[Économie] « Le vin reste un fabuleux vecteur d’échanges et de partage »

RENCONTRE AVEC VINCENT PION

Vincent Pion, « marchand de vin indépendant » depuis six ans, confie à Parallèle Sud ses impressions à propos du marché du vin à La Réunion.

Le vin est de plus en plus présent sur les tables réunionnaises, alors qu’il ne l’était pas il y a une trentaine d’années, comment l’expliquez-vous ? 

Vincent Pion : Quand je suis arrivé à La Réunion en 1995, il y avait seulement trois ou quatre caves dans l’île. Dans les grandes surfaces, sans leur jeter la pierre, les vins restaient assez mal sélectionnés et rares étaient les restaurants affichant une carte des vins digne de ce nom. Les Réunionnais restaient relativement peu intéressés par le sujet à l’époque. D’une manière générale, le vin restait un truc de métropolitains. En 25 ans, les choses ont complètement changé. Aujourd’hui, il doit y avoir à peu près 90 cavistes dans l’île. Les grandes surfaces ont compris aussi il y a quelques années qu’elles devaient faire un effort en termes de présentation, de sélection… Il y a de plus en plus de gens formés dans les grandes surfaces.  Cela a également participé grandement au développement du marché du vin. 

D’autres explications ? 

Ce qui contribue également à structurer le marché, c’est la formation de professionnels du vin, de sommeliers et leur présence notamment dans les restaurants. Aujourd’hui, on trouve de vraies cartes des vins, structurées, cohérentes, intelligentes dans de très nombreuses tables et souvent à des prix raisonnables. On le doit notamment au travail de Cyril Camilli, qui a ouvert il y a quatre ans une Petite école du vin, qui forme les futurs sommeliers de l’île en leur proposant sur le modèle de l’alternance une mention complémentaire de sommellerie reconnue par l’Etat. Chaque année, 20 à 30 candidats de tout âge fréquentent ses bancs pour apprendre le vin et plus largement tout ce qui peut se retrouver dans un verre sur une table.  Une fois diplômés, on retrouve ces étudiants dans les restaurants, chez les cavistes où dans les rayons dédiés des grandes surfaces. 

Les vins tiennent salon également depuis quelques années ?

Tout à fait. Il y a deux grands rendez-vous locaux. Le Salon des cavistes indépendants, organisé par Kris Soussa des Nénettes du Vin, existe depuis cinq ans aux Colimaçons à Saint-Leu. C’est un rendez-vous qui attire énormément de monde, beaucoup de connaisseurs, des gens vraiment intéressés. Même chose avec Vinocité à Saint-Denis. On voit bien à travers ces évènements le véritable attrait du grand public et comment La Réunion a rattrapé son retard. Le vin n’est plus l’affaire de quelques-uns, mais a trouvé une vraie place dans les habitudes des Réunionnais. On s’en rend compte également à travers les innombrables initiations au vin et à la dégustation que proposent cavistes et sommeliers. C’est cette conjonction de choses qui fait que le marché du vin se développe de manière cohérente 

Un soir au Sakifo.

Vous participez régulièrement au marché bio de l’AREC à Petite-Ile le samedi matin. Un petit mot ? 

J’y participe depuis plusieurs années. J’aime bien ces moments-là. Les gens découvrent, on parle, on échange, ils reviennent donner leurs impressions. Je suis à ces moments-là un peu caviste hors les murs. Le vin, ça reste un fabuleux vecteur d’échanges et de partage. 

Notre vignoble local à Cilaos, qu’en pensez-vous ?

Le chai de Cilaos qui était en liquidation judiciaire a été repris par Olivier Cadarbacasse et un associé. C’est un Réunionnais qui a investi dans le Bordelais il y a déjà longtemps. Ils ont réussi à fidéliser et fédérer les viticulteurs de Cilaos afin de produire des vins de qualité. En dehors du sauvetage et de la relance du chai de Cilaos, Olivier Cadarbacasse a eu la bonne idée de planter à mi-hauteur dans l’Ouest deux hectares de vigne. D’autres projets existent ailleurs, comme à la Pointe des Châteaux. Il y a une velléité de planter de la vigne à La Réunion en dehors de Cilaos. La problématique du cirque, c’est que les parcelles sont petites et très morcelées, qu’il y a énormément de microclimats, que les vendanges s’étalent dans la durée jusqu’à chevaucher la période cyclonique. En plantant à mi-hauteur avec des cépages adaptés, la maturité sera beaucoup plus précoce, précédant les aléas cycloniques. Et puis on aura une sorte d’homogénéité de terroir avec une récolte d’un seul tenant.  

