requin pointe noire

Effets bénéfiques des requins sur les écosystèmes coralliens

requin bouledogue
requin bouledogue.

Nota : le lecteur voudra bien prendre en compte le fait que les études ci-après concernent les requins en général, donc pas seulement les espèces apicales comme le requin tigre et le requin bouledogue mais également des espèces de taille plus modeste comme les requins de récif.

Comparant deux écosystèmes des Iles Hawaï – qui offrent de nombreuses similitudes avec la Réunion – Friedlander & DeMartini (2002) mettent en évidence le rôle essentiel des grands prédateurs, en particulier des requins, dans la bonne santé des écosystèmes coralliens :

« Une comparaison entre les îles hawaïennes du Nord-Ouest (NWHI), une vaste zone éloignée et peu exploitée, et les îles hawaïennes principales (MHI), une zone urbanisée et fortement exploitée, a révélé des différences spectaculaires dans la densité numérique, la taille et la biomasse des assemblages de poissons des récifs peu profonds. Le stock moyen permanent de poissons dans les NWHI était supérieur de plus de 260% à celui des MHI. La différence la plus frappante était l’abondance et la taille des grands prédateurs apicaux (principalement les requins et les carangues) dans les NWHI par rapport aux MHI. Plus de 54 % de la biomasse totale de poissons des NWHI était constituée de prédateurs supérieurs, alors que ce niveau trophique représentait moins de 3 % de la biomasse de poissons des MHI. En revanche, la biomasse de poissons des MHI était dominée par les herbivores (55 %) et les carnivores de niveau inférieur de petite taille (42 %). La plupart des espèces dominantes en poids dans les NWHI étaient soit rares soit absentes des MHI, et les espèces cibles présentes, quel que soit le niveau trophique, étaient presque toujours plus grandes dans les NWHI. Ces différences représentent à la fois la quasi-disparition des prédateurs apicaux et la forte exploitation des niveaux trophiques inférieurs dans les MHI par rapport aux NWHI, qui sont largement intactes de pêche. Les récifs des NWHI font partie des quelques écosystèmes récifaux à grande échelle, intacts et dominés par les prédateurs qui subsistent dans le monde et offrent une occasion de comprendre comment les écosystèmes non modifiés sont structurés, comment ils fonctionnent et comment ils peuvent être préservés le plus efficacement possible. Les différences dans la structure des assemblages de poissons dans cette étude sont la preuve du niveau élevé d’exploitation dans les MHI et du besoin pressant d’une gestion au niveau de l’écosystème des systèmes récifaux dans les MHI ainsi que dans les NWHI. »

Sandin et al. (2008) arrivent aux mêmes conclusions à l’occasion d’une étude relative aux écosystèmes coralliens des Iles de la Ligne (Océan Pacifique) : « La plupart des récifs coralliens sont modérément à sévèrement dégradés par les activités humaines locales, telles que la pêche et la pollution, ainsi que par le changement global, d’où la difficulté de séparer les effets locaux des effets globaux. À cette fin, nous avons étudié les récifs coralliens sur des atolls inhabités dans les Iles de la Ligne du nord pour fournir une base de référence de la structure de la communauté récifale, et sur des atolls de plus en plus peuplés pour documenter les changements associés aux activités humaines. Nous avons constaté que les prédateurs supérieurs et les organismes constructeurs de récifs  [coraux durs et algues coralliennes encroûtantes] dominaient les atolls non peuplés de Kingman et Palmyra, tandis que les petits poissons planctoniques et les algues charnues dominaient les atolls peuplés de Tabuaeran et Kiritimati. Les requins et autres prédateurs supérieurs submergeaient les assemblages de poissons de Kingman et de Palmyra, de sorte que la pyramide de la biomasse était inversée (« le lourd au sommet »). En revanche, la pyramide de la biomasse à Tabuaeran et Kiritimati présentait le schéma typique avec « le lourd à la base ». Les récifs non habités présentaient moins de maladies coralliennes et un plus grand recrutement de coraux par rapport aux récifs plus habités. Ainsi, la protection contre la surpêche et la pollution semble augmenter la résilience des écosystèmes récifaux aux effets du réchauffement climatique. ».

