[Education] Enseignants : la crise des vocations

RECRUTER DES PROFESSEURS S’AVÈRE DE PLUS EN PLUS DIFFICILE

Pourquoi l’Education Nationale a-t-elle autant de mal à recruter des enseignants ? Ce métier encore envié et respecté il y a une vingtaine d’années n’attire plus les jeunes. L’Etat fait de plus en plus souvent, et sur les conseils de la Cour des Comptes (mars 2018), appel à des contractuels. Que se passe-t-il donc à l’Education Nationale ? 

Mais que se passe-t-il à l’Education nationale. Autrefois envié et respecté, le métier d’enseignant ne ne fait plus recette. En effet, ces chiffres, tombés en mai, interpellent : admissibilités au Capes de mathématiques : 816 pour 1035 postes,  83 pour 215 postes en allemand, 720 pour 755 en lettres. Admissibilités au concours de professeurs des écoles : 521 pour 1079 postes dans l’académie de Créteil, 484 pour 1430 à Versailles, 180 pour 219 à Paris.  Ces chiffres parlent d’ « admissibilité ». Après les épreuves orales, les taux  de reçus seront donc encore bien inférieurs ! 

De nombreux articles de presse parus depuis janvier interpellent de la même façon sur la difficulté à recruter des enseignants, on y parle de « crise de l’école, de pénurie d’enseignants, de situation dramatique ». (*)

De plus en plus de contractuels sont embauchés par l’Education nationale.

«  On avait anticipé, il n’y a pas de difficulté particulière « , assure l’équipe de Jean-Michel Blanquer (France Info, 12.05). Edouard Geffray, directeur général de l’Enseignement scolaire ajoute (France Info 12.05) que l’Education nationale « a une réserve de personnels » et que la situation cette année « est ponctuelle et particulière ». Il y a de quoi douter de ces propos qui se veulent rassurants, alors qu’il est désormais fait appel régulièrement et massivement à des contractuels, pour la plupart non formés, et ce, depuis des années. 

Lorsqu’on cherche des chiffres, on s’aperçoit que l’Education nationale communique peu. D’ailleurs plusieurs syndicats d’enseignants s’en plaignent. Les derniers chiffres connus datent de 2020-2021. Ils montrent qu’ « entre 2015-2016 et 2020-2021, le nombre de personnels non-titulaires à l’Education nationale a augmenté de 107 243 quand le nombre de titulaires est resté stable. La part des contractuels est passée sur cette période de 14,5% à 22% » (source AEF info). De fait, et sur préconisation de la Cour des comptes (mars 2018), il est demandé à l’Education nationale d’avoir davantage recours aux contractuels : « Le recours croissant aux personnels contractuels : un enjeu désormais significatif pour l’Education nationale (communication de la Cour des comptes à la commission des finances du Sénat de mars 2018. »

Difficile de ne pas voir qu’il y a une vraie volonté politique de limiter les recrutements des enseignants et de favoriser celui de contractuels qui coûtent beaucoup moins cher à la nation, alors que le métier est difficile. Globalement, il est beaucoup moins attractif financièrement qu’on peut généralement l’entendre et le laisser croire.  

Les plus mal payés d’Europe

Il semble donc important de commencer par tordre le cou à quelques idées reçues. 

On entend, ou on lit souvent, notamment sur les réseaux sociaux, où les filtres n’existent pas, que les enseignants français seraient bien payés, qu’ils travaillent trop peu, ont trop de vacances, … Qu’en est-il vraiment ? 

De fait, les enseignants français sont mal payés, pour un nombre d’élèves par classe bien supérieur à ce qui se fait dans nombre d’autres pays, et avec un nombre d’heures d’enseignement très important. L’argument « beaucoup trop de vacances », avancé souvent pour dénigrer le monde enseignant, ne tient pas. Par contre, le nombre d’heures de cours dans la semaine des élèves français pose lui problème. Un jeune allemand, venu en échange linguistique, a dit textuellement : « Die Franzosen sind verrückt ! » (les français sont fous). En effet, en Allemagne, on ne passe son Bac (Abitur) qu’à 19 ans, la durée globale des vacances sur l’année est plus courte, par contre les semaines scolaires sont nettement moins chargées. Les élèves et les enseignants se sentent moins « sous pression ». 

Le tableau ci-dessous (établi à partir de sources de l’OCDE) donne de nombreuses informations. 

