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Don alimentaire : comment maintenir une population dans la servitude

LIBRE EXPRESSION

Être désigné comme victime, c’est être condamné à devenir celui qui ne maîtrise plus son avenir, celui dont le destin est en d’autres mains. 

C’est devenir ce « bénéficiaire » pour reprendre le jargon bureaucratique des CCAS ou associations, celui qui, au bout de la chaîne humanitaire devient aussi un argument marketing au détour d’un mailing envoyé aux donateurs, ou un simple chiffre ramené à l’anonymat et a la massification des statistiques.

Donner pour mieux dominer

Il faut « désoccidentaliser » l’aide alimentaire car il existe dans cela un modèle de comportement occidental très prégnant. 

L’aide alimentaire met en rapport des mondes qui sont inégaux sur le plan économique, mais aussi des mondes qui ont une histoire. Au fond, celui qui distribue des barquettes alimentaires à la Réunion n’est pas si nouveau que ça. Le Réunionnais et lui se reconnaissent quelque part dans leur histoire car cette mémoire-là c’est celle de l’histoire coloniale. 

C’est comme si les affranchis faisaient appel au maître, comme si le maître venait au secours des affranchis. Cela pose problème. Il faut davantage avoir conscience de cette mémoire-là. 

Cela fait plus d’un siècle que l’abolition de l’esclavage à La Réunion a été célébrée mais c’est comme si la distribution de l’aide alimentaire nous rappelait que, d’une certaine manière, nous n’avions pas été en mesure d’assumer notre destin.

Ce n’est pas nous qui sommes démunis et impuissants, c’est plutôt eux qui le disent. La politique de la distribution de barquettes alimentaires est une politique qui maintient la population dans une dépendance sociale et psychologique.

Donne, c’est recevoir… des subventions

Un vrai don devrait être, semble-t-il, désintéressé et altruiste. Mais en réalité, il semblerait que cela ne soit pas le cas. Ainsi derrière le don se cache un désir de socialité, de prestige, de domination.

Derrière un don, on peut également identifier un besoin de reconnaissance. Ceci est particulièrement vrai pour l’aide alimentaire où les projets « visibles » ont un bien meilleur succès lors de la recherche de financement. 

On a vu des associations clamer à coup de communiqués de presse les montants engagés. D’autres se contentaient de se calquer sur les premières, ou de corriger le tir si leur montant initial était un peu faible !

Cette pratique ne relève pas de la morale, mais de la communication.

La multiplication des distributions des aides alimentaires rend de plus en plus difficile le travail sur le terrain. C’est la course à la visibilité.

Les distributions de dons alimentaires mettent aussi en lumière une hypocrisie, celles de grands donateurs qui s’apitoient et envoient des tonnes d’aide alimentaire, alors qu’ils savent pertinemment qu’ils détiennent la clé du problème. 

Davantage de partenaires et moins de bénéficiaires

Il faut plus tendre vers une meilleure participation des populations au processus d’assistance.

Une aide humanitaire durable, c’est une aide dont les effets s’inscrivent dans le long terme. Il ne s’agit pas d’une aide qui dure, mais plutôt d’une aide qui sait évoluer et donner aux populations les conditions nécessaires pour retrouver leur autonomie

Les « partenaires » ne doivent pas rester passifs ; il faut leur donner les moyens de retrouver un statut d’acteur économique et de devenir acteur aussi dans la gestion des crises. 

Car l’aide alimentaire se résume souvent à l’impératif d’agir sans solliciter une quelconque participation du bénéficiaire dans la relation d’aide. D’où un processus qui conduit les bénéficiaires à considérer l’aide extérieure comme un droit, voire comme un dû.

D’une violence à l’autre

La défiscalisation de l’aide alimentaire profite en premier lieu aux grandes et moyennes surfaces. Suite à la loi Garot, les distributeurs ont donc augmenté leurs dons alimentaires auprès des associations caritatives, et profitent par là-même de la défiscalisation 

Les aliments, s’ils perdent leur valeur marchande parce qu’ils sont moins frais, moins beaux ou moins bons, retrouvent donc une valeur fiscale grâce à ce système. 

La loi revient à autoriser à nourrir les pauvres avec ce qui était destiné à être jeté . Est-il juste dans une société d’abondance de devoir se contenter des restes ? 

Les personnes qui ont recours à l’aide alimentaire vivent une violence psychologique intense, Une grande vulnérabilité accompagne la précarité du demandeur. Sa demande d’être aidé lui impose d’accepter.

Observatoire de la vie politique à la Réunion — Août 2022

Chaque contribution publiée sur le média nous semble répondre aux critères élémentaires de respect des personnes et des communautés. Elle reflète l’opinion de son ou ses signataires, pas forcément celle du comité de lecture de Parallèle Sud.

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