[Écocide] Le président relaxé, l’éleveuse condamnée

PROCÈS DU LISIER A GRAND ÎLET

L’affaire de la pollution au lisier des rivières de Salazie a montré les dérives de l’élevage intensif de porcs et de poulets et le non-respect systématique des normes environnementales. La montagne accouche pourtant d’une souris avec la relaxe du président de la société de Camp-Pierrot et la condamnation légère des Salaziens responsables de la coopérative des éleveurs et de l’exploitation de la station de traitement des effluents d’élevages.

C’est une belle leçon de droit que les deux avocats de Patrick Hoareau, Me Sébastien Navarro et Me Jérôme Maillot, ont donné au parquet de Saint-Pierre en obtenant hier la relaxe totale du directeur de la Fédération réunionnaise des coopératives agricoles dans l’affaire de la pollution au lisier des rivières de Salazie.

A la lecture des faits pour lesquels il était poursuivi et de la période de prévention, les juges du tribunal correctionnel ont estimé que Patrick Hoarau ne pouvait être tenu, à titre personnel, pénalement responsable du déversement des effluents d’élevages de porcs et de poules dans les ravines Azaye, Camp Pierrot et Grand Sable.

Patrice Nourry et Myrielle Damour sont venus entendre le délibéré, pas Patrick Hoareau.

Ce n’est pas réellement une surprise tant la démonstration de la défense avait été précise lors de l’audience du 2 mars dernier. En tant que président de la SAS de Camp Pierrot, propriétaire du site de la station de traitement, il n’a en effet pas directement été à la manœuvre des actes de pollution. Même s’il a été le pilote de la stratégie financière de cet équipement dès le début du projet. « On a relevé qu’il était avisé des dysfonctionnements mais aucun des éléments de la prévention n’était constitué, il est donc relaxé », a expliqué hier la présidente de l’audience.

Le parquet fait appel

Sitôt le délibéré communiqué, le parquet a fait appel de la décision mais il sera bien difficile de démonter en droit l’argumentaire de cet influent directeur du monde des coopératives agricoles. Avant l’appel sur ce volet écologique de l’affaire du lisier, il aura néanmoins à s’expliquer sur son volet financier le 31 mai prochain, car il est encore poursuivi pour abus de biens sociaux et banqueroute.

Patrick Hoareau n’était cependant pas seul à la barre des accusés et les deux autres prévenus n’ont quant à eux pas échappé à la condamnation tant les infractions sont évidentes : pollution, non-respect des mises en demeure des services de l’environnement, vente d’un compost ne respectant pas les normes environnementales…

Patrice Nourry, le chef d’exploitation de la station, a été uniquement condamné pour la vente du compost, le tribunal n’ayant retenu aucune faute caractérisée dans sa gestion : soit 4 mois de prison avec sursis et 5 000€ d’amende avec sursis.

La seule personne physique qui va devoir payer est finalement sa sœur, Myrielle Damour, condamnée à 6 mois de prison avec sursis et 10 000€ d’amende dont 5 000€ avec sursis. Elle doit assumer le fait de son statut de présidente de la Coopérative de traitement des effluents d’élevages de Grand Ilet (CTEEGI). Son avocat, Vincent Hoarau, n’envisage pas un pourvoi en appel tant la procédure a été pénible pour sa cliente. Il compte seulement demander un arrangement amiable avec la CTEEGI pour alléger la charge financière demandée à l’éleveuse.

« C’est elle qui paye de ses deniers pour une activité dont elle n’a pas perçu le moindre euro. Heureusement, elle n’a pas été interdite d’exercer comme l’avait requis le parquet. Elle pourra donc poursuivre son activité », se félicite l’avocat. Le tribunal de commerce ayant validé un plan de redressement sur dix ans de la CTEEGI (information du Quotidien) l’horizon passablement assombri des élevages salaziens se dégage un peu.

« Sentiment d’injustice » et « justice »

La CTEEGI fait également partie des condamnés puisque cette coop devra quand même payer une amende de 50 000€ et 5 000€ de préjudice moral à la fédération des pêcheurs qui s’était constituée partie civile dans cette affaire.

A la sortie du délibéré, Patrice Nourry, s’exprimant autant pour lui que pour sa sœur, n’a pu retenir sa colère : « C’est ignoble, nous sommes les seuls condamnés. On a eu les mains dans la m… pendant dix ans et M. Hoareau, qui savait tout, on ne lui reconnaît aucune responsabilité. »

On entend encore le réquisitoire de la substitute du procureur, Simona Pavel, qui avait requis la peine la plus lourde contre le directeur de la FRCA (12 mois de prison avec sursis et 30 000€ d’amende avec interdiction d’exercer) parce qu’elle le considérait comme « le gérant de fait » de la station de traitement.

Elle s’était alors exclamée : « Ce qui fait le sentiment d’injustice sur cette île, c’est que certains tirent les ficelles et d’autres payent les pots cassés. » Le jugement de ce 6 avril 2023 a mesuré le fossé entre ce « sentiment d’injustice » et « la justice » tout court, c’est-à-dire le droit dans toute sa rigueur. 

Tribunal de Saint-Pierre affaire du lisier Camp Pierrot Salazie Patrice Nourry environnement Me Sébastien Navarro
Me Sébastien Navarro (sur la photo) et Me Jérôme Maillot ont obtenu la relaxe du directeur de la FRCA sur « des motifs de pur droit ».

Commentaire de Me Vincent Hoarau : « Mes confrères qui défendaient Patrick Hoareau ont fait du bon travail et je suis satisfait de voir que la relaxe se fait sur des motifs de pur droit. Mais sur le plan de la morale, clairement M. Patrick Hoareau avait beaucoup plus de pouvoir et d’influence que Mme Damour pour pouvoir empêcher ce qui c’est passé. »

La suite en appel…

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.