient président de la première République noire. Surnommé « le Spartacus noir », il est considéré comme un bon administrateur par les nombreux Métis, les rares Blancs restés sur l’île et la grande masse des Noirs. (Diplomatiquement, ne ménage-t-il pas la chèvre et le chou ?)

Sauf qu’en Europe, Napoléon Bonaparte ne l’entend pas de cette oreille ! Après avoir rétabli l’esclavage dans les colonies françaises, il considère que Haïti en est toujours une. Donc, à la tête de 30 000 hommes, le général Leclerc débarque à Cap Haïtien. 

Après d’effroyables combats, Leclerc piège Louverture en 1802. Celui-ci ne peut que capituler. Aussitôt, il est exilé en France et emprisonné dans les montagnes du Jura, au fort de Joux (à la frontière franco-suisse). Le 7 avril 1803, meurt-il d’une pneumonie, officiellement ? du climat rigoureux, glacial en hiver ? de la malnutrition imposée ? Peut-être les trois à la fois ? 

Quant à la dépouille de François Dominique Toussaint, a-t-elle été enterrée sur place ? 

Dans l’enceinte du fort de Joux ? Ou à l’extérieur, en rase campagne ?

N.B. : depuis 1954, une stèle est érigée au pied du château, à la mémoire de cet extraordinaire personnage né esclave, devenu abolitioniste, chef de la révolte des Noirs, puis général haïtien, président de la première République noire et, avec son armée, vainqueur du corps expéditionnaire envoyé par Napoléon Bonaparte.

Quelques  REPÈRES  HISTORIQUES  pour  appréhender  l’ÉPOQUE – ô combien COLONIALE ! – de nos deux HÉROS

3. Madagascar

Les Temps modernes s’ouvrent sur la mythique Route des Indes. 

Après avoir longtemps longé la côte africaine, les Portugais passent le cap de Bonne Espérance et remontent un nouvel océan. Diégo Dias découvre Madagascar en août 1500. Impressionnante, la superficie de l’ile est égale à celle de la France continentale, plus la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Sur les traces des Portugais et, plus tard, des Hollandais, les Français fondent Fort-Dauphin en 1643.

A l’époque, la Grande Île est composée de nombreux petits royaumes regroupant un total de dix-huit ethnies différentes. Et autant de langues !

Originaires des territoires du nord-ouest, les Sakalaves sont à leur apogée tout au long du 18ème siècle. Mais, à la fin de celui-ci, le royaume merina, originaire des Hauts-plateaux, impose sa supériorité militaire, sous la houlette de Andrianampoinimerina (1787-1810), roi conquérant et grand administrateur. Son fils, le roi Radama 1er (1810-1828), poursuit son œuvre et étend sa domination sur la plus grande partie de l’ile. Son objectif est clair :

« La mer sera la frontière de mon royaume ! »

Comme écrit précédemment, il signe un traité d’amitié avec la Grande-Bretagne, en 1817. Sa femme, la reine Ranavalona 1ère lui succède en 1828. Consciente du danger colonialiste, elle chasse, aussitôt, dès le début de son règne, les missionnaires anglais et ferme l’île aux Européens. 

En 1861, alors que les Français occupent les îles de Nossi-Bé et de Mayotte, Radama 2ème succède à sa mère et, curieusement, ouvre le pays aux puissances européennes, anglaise et française principalement. Assassiné en 1863, le pouvoir passe aux mains du chef de l’armée qui devient Premier ministre. Successivement, celui-ci épousera les trois reines Rasoherina, Ranavalona 2ème et 3ème

N’obtenant pas de comptoirs sur la côte sakalave (canal du Mozambique), la France bombarde et occupe le port de Tamatave en 1883, avant d’entrer à Tananarive. Deux années plus tard, un traité établit un semblant de protectorat français sur Madagascar. En 1890, il est cautionné par l’Angleterre. Suite à un accord géopolitique ?

Désormais, pour la 3ème République (française), la porte est grande ouverte pour une conquête militaire (« pacification », en langage politique) de l’Île rouge. Avec le général Galliéni comme gouverneur colonial, et le colonel Lyautey comme porte-drapeau pour l’unification de l’ensemble du pays. Puisque, en 1896, le parlement français – autrement dit, les représentants du peuple – déclare, officiellement, Madagascar colonie française. Pour 62 années ?

4. HAΪTI

Pour le compte de la couronne d’Espagne, Christophe Colomb atteint les Antilles en octobre 1492, lors de son premier voyage. Il nomme Hispaniola l’une des plus grandes d’entre elles (76 200 km2). Dès 1494, Espagnols et Portugais se partagent les terres du Nouveau Monde, à la faveur du traité de Tordesillas. Traité arbitré par le pape, donc, sans appel !

Très vite, Hispaniola devient le principal foyer d’expansion espagnole en Amérique.

En Europe, d’autres grandes puissances, l’Angleterre, la France et les Pays-Bas, contestent cette mainmise sur la planète. Rapidement, toutes créent leur propre « Compagnie des Indes », à but avant tout commercial. Des alliances se nouent et se dénouent. 