A La Réunion, les effets de terroir sont innombrables. On produit ce qui se fait de mieux comme ananas, vanille, letchis, fruits de la passion… Il n’y a pas de raison que la vigne échappe à ce cadeau de la nature, d’autant que les terroirs volcaniques comme en Alsace, Auvergne, Sicile, Italie, donnent de très grands vins. Dans quelques années, La Réunion peut s’afficher comme une vraie terre de viticulture, y compris pour le raisin de table. A l’heure où la culture de la canne fait face à un avenir incertain, la vigne pourrait être un formidable moyen de créer une véritable valeur ajoutée.

Propos recueillis par Dominique Blumberger

Qui est Vincent Pion

Bourguignon de naissance, Vincent Pion est né à Beaune en Côte-d’Or. On pourrait se dire qu’il n’y a rien de surprenant à ce qu’il soit passionné par l’univers du vin. Une passion entretenue dès le plus jeune âge, qu’il a continué à développer, avant d’en faire son métier. Il a travaillé très longtemps au journal Le Quotidien de La Réunion, chargé de tout ce qui touche au secteur culturel puis chef d’agence à Saint-Pierre.

Premiers pas avec la création de « Bouteilles à la mer »

Il y a une bonne vingtaine d’années, il décide de créer l’association « Bouteilles à la mer » afin, dit-il, « de faire venir sur l’île pour l’entouraz pintades des vins de qualité qu’on ne trouvait alors nulle part ». Après une rupture conventionnelle, il arrête son métier de journaliste et, depuis cinq ans, il est « marchand de vin indépendant », c’est ainsi qu’il se définit, et c’est désormais son activité principale. Tous les vins proposés ne le sont que par lui. Il fournit particuliers et restaurateurs, mais aussi quelques caves.

Le stand de Bouteilles à la mer.

Une sélection de vins très rigoureuse

Les vins qu’il propose sont essentiellement sélectionnés en métropole par ses frères qui possèdent une entreprise de distribution de vins. Lui-même en choisit environ 10% grâce à des contacts et des dégustations lors de voyages. Parmi les 130 références qu’il propose, une majeure partie de vins bios, biodynamiques ou natures. « C’est une obligation éthique, car on doit penser à la préservation de la planète et à notre santé. Mes critères de sélection sont simples quels que soient les terroirs : trouver des vins qui offrent fraîcheur, fruit et énergie. Tu sens quand tu les bois, avec modération, qu’ils sont bons pour toi. »

D’autres passions…

Vincent Pion est aussi passionné de rock et de musique en général. Il a co-écrit un livre sur le rock avec Thomas Arcens (Bourbon Rock) et participé avec Stéphanie Johannes (Austral Films production) à un documentaire de 52 minutes sur The Dizzy Brains, un groupe de jeunes Malgaches engagés (The Dizzy Brains, Madagascar pays punk).

Mais il s’est lancé un autre défi. Avec un ami munichois, Martin Benke, auparavant photographe, il développe depuis quatre ans maintenant une bière artisanale. Une bière brassée dans les hauts de Saint-Joseph, à Bel Air, la Blonde Lontan. Martin s’occupe de la brasserie, Vincent de la distribution. Cette bière se fait peu à peu sa place, on la trouve notamment dans de nombreux bars et restaurants.

Vingt ans déjà que l’aventure « Bouteilles à la Mer » a vu le jour, la passion ne s’est pas éventée. Aujourd’hui, Vincent Pion mesure le chemin parcouru et continue à développer son entreprise avec toujours plus de choix, plus d’exigences. Et une énergie intacte.

Dominique Blumberger

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