[Déchets] Run’eva : mais où est la chaudière ?

LE FUTUR INCINÉRATEUR DE PIERREFONDS SE CHERCHE UN REPRENEUR

Dans un peu plus d’un an, Ileva livrera une usine de traitement des déchets dépourvue de son « coeur de réacteur ». L’incinérateur censé brûler les ordures de l’Ouest et du Sud se cherche toujours un constructeur exploitant. Dans le meilleur des cas, il faudra attendre 2026 pour livrer une usine complète.

La presse a pu constater l’avancée des travaux du futur pôle de traitement multifilières Run’eva.

Les Réunionnais se sont entendu dire depuis mardi soir que le futur « pôle de traitement des déchets du Sud et de l’Ouest », Run’eva, était en bonne voie de réalisation… Ils sont même amenés à croire que l’outil sera livré dans un peu plus d’un an : mi-2024. Tel a été le message rapporté suite à la conférence de presse organisée par Ileva, le syndicat mixte des déchets de la Civis, la Casud et le TCO.

La mauvaise nouvelle c’est qu’il manquera la chaudière et le générateur permettant de brûler les déchets et de produire de l’électricité… La seule certitude c’est qu’à cette fameuse échéance de mi-2024, le pôle de traitement ne sera livré que partiellement. Un peu comme la Nouvelle Route du Littoral, mais c’est une autre histoire…

Le groupement des constructeurs Spie Batignolles, Colas, GTOI, de l’équipementier Bollegraf et des architectes Architrav, devrait bien livrer l’essentiel du bâti à l’échéance. Et c’est déjà un exploit à mettre à l’actif des cadres d’Ileva qui ont su coordonner les travaux après la disparition de la CNIM (anciennement Constructions navales et industrielles de la Méditerranée).

Mohammad Omarjee, vice-président d’Ileva, la directrice Mireille Maillot et le chef du projet Run’eva Eddy Lebon ont présenté un chantier «résiliant» qui a réussi à surmonter la liquidation de la CNIM à qui avait été attribué le marché du pôle de traitement des déchets de Pierrefonds.

La CNIM, principal attributaire de ce marché  (230 M€ pour la construction et 150M€ pour l’exploitation des 10 premières années), a été liquidée à la fin de l’année dernière. Et il a fallu être « résiliant », comme l’a souligné mardi Mohammad Omarjee, vice-président d’Ileva, pour poursuivre le chantier « dans les délais et dans le respect de l’enveloppe initiale ». 

Un appel d’offres « dans les prochains jours »

Reste que le casse-tête de la reprise demeure. Parallèle Sud l’écrivait déjà le 9 septembre dernier. Nous annoncions le lancement d’un nouvel appel d’offres pour poursuivre le chantier de Run’eva. A l’heure où vous lisez ces lignes, cet appel d’offre n’a toujours pas été lancé. Ileva a déclaré mardi qu’il « va paraître dans les prochains jours afin de sécuriser et d’engager la seconde phase ».

Or cette « seconde phase » est en fait le coeur du réacteur. Il s’agit de l’incinérateur qui a suscité tant de débats depuis près de trente ans. Moults associations, citoyens et responsables politiques ont d’abord dénoncé le principe même de la construction de cet équipement décrit comme une menace pour la santé des riverains. On se souvient encore des affiches 4×3 de la Région de Didier Robert qui s’opposait à l’incinérateur…

Finalement le plan régional de traitement des déchets, adopté par tous, a dû se résoudre à cette unique solution pour traiter la montagne d’ordures que produit continuellement notre société de consommation.

Toujours plus d’ordures

Là est d’ailleurs la deuxième mauvaise nouvelle entendue lors de la conférence de presse d’Ileva : la production de déchets dans le Sud et l’Ouest est passé de 238 000 tonnes à 250 000 tonnes l’année dernière. La loi NOTRe avait comme objectif une réduction de 10% des déchets ménagers et assimilés entre 2010 et 2020. On en produit 5% de plus. Signe que les opérations de « zéro déchet », « recyclage » et autres « réduction des emballages et pubs » ne relèvent que d’un immense « greenwashing » subventionné. Mais c’est une autre histoire (bis)…

Revenons à l’histoire de l’incinérateur. Le centre de tri des ordures ménagères de Run’eva (bacs verts) va donc traiter, d’ici un an et demi, plus de la moitié (145 000t) des ordures ménagères de l’Ouest et du Sud. 33 000t seront recyclés. 90 000t seront transformés en combustibles solides de récupération, les fameux CSR. En attendant que l’incinérateur soit construit, les CSR seront enfouis dans le 7ème et dernier casier de la monstrueuse décharge de Pierrefonds, plusieurs fois saturées.

C’est un non-sens mais on n’en est pas à une aberration près puisque dans le Nord-Est, l’autre outil réunionnais de production de CSR (Innovest-Suez) se cherche lui aussi des débouchés tant que les chaudières d’Albioma ne sont pas dimensionnées pour les brûler. La question du brûlage des CSR est autant technique que financière et le fait qu’elle ne soit pas réglée alors que les CSR sont déjà produits souligne l’imprévoyance des politiques de traitement des déchets au fil des décennies.

Maîtriser le surcoût

Techniquement la future Unité de valorisation énergétique (UVE) de Pierrefonds — nom plus consensuel de l’incinérateur — est imaginée pour s’adapter à tout type de CSR, tant en qualité calorifique qu’en quantité. L’électricité produite devrait alimenter l’équivalent de 60 000 personnes.

Mais qui va la construire et l’exploiter ? Dans un premier temps, le repreneur de la filière énergie-environnement de la CNIM, Paprec, a étudié le cas et y a renoncé. Il souhaitait renégocier le marché. « L’outil est conçu. Il faudra juste adapter le process initialement prévu et les entreprises répondront sans difficulté à notre appel d’offres, espère Mohammad Omarjee. Nous relançons la concurrence pour maîtriser les coûts. Il y aura sans doute un surcoût lié aux matériaux et à la situation actuelle mais ce ne sera pas exorbitant pour le contribuable ».

Les candidats potentiels ne sont pas si nombreux : Paprec, sans doute, Suez, déjà présent dans l’île, Vinci-environnement… Les jeux sont ouverts alors qu’une bonne partie de l’équipement, comme le récupérateur des mâchefers, est déjà livrée, et qu’une autre est commandée, comme les générateurs d’électricité.

Bref, les discussions s’annoncent serrées. Il faudrait que le marché soit attribué avant la fin de l’année pour que tout soit livré et exploité au 1er janvier 2026.

Le méthaniseur en septembre 2022 puis en février 2023 après réparation.

L’équipe du projet Ileva semble impassible, « résiliante », rodée aux obstacles surmontés depuis la pose de la première pierre en août 2021. Lors d’une précédente visite, en septembre dernier, le chef de projet Eddy Lebon et la directrice d’Ileva Mireille Maillot nous avaient notamment montré des fissures béantes sur le méthaniseur en béton armé qui digérera les déchets biologiques. Mardi les murs étaient parfaitement lisses. Comme quoi il n’est pas d’aléa insurmontable…

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.