SUR NOS SENTIERS
Sur les flancs du Dimitile, le chalet CoGîte propose un concept original : le séjour coopératif. Les marcheurs inconnus se découvrent en découpant les légumes ou en participant à des ateliers. Simple et pourtant peu commune, la formule crée l’atmosphère propice aux partages. Tout autour, les arbres, les plantes, les esprits des marons éveillent les sens.
Les lueurs du jour déclinent. Les nuages se parent de couleurs orangées. Le panneau « Chalet CoGîte » indique que la destination est proche. Le jour s’éteint lentement dans la forêt, le calme de la nuit s’installe sur le Dimitile. Le cri d’un oiseau, par instants, rompt le silence, entre quiétude et inquiétude.
« Il y a quelque chose de particulier, de symbolique, à monter dans les hauts à La Réunion », confie Mahesh, savourant le souvenir encore frais de sa marche. « C’est encore plus marquant quand tu le fais seul, ou quand c’est la nuit. »
Changement d’ambiance derrière la grille du chalet. Un groupe d’une dizaine de personnes s’affaire autour de la table en bois de la terrasse couverte. Les convives coupent les fruits à pain, hachent les oignons, trient les brèdes. Le brouhaha s’intensifie en direction de la cuisine. Deux couloirs parallèles permettent de circuler entre la vaisselle propre, la vaisselle en cours de nettoyage et les marmites sur le feu. Chaque mètre carré est occupé par les cuisiniers, apprentis cuisiniers, commis d’un jour.
Frites de fruit à pain et beignets manioc
Rapidement, les plats sont déposés sur la longue table de la salle principale. Tout au long du week-end se succèderont brèdes, poulet frit, frites de fruit à pain, beignets de manioc sucrés et salés, bananes rouges frites, salades variées, chips maisons, petits pains au fromage, pancakes… Dévorés avec gourmandise.
Au repas, comme en cuisine, on ne sait plus qui sont les hôtes, qui sont les convives, qui sont les différents groupes. Tout le monde mange à la même table, les clients aussi se mélangent. C’est le concept du chalet : le partage. Chacun est invité à participer à l’organisation de la vie collective s’il choisit la formule moins chère, ou à mettre les pieds sous la table s’il préfère la tranquilité de la formule plus onéreuse. Les discussions plus intimes ou les moments de complicité naissent souvent en faisant la vaisselle ou en attendant la cuisson d’un plat.
« Ce soir, j’ai appris comment éplucher du gingembre à la petite cuillère », s’amuse un convive. Une dizaine de personnes sont venues participer à un week-end d’intégration pour souder les membres de leur tout récent groupe de théâtre d’impro. Ils sont là pour apprendre à se connaître, dans une plus grande intimité. L’autre groupe de clients est constitué d’amis, âgés d’une trentaine d’années, accompagnés d’un bébé de 10 mois.
Se ressourcer dans les hauts
Le week-end prolongé du 1er mai est l’occasion de déconnecter de l’agitation des bas pour se ressourcer dans les hauts, au bout d’une randonnée de 2h30. Le gîte est également accessible en 4×4. La journée du dimanche s’articule autour d’une activité de théâtre d’impro. En fonction des visiteurs, groupes, scolaires, etc., Coralie et Quentin Josseron, 30 ans, les deux Tamponnais propriétaires du gîte, organisent des activités variées : initiation au maloya, au moringue, yoga…
Au petit matin, le soleil se lève pile en face du chalet, découvrant les falaises de Bois Court qui plongent vers Grand Bassin dont on ne peut pas voir le fond.
Pendant longtemps, le chalet et ses extensions ont servi de gîte et c’était la volonté de l’ancien propriétaire de maintenir une activité d’accueil et d’hébergement des promeneurs. Le lieu qui s’étend sur deux hectares est racheté en 2017 par Quentin et deux hommes qui se sont rencontrés via des groupes soucieux de revenir à un mode de vie plus simple, plus proche de la nature. Les tensions humaines ont petit à petit remodelé le noyau, les deux autres associés ont cédé la place à la sœur jumelle de Quentin, Coralie. Déjà présente dans le projet depuis 2019, la jeune femme, ancienne travailleuse sociale, a racheté la moitié des parts en 2021.