Comparatif salaire, nombre d’heures d’enseignement et d’élèves par enseignant, dans le primaire

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D’autres chiffres : un enseignant du 1er degré qui débute après trois ans de licence, deux années de master et un concours difficile, touche 1451 € nets par mois. Un professeur certifié touche la 1ère année 1828€ nets mensuels. Le croquis ci-dessous montre comment le salaire des enseignants a évolué depuis quarante comparativement au Smic. Quand les enseignants s’estiment « mal considérés », ils ont finalement plutôt raison ! 

Un autre tableau parlant concernant les départs volontaires, et qui montre que le métier d’enseignant est de plus en plus difficile.

Tableau parlant concernant les départ volontaires, et qui montre que le métier d'enseignant est de plus en plus difficile.

Avec ces chiffres, on comprend mieux le désamour pour cette profession qui a beaucoup de mal à recruter. Ce métier n’est plus attrayant, car difficile, et mal payé. Et pourtant, nombre d’enseignants continuent à dire que c’est un beau métier et qu’enseigner est d’une richesse irremplaçable. Mais aujourd’hui, nombre d’enseignants potentiels ne passent plus les concours, car pour gagner correctement leur vie, ils choisissent d’autres voies, d’autres métiers. Nos dirigeants ont eux « trouvé la parade », ils font appel à des contractuels qui n’ont pas passé les concours, qui sont embauchés majoritairement en CDD, et avec des salaires de base qui ne tiennent bien entendu aucun compte d’une quelconque ancienneté. Ces profs, non formés, sont alors mis devant des élèves, avec tous les risques que cela peut comporter pour eux et pour les élèves, leur « formation » étant alors assurée (au moins en partie) par l’équipe pédagogique de l’établissement où ils sont nommés. Une politique éducative assez étonnante…

Et à La Réunion ? 

A la Réunion, la situation est sensiblement différente, principalement en raison de la sur-rémunération qui permet aux enseignants de percevoir un salaire plus décent. Les conditions de travail sont sensiblement les mêmes qu’en métropole, mais le salaire compense en partie… 

Quant au recours aux contractuels, il existe également. Cette année, 79 contractuels embauchés en CDD dans le premier degré pour compenser des départs, des maladies, et permettre de disposer d’un volet de remplacement convenable (chiffres donnés par les syndicats et confirmés par le rectorat). Dans le second degré, le service communication du rectorat indique qu’ « il y a au 31 mai 2022 environ 10% de contractuels dans le second degré, 750 en CDD, 242 en CDI ». C’est en mathématiques (37) et en histoire-géographie (30) qu’ils sont les plus nombreux. Dans le 1er degré, il conviendrait d’élargir le recrutement pour éviter d’avoir recours massivement aux contractuels (150 postes l’an passé au concours, il en aurait fallu au moins 50 ou 60 de plus pour combler les réels besoins).  

Si la situation sur notre île est globalement plus « enviable » qu’en métropole, il n’en demeure pas moins que les enseignants restent bien moins payés que dans nombre de pays d’Europe. Dans le second degré, les jeunes qui réussissent le Capes partent le plus souvent en métropole dans des académies « déficitaires », donc souvent, dans des établissements difficiles, et ce, pour de nombreuses années. 

Depuis des années, voire des dizaines d’années, l’Education nationale et notre système de santé ne sont plus des priorités de nos gouvernements successifs. Aujourd’hui, on ne parle que d’optimisation, de croissance, de profits… Il serait temps que les politiques qui nous gouvernent reviennent à l’essentiel : donner du travail, soigner, protéger, éduquer… Faire appel à des contractuels ne serait-ce pas d’une certaine façon montrer que l’Education nationale ne remplit plus vraiment son rôle, pour pouvoir faire alors appel au privé ? C’est en tous cas l’une des questions qu’on peut légitimement se poser.

Dominique Blumberger

(*) France Info 12.05 : Éducation nationale : où sont passés les candidats des concours de recrutement des enseignants ? Télérama : 13.05 : Baisse du nombre d’admissibles au Capes : vers une pénurie de profs à la rentrée ? Marianne : 22.05 : Pénurie de candidats : problème « transitoire » ou baisse d’attractivité du métier de prof ? L’Express 14.01 : Recrutement, précarité…Les contractuels sont-ils la solution à la crise dans l’école ? Libération 22.05 : Manque de prof : la grande vacance Le Figaro 19.05, entretien avec Eric Anceau (historien) : « Pénurie d’enseignants : Pourquoi la situation de l’Education Nationale est-elle dramatique ? »

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