Au cours des siècles suivants, de nombreux conflits militaires éclatent entre colonisateurs. 

Sur mer bien sûr, et, aussi, sur terre ! Tout le monde veut une part du gâteau.

Vu l’importance de celui-ci, de nouveaux concurrents apparaissent dans l’océan Atlantique et dans les Caraïbes : légaux (corsaires) ou illégaux (flibustiers, pirates et autres boucaniers). Dès le 16ème siècle et jusqu’au 18ème, ils perturbent considérablement l’intense trafic maritime entre l’Amérique (dite latine) et l’Europe occidentale. Pour la traversée de l’Atlantique, les galions s’organisent en convoi.

Pour faire court, au traité de Ryswick (1697), Hispaniola est partagée en deux, entre l’Espagne à l’est (Saint-Domingue), et la France à l’ouest (Haïti). Auparavant, les autochtones ont été décimés, sans vergogne, par les envahisseurs blancs. Ceux-ci les ont remplacés par des esclaves noirs, à la faveur de la traite. Pour mettre en valeur toutes ces nouvelles conquêtes territoriales – et pour en tirer le maximum de profits – il importe d’avoir de la main d’œuvre bon marché. L’Afrique la fournira-t-elle pendant trois siècles ?

Particulièrement florissant, le commerce triangulaire propulse l’ile au premier rang des producteurs mondiaux de sucre de canne. C’est dans ce décor que nait François Dominique Toussaint.

Précédemment écrite, la suite est connue. Après la capture surprise de notre héros par Leclerc, un autre général noir, Dessalines, prend sa suite. A la tête de l’importante armée des Noirs et vu sa connaissance du terrain, il chasse tous les Français : l’ensemble des colons et des soldats blancs (qui, battus, regagnent, honteux, le port de Nantes). 

En 1804, il confirme l’indépendance d’Haïti. Hélas, Dessalines est assassiné. Un autre Noir, Henri Christophe, prend le titre de roi et gère le pays de 1811 à 1820, tant bien que mal. 

Car une succession de guerres intestines (dont certaines avec l’aristocratie mulâtre) et la concurrence de la nouvelle République de Pétion (incluant la partie espagnole de l’île) donnent un triste spectacle de la première République noire. Qui plus est sur fonds de problèmes agraires avec, par exemple, le remplacement de la culture de la canne à sucre par celle du café. Suite à une nouvelle demande !

Pratiquant la politique de la canonnière, en 1825, la France, royaliste (et revancharde !), impose le paiement d’une impressionnante somme d’argent, sous prétexte de dédommager les colons français chassés de leurs plantations haïtiennes. 

Un affreux chantage aux conséquences très lourdes, voire fatales pour le développement du pays !

Tout cela sous l’œil vigilant du grand voisin, les États-Unis d’Amérique, qui, dès 1823, adopte « la doctrine de Monroe ». Doctrine qui explicite clairement les principes de sa politique étrangère : 

« L’Amérique (de l’Alaska à la Terre de Feu) aux Américains ! »

Tout un programme qui perdure aujourd’hui encore !

POST-SCRIPTUM
: Dans l’ensemble français, la vie de nos deux héros est-elle vraiment connue du grand public ? 
Celle de l’ancien esclave haïtien a fait l’objet de nombreux ouvrages, films et colloques. 
Schoelcher est l’auteur de la « Vie de Toussaint Louverture ». Plus récemment, Madison Smart Bell a écrit une biographie sur ce général noir, ainsi qu’un autre livre « La Pierre du bâtisseur ». 
A l’occasion du 220ème anniversaire de sa mort, un hommage lui a été rendu au Panthéon, en avril 2023. Au fil des années, le fort de Joux est devenu un site de pèlerinage. Désormais, c’est un des hauts lieux de la mémoire de la lutte des Noirs pour l’abolition de l’esclavage. 
Un lieu de mémoire pour les Noirs, les Mulâtres et …………….. les Blancs !
Quant à notre prince malgache décapité à Maurice, il a fait l’objet, en 1980, d’une thèse de doctorat et d’une pièce de théâtre « Ratsitatane ». Autour de cette personnalité, J.-M. Le Clézio a brodé le roman intitulé « Révolutions ». En 2014, Patrice Canabady a réalisé le film « L’Ombre de Ratsitatane ». Feu Kaya, le chanteur mauricien (1960-1999), avait baptisé son groupe « Racine Tatane », en hommage au rebelle malgache qui voulait abolir définitivement l’esclavage. 
Voici l’expression de la pensée de Kaya : « Mon combat et celui du prince malgache sont les mêmes. Il avait les armes. Moi, j’ai les mots et la musique. L’un comme l’autre, nous voulons libérer la mentalité mauricienne (néocolonialiste) ! ». 
Emprisonné par avoir fumé sur scène, il est retrouvé mort dans sa cellule, le 21 février 1999. 
Le crâne fracturé ! Il avait 38 ans. 
Kaya nous a laissé un bel héritage : ses chansons.

Michel Boussard

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