En 2013, Ruppert et al. viennent apporter des preuves que la destruction des requins peut aggraver l’effet des facteurs de stress sur les formations coralliennes :

 « En raison des activités humaines, les écosystèmes marins et terrestres sont confrontés à un avenir où les perturbations devraient se produire à une fréquence et à une gravité sans précédent dans le passé récent. La capacité des systèmes à se rétablir lorsque de multiples facteurs de stress agissent simultanément est particulièrement préoccupante. Nous examinons cette question dans le contexte d’un écosystème de récifs coralliens où l’augmentation des facteurs de stress, tels que la pêche, la dégradation benthique, les cyclones et le blanchiment des coraux, se produisent à l’échelle mondiale. En utilisant des programmes de surveillance à long terme (décennaux), nous avons examiné les effets combinés de perturbations chroniques (élimination des requins) et ponctuelles (cyclones, blanchissement) sur la structure trophique des poissons de récifs coralliens dans deux systèmes d’atolls isolés au large de la côte du nord-ouest de l’Australie. Nous fournissons des preuves cohérentes avec l’hypothèse quela perte de requins peut avoir un impact qui se propage le long de la chaîne alimentaire, contribuant potentiellement à la libération de mésoprédateurs et modifiant le nombre de consommateurs primaires. Simultanément, nous montrons comment les effets des processus ascendants de blanchiment et de cyclones semblent se propager vers le haut de la chaîne alimentaire à travers les herbivores, les planctivores et les corallivores, mais n’affectent pas les carnivores. Comme la présence des requins peut favoriser l’abondance des herbivores, l’élimination des requins par la pêche a des conséquences sur les perturbations naturelles et anthropiques impliquant la perte de coraux, car les herbivores sont essentiels à la progression et à l’issue du rétablissement des coraux. »

Nous avons, à la Réunion une Réserve Naturelle Nationale Marine censée pouvoir protéger nos déjà bien maigres récifs coralliens. 

Si l’Etat – qui préside à la fois la Réserve marine et le  Centre Sécurité Requin (sic !) – abuse sans vergogne de sa position dominante pour massacrer tous les requins tigres et bouledogues y compris à l’intérieur de la réserve, quitte à nuire à ladite réserve, où va-t-on ?

Et comment se fait-il que l’on consacre chaque année 2.2 millions d’euros (budget 2021 du Centre Sécurité Requin) à tuer du requin, alors que la Réserve marine – qui elle est d’utilité publique – n’avait en 2021 qu’un budget de 950 000 euros, ridicule en comparaison ?! 

Vous ne trouvez pas cela indécent ?

Ou se trouve la logique de l’Etat français dans cette affaire ?!

Didier Dérand

Collectif « Requins en Danger à la Réunion »

(1) Friedlander A., DeMartini E.E. (2002) – Contrasts in density, size, and biomass of reef fishes between the northwestern and the main Hawaiian Islands : the effects of fishing down apex predators. Marine Ecology Progress Series, 230. 253-264. doi: 10.3354/meps230253

(2) Sandin S.A., Smith J.E., DeMartini E.E., Dinsdale E.A., Donner S.D., et al. (2008) – Baselines and Degradation of Coral Reefs in the Northern Line Islands. PLoS ONE 3(2): e1548. doi:10.1371/journal.pone.0001548

(3) Ruppert J.L.W., Travers M.J., Smith L.L., Fortin M.J., Meekan M.G. (2013) – Caught in the middle: combined impacts of shark removal and coral loss on the fish communities of coral reefs. PLOS ONE 8(9): e74648. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0074648

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