Autonomie énergétique et alimentaire
Lorsqu’ils reprennent le lieu, Quentin Josseron et ses deux anciens associés s’occupent du terrassement, ils plantent des fruitiers, font des travaux d’isolation. Ils construisent également une deuxième cabane individuelle, des toilettes sèches, une petite serre…
Les idées ne manquent pas, seule la force motrice, parfois, ne dispose pas d’assez de bras. « Ici, on est très exposé aux aléas climatiques », souligne Coralie. « On a eu du vent à 200 km/h au moment du passage de Freddy cette année, alors qu’il n’y a rien eu dans les bas. Depuis, la cabane dans l’arbre n’est plus accessible, elle risque de s’effondrer. » Les sentiers aussi peuvent devenir impraticables ou la piste de 4×4 inaccessible, ce qu’il s’est passé lors du passage du cyclone Batsiraï.
Si le premier pilier du lieu est le partage, le second est de tendre vers l’autonomie énergétique et alimentaire, d’innover dans la valorisation des ressources à portée de main. Au Chalet, quand ils en ont le temps, Coralie et Quentin font de la transformation de produits, fabriquent des huiles surprenantes – comme l’huile du grain de passiflore banane, réutilisent les plantes invasives arrachées. Ils soignent également des poules et des canards. Mais ils reconnaissent être encore loin d’une autonomie alimentaire réelle.
Arrachage de plantes invasives
« On arrache les invasifs et on replante des endémiques », développe la Tamponnaise. « Les groupes qui arrivent derrière viennent entretenir. Ça permet à la forêt de se régénérer. On a une partie de la ravine en contrebas qu’on a plus ou moins stabilisée. »
« Ces derniers temps, on a mis en place de plus en plus de projets avec des jeunes », raconte Coralie. « On a travaillé avec des jeunes du lycée agricole en BTS Gestion, protection de la nature ou d’autres du lycée François-de-Mahy. On a travaillé avec les jeunes des Eclaireurs de la nature, on a aussi accueilli des colos, des jeunes de foyers et des personnes en insertion. En dehors du tourisme, on a envie d’accueillir tous types de publics. »
Les jours passés au gîte sont une parenthèse dans leur vie quotidienne. Car au-delà de découvrir l’agroforesterie, la permaculture ou l’arrachage de plantes invasives, ils apprennent aussi à éteindre les téléphones, vivre en collectivité, manger des produits auxquels ils ne sont pas forcément habitués. Et puis, à 1500 mètres d’altitude, il faut faire attention à la consommation d’eau et d’électricité si on ne veut pas finir à la bougie et se doucher à l’eau froide.
Quête de liberté
Les marcheurs de passage apprennent avant tout à prendre le temps. Se poser, observer la nature environnante. Se laisser imprégner de l’atmosphère du lieu. Un endroit hors du temps, hors de l’ordinaire, un haut lieu du maronnage. Où on laisse l’imaginaire réinventer l’histoire du capitaine Dimitile, du roi Laverdure et de la reine Tsaralava.
« Il y a quelque chose de symbolique à La Réunion d’emprunter les sentiers, de monter dans les hauts », reprend Mahesh. « Quand on est en quête de liberté, qu’on veut échapper au système ou à la monotonie, on reprend les mêmes sentiers qu’ont empruntés les marons avant nous. Là, on se retrouve seul, on observe la nature, nos peurs, nos démons. C’est un espace d’introspection, ça aiguise le courage. Avant, les gens marchaient énormément. Aujourd’hui, on prend tous la voiture. On se sent plein de vie dans les sentiers. On se réancre à la nature, mais aussi à notre corps et on se rend compte qu’il est capable de choses incroyables. »
Jéromine Santo Gammaire