L’EXPOSITION PRÉSENTÉE PAR LEURS ORGANISATEURS
« Désamarrer », un mot riche en sens et aux multiples facettes, tel un navire prêt à
prendre le large. Enraciné dans la langue créole, ce terme porte avec lui un éventail
de significations qui se croisent, évoquant une multitude d’images, d’émotions et
d’histoires.
Dans l’univers maritime, « Désamarrer » évoque immédiatement l’idée de départ, de
voyage, mais aussi de rupture. Ce terme, encore vivant à La Réunion, fait écho aux
voiliers qui naviguaient sur les eaux, tout en symbolisant la fin de l’ adolescence, ce
moment où l’on se libère des amarres pour se lancer vers l’inconnu. C’ est l’image d’ un jeune qui quitte le foyer familial, à la fois excité et intimidé par l’immensité du monde qui s’étend devant lui. C’ est aussi celle d’une barque qui s’éloigne du rivage, portée par des rêves, des découvertes et des promesses, mais aussi par des risques et des défis.
« Désamarrer », c’ est ce moment de transition, un acte de courage et de détermination. Larguer les amarres, c’est prendre le risque de l’inconnu, s’ exposer aux joies comme aux peines, où chaque vague peut être à la fois un obstacle ou une ouverture vers un horizon nouveau. C’ est un geste de libération, une quête de liberté, un mouvement vers un avenir incertain, mais porteur d’ espoir. Et au-delà de l’ action physique, ce terme invite aussi à une réflexion plus profonde sur les raisons qui poussent à partir, souvent complexes et entremêlées. Celles-ci peuvent être multiples : réfugiés, migrants économiques, expatriés… Chaque histoire est unique, chaque départ, une recherche de sens.
À travers cette exposition collective, la Galerie Cinq Dimensions vous invite à explorer
l’ univers du « désamarrage ». Les œuvres des neuf artistes présentés illustrent des
processus de migration et d’intégration, en mêlant l’imaginaire à la réalité. Les créations abordent comment, au fil du temps et des générations, ces processus ont donné naissance à des œuvres hybrides, où se croisent diverses influences culturelles,
linguistiques et identitaires. L’ exposition devient ainsi un espace de réflexion et de
prise de conscience, où chaque œuvre incite à s ’interroger sur notre identité et nos
racines.
Découvrez comment les œuvres de l’exposition témoignent de cette fusion entre les
époques, les cultures et les espaces. La part symbolique de la culture d’ origine devient
alors un moyen de se relier à ses racines, tout en s’ adaptant au monde nouveau. Les
artistes, en s ‘appuyant sur des éléments de leur passé, les réinterprètent ou les
mélangent avec de nouvelles influences rencontrées sur leur chemin.
Le titre de l’ exposition, « Désamarrer », incarne l’ engagement profond de la galerie à
soutenir les artistes de La Réunion en leur offrant une visibilité au-delà des frontières
de l’île. Cette démarche permet aux œuvres de résonner dans l’Océan Indien, et bien
au-delà, afin d’ offrir à ces artistes une chance de grandir, d’élargir leurs horizons et de
s ’épanouir pleinement dans le monde de l’ art.
« Désamarrer », ce n’est pas seulement un mot, mais une promesse d’évasion, un
appel à la liberté, un défi à relever. Venez naviguer à travers l’ exposition et laissez-vous emporter dans ce voyage singulier, où chaque œuvre raconte une aventure unique, à la fois personnelle et universelle.
La Galerie Cinq Dimensions & Julien Aure – co-commissaire
Désamarrer
Point de départ, point de fuite, brèche des origines. Le geste, embusqué derrière le verbe, signale la prise du large, un défaire à l’orée d’ une dissolution des repères, une possible errance à venir. Remonter à l’origine de ce mouvement suppose que la notion doit être épurée de sa dimension (néo-)coloniale qui réduirait le mot à chercher l’ aventure ou encore la « liberté » ailleurs en prenant la mer, pour éviter ainsi l’écueil de l’ enferment dans un triste solipsisme aux apparences de cosmopolitisme.
Ballotée par le ressac, cette exposition collective nous donne à voir ceux du large(1), ceux qu’ on jette à la mer (2), les antiques vavangues végétales et les spectres de la traversée incendiaire (3). Désamarrer ne signifie pas être sans amarres ou y avoir renoncé, les artistes au contraire interrogent plutôt la façon dont nous les enlaçons (à
nouveau), les procédés subtiles et fragiles par lesquels se nouent nos existences, pas uniquement à un lieu, une île, un océan, mais également à une personne : l’étrange traversée, aux accents marins, partant d’un li ral a mwin vers l’indépêtrable li la amar mon kër (4). Le vocabulaire maritime ne trompe pas, ce qu’ explorent les artistes c’ est
aussi ce que nous nouons avec un autre, ces liens qui couturent nos existences.
« Désamarrer » nous révèle, entre les lames de la mer et au creux de nos corps vermoulus par l’ oubli, des visages-fantômes passés aux bûchers de la mémoire, des corps spectraux s’ effaçant en d’ amoureux gilets liés par un fil conjurant la solitude du naufrage, des portraits de basalte et des hommes de charbon dont le dos — chargé d’un cosmos — s’épanouit en de minérales inflorescences, une tortue solaire qui nous rappelle l’ ancien leurre des îles migrantes. De lianes en rhizomes émergent les parcours de ces végétaux déposés en île, les migrations des paysages et la mélancolie de leur contour imprimée dans des tissages floraux dévoilant les fils qui suturent nos mémoires, l’ arrimage tentaculaire d’une valise, l’itinéraire de celles et ceux qui disparurent en océan — tel cet échoué qu’ondulent les eaux du rivage —, l’inégalité des conditions de départ qu’ exhibe un passeport « de bois ». Contre toute inhibition des sentiments et à rebours des simulacres qui peuplent notre monde contemporain, l’exposition « Désamarrer » propose de scruter ce qui traverse notre quotidien sans jamais être anodin : ces sillages qui creusent nos existences et laissent en nous des marques profondes.
Elisa Huet, co-commissaire de l’exposition « Désamarrer »
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1 – Ananda Devi, Ceux du large, Paris, Éditions Bruno Doucey, 2017.
2- Carl de Souza, Ceux qu’ on jette à la mer, Paris, Éditions de l’Olivier, 2001.
3- Alain Lorraine, Tienbo le rein et Beaux visages cafrines sous la lampe, Paris, L’Harmattan, 1975, p.37.
4- C’ est un des sens du mot que relèvent Carpanin Marimoutou et Françoise Vergès dans l’ ouvrage majeur Amarres créolisations india-océanes.
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