CULTE MALGACHE ET HISTOIRE DU MARONNAGE
Dimanche, trois jours avant la date officielle de la fête de la liberté, la cérémonie Atidamba, au Dimitile, a honoré pour la 20e fois la mémoire des grands marons de La Réunion. Les associations Miaro et Zangoun font ainsi revivre l’histoire à travers la pratique ancestrale du culte malgache.
Dimitile. On y monte pieds nus. Pas tous. Les centaines de participants de l’Atidamba, cérémonie en hommage aux ancêtres marons, viennent comme bon leur semble. Il y a même des 4×4 qui font la navette. Mais oui, certains montent — et redescendent — pieds nus. Tous ont une graine dans la poche.
C’est un premier signe que ce moment est unique et exige, pour la plupart des participants une profonde implication. « Vingt-et-un jours de carême », confie Nadia qui en est à sa deuxième participation. Les quelque 400 personnes qui sont montées au camp maron ce dimanche 17 décembre n’ont pas seulement marché sur les traces du roi Laverdure, de la reine Sarlave et du guetteur Dimitile. Ils sont venus communier avec eux, avec leurs mémoires, avec leurs esprits. Ils s’en sont remis à l’entité divine désignée sous le nom de Zanahary.
Au détour du sentier quelques fanions vert-blanc-rouge et un collier de perles apparaissent comme le deuxième indice des origines malgaches du rassemblement. Là-haut, après une heure et demie d’ascension, il est temps de revêtir le lambahoany et de remiser ces chaussures dans un coin.
Les grappes d’hommes et de femmes s’installent au gré d’un ombrage, d’une tente plantée la veille ou d’une table de pique-nique. Les notes du Valiha se perdent dans la brise légère alors que deux files se sont formées pour guider les arrivants vers un.e officiant.e chargé.e de les purifier en quelques mots et quelques gestes. Paix, santé et prospérité. Un point de terre blanche et sacrée sur le front, deux traits sur les chevilles. Un peu de miel au creux de la paume.
Tradition, histoire, culture, religion…
L’Atidamba n’a pas commencé que les participants sont déjà happés par sa puissance spirituelle. Dès les premiers rituels quelques corps plient et parfois s’effondrent. Les proches et les officiants donnent la main et la parole pour les relever.
Tradition, histoire, culture, religion… Tout se mélange dans cet « autre 20 décembre ». « C’est le premier et seul espace public où les descendants des marons malgaches peuvent exprimer leur foi », confie Charlotte Rabesahala. Elle nous avait prévenu lors de notre précédente rencontre consacrée au « royaume malgache de l’intérieur », qu’elle était à la fois historienne et prêtresse.
Là, au Dimitile, sous son parasol, vêtue d’une robe claire, elle est la maîtresse de cérémonie. Elle jalonne le culte de récits historiques sur les exploits des marons malgaches. « 80% malgache, précise-t-elle, il y avait aussi des marons d’Afrique et d’Asie. » Ces grands résistants aux oppresseurs esclavagistes n’ont pas attendu 1848 et Sarda Garriga pour vivre en femmes et hommes libres.
Elle raconte le génie qui les a animés pour bâtir des villages autonomes. Elle raconte leur courage. Elle raconte leur solidarité : « La reine Sarlave et le roi Laverdure ont résisté à tout un détachement de chasseurs pour permettre à une soixantaine de familles de leur échapper. 7 marons et 6 maronnes se sont sacrifiés pour sauver les autres. La réalité historique des grands marons est encore plus belle que les légendes », s’exclame-t-elle.
« Nout zansèt, Nout fors »
Cette histoire, où la femme tient un rôle central, est bien différente de l’histoire officielle ou de grands notables en costume se succèdent au fil des événements. Cette histoire marone s’incarne littéralement dans la foule venue la célébrer. L’identification à la lignée des Dimitile, Sarlave et Laverdure est profonde. Voire absolue.
Les centaines de participants processionnent, derrière les officiants guerriers, jusqu’à l’enclos sacré des ancêtres. « Nout zansèt, Nout fors », clament-ils. Ils y entrent en quatre temps représentant les points cardinaux : les gens du Nord, ceux du Sud, de l’Est et de l’Ouest.
Sous le passage des bâtons brandis par les guerriers, les tensions internes s’intensifient au rythme des chants malgaches et des percussions. Certains fidèles entrent en transe. Les Fièrs maronèrs de Langaz kabaré livrent un maloya envoûtant. Gramoun Sello se joint aux musiciens pour chanter ses morceaux traditionnels.
La cérémonie de l’Atidamba consiste à entourer la stèle-sépulture des marons d’un linceul en soie sauvage. L’acte est religieux bien sûr, mais aussi « réparatoire ». « Nous mettons un linceul pour ancestraliser les morts qui sont partis sans sépulture, explique Noro Rakotobe d’Alberto (visionner la vidéo). Ces marons sont morts dans des conditions ignominieuses. Nous sommes fiers de leurs luttes mais ils n’ont pas été honorés correctement. Le linceul va symboliser les honneurs que nous portons aux morts. C’est une manière de maintenir vivantes les valeurs qu’ils portent. »
Une lignée jamais interrompue
Les officiants déposent le linceul de l’année précédente et le découpent en morceaux qu’ils distribuent à la foule. Trois jeunes gens lisent une centaine de noms de marons. Charlotte Rabesahala présente la doyenne de la cérémonie, Louisa Bazaline, fille de la célèbre Madame Baba qui organisait son servis malgas à la Balance Coco. Elle présente aussi le benjamin, Mathéo Tahina qui n’a que 2 ans.
Ces deux marqueurs générationnels signifient que la lignée ne se rompt jamais. Cela fait 360 ans qu’elle s’inscrit dans la terre réunionnaise. 1663 : année de l’installation définitive des premiers Réunionnais : ils étaient malgaches.
Au coeur de ce rassemblement hauts en couleurs les histoires familiales se mêlent à l’histoire collective. Ainsi, ce dimanche, une jeune femme a pu y retrouver son père qui ne l’avait jamais reconnue. Seule la ferveur de l’Atidamba pouvait briser le mur qui les séparait.
Entre les prières et les hommages, les maloyas accueillent les moments de transe. Il ne faut pas les filmer ou les photographier. C’est un moment intime et puissant pendant lequel la personne saisie n’est plus vraiment elle-même. Elle est prise de spasmes, ou marche à quatre pattes, ou grimace les yeux exorbités, ou danse de façon frénétique… « C’est impressionnant, l’ancêtre s’exprime à travers le corps de celle ou celui qui le reçoit. Nous avons un poste de secours pour la prise en charge d’une personne qui se sentirait mal. Mais ce n’est jamais grave », rassure Charlotte Rabesahala.
Existe-t-il un autre lieu où l’histoire de la Réunion ressurgit de manière aussi charnelle ? Où s’exprime une telle force vive venue des tréfonds du maronnage ? L’hommage devient dévotion. Selon les rites ancestraux malgaches un autel déborde d’offrandes : de l’huile, du lait, des légumes et fruits que consommaient les marons, du miel, du rhum, du tabac, etc.
Pour conclure, les fidèles se dirigent paisiblement, les uns derrière les autres, vers la stèle de Dimitile, Laverdure et Sargave. Ils en font plusieurs fois le tour. Certains versent de l’huile, du miel ou de l’eau de Cologne sur les plaques commémoratives. La tension de la rencontre mystique est retombée. L’heure est au partage des offrandes. Quelques mots, quelques sourires, il est temps de redescendre.
Texte et photos : Franck Cellier
Dina Dimitil
(Hommage lu par toute l’assemblée)
Aou mon zancète malgas ou té libe, ke ou té in zesclave ou in zengagé
Ke Moin la serre aou dann finfonn mon ker
Moin la serre aou dann finfonn mon l’âme
Moin la serre aou au fond même, pou oubliye aou
Pou oubliye ote souffrance
Pouvoir oublier la honte
La honte té dessus ou
La honte ête in zesclave
La honte la misère
Aou mon zancète,
Mi porte aou dans mon corps, dans mon sang, dans mon ker
Ou lé vivant dann toute pied-de-bois
Dann toute zanimo
Dann toute l’endroit mi dit le nom dans oute langue, mon langue oublié
Zordi, mi donne aou mon l’amour, mon respect
Mi veut ote souvenir i vive dans mon kèr
In souvenir vivant
In souvenir i donne anous la force
In souvenir sacré
Mi veut gaingne ote courage, mi veut ote rage la liberté
La liberté ou la arrache su la terre
La terre nous l’artrouvé
Dans oute trace Su la terre nous l’artrouvé,
Mi trouve mon libération