parc offshore éolien

[Énergie] Des éoliennes géantes au large de Saint-Denis

ENTRETIEN LONG FORMAT AVEC JEAN-PIERRE CHABRIAT

Jean-Pierre Chabriat
Jean-Pierre Chabriat, élu régional délégué à la transition énergétique et président de la SPL Horizon Réunion.

Deux semaines après le décret instituant la Programmation pluriannuelle de l’énergie de La Réunion, la Région annonce déjà qu’elle en demandera la révision pour y intégrer le projet de construction d’un champ offshore d’éoliennes grandes comme la Tour Eiffel au large de Saint-Denis d’ici 12 à 15 ans. Jean-Pierre Chabriat, élu régional délégué à la transition énergétique et président de la SPL Horizon Réunion, détaille également le plan solaire régional proposant 100 000 stations photovoltaïques chez les particuliers… 

(Le document de synthèse de la Programmation pluriannuelle est joint à cet article)

La PPE prévoit une réduction de 8% de la consommation d’électricité d’ici 2028. Par quel miracle ? Surtout si on développe les véhicules électriques ?

Les économies d’énergies sont en effet une priorité de la PPE. La Région et le Territoire Côte Ouest (TCO) s’y engagent. La SPL Horizon développe des aides pour aider au remplacement des appareillages électriques gourmands en énergie. Nous devons éviter 440 GWh d’ici 2028. Les économies portent sur la climatisation, l’isolation thermique des bâtiments, les chauffe-eau. Je pense aussi développer le chauffage solaire pour les zones d’altitude, en particulier pour les écoles.

La PPE promet 550 bornes de recharges pour les voitures électriques en 2023 et 1700 en 2028. Où en est-on ?

Nous sommes a environ 450-500 bornes de recharge. Mais entre 30% à 50% de ces bornes ne sont pas accessibles. Il faudra veiller à la qualité du service rendu. L’automobiliste devra de préférence faire des recharges lentes maîtrisées de 7 à 8 heures, tous les 8 ou 10 trajets, au bureau ou à la maison. Les bornes de recharges devraient plutôt servir de borne d’appoint, de « biberonnage ». S’il y a trop de recharges rapide à haute puissance, on n’y arrivera pas.

Quelle est l’évolution du parc des véhicules électriques, on commence à sentir les effets de son accroissement ?

Le nombre de véhicules électriques est encore faible : de 3 000 à 5 000. EDF nous assure qu’on peut absorber dès à présent 140 000 véhicules électriques à La Réunion à condition que la recharge soit contrôlée. Les véhicules électriques peuvent nous permettre de viser l’autonomie énergétique en englobant également les transports.

L’importation de biomasse moins pire que le charbon

Une voiture électrique coûte cher. Comment les Réunionnais pourront-ils faire face à la fin programmée des véhicules à essence et gasoil ?

Le coût de l’énergie sera 4 à 5 fois inférieur au coût de l’essence actuelle. Les véhicules électriques ne sont pas taxés à l’importation. Il y a des aides gouvernementales. Nous rencontrerons les vendeurs de véhicules électriques pour que nous ne nous retrouvions pas, en bout de course, en difficulté sur la mobilité électrique à La Réunion. Car, dans un futur proche, il n’y aura plus de ventes de véhicules thermiques. Je ne suis pas inquiet : il y aura une régulation du marché.

Jean-Pierre Chabriat
« Toutes les augmentations de puissance le seront sur les énergies renouvelables locales : éolienne et photovoltaïque ».

On s’apprête à vivre la révolution de la disparition des énergies fossiles l’an prochain avec le remplacement du charbon et du fioul par de la biomasse et des bio carburants pour produire de l’électricité. Mais l’autonomie énergétique est encore loin puisqu’il faudra les importer. Ne pouvait-on pas envisager un scénario moins dépendant des importations ?

Le verdissement des centrales thermiques n’est pas la seule question de la PPE. D’ailleurs il n’y aura aucune augmentation de puissance des énergies thermiques. Il y a surtout la maîtrise de l’énergie mais aussi une massification des énergies renouvelables. Toutes les augmentations de puissance le seront sur les énergies renouvelables locales : éolienne et photovoltaïque.

Je ne dis pas que l’importation de biomasse est parfaite, mais c’est bien meilleur que si on gardait le charbon.

Nous autres investisseurs et citoyens réunionnais, nous aurions pu investir dans Albioma. Cette responsabilité sociale est posée à chacun d’entre nous.

Le plan biomasse ne prévoit que 100 000 tonne/an produite à La Réunion contre 700 000 tonnes de bois importées. N’était-il pas possible d’être plus ambitieux pour atteindre une souveraineté réunionnaise sur la production de bois-énergie ?

Je ne pense pas qu’on puisse atteindre cette souveraineté mais il faudra réactualiser le Schéma régionale biomasse. On expérimente la canne-fibre sur des parcelles maîtrisées. L’ouvrage est sur le métier, il faut regarder ça de plus près. Nous avons demandé à Albioma de s’intéresser au sujet de forêts renouvelables dans la région océan Indien, en particulier en Afrique du Sud.

Le rachat d’Albioma par un fonds d’investissement américain inquiète-t-il la Région ?

La majorité actuelle favorise le « nou la fé » et la responsabilité sociale des entreprises qui est renforcée quand les investisseurs sont Réunionnais. Albioma, c’est une multitude d’actionnaires diffus. Avant l’OPA du fonds américain, Albioma est déjà détenue à 50% par des fonds étrangers, et des petits actionnaires. Nous autres investisseurs et citoyens réunionnais, nous aurions pu investir dans Albioma. Cette responsabilité sociale est posée à chacun d’entre nous.

Multiplier par 2,5 l’électricité solaire

Cela fait plus de vingt ans qu’on promet d’oeuvrer pour une énergie verte. Et vingt ans que la part des énergies fossile stagne, voire augmente. Comment comptez vous inverser cette tendance ?

En 1999 on parlait déjà d’autonomie énergétique. On l’a inscrite dans la loi en 2005. Le photovoltaïque était bien subventionné avec un prix de rachat très intéressant mais il a été totalement révisé. Ce qui a fait tomber l’engouement du photovoltaïque à La Réunion. Depuis 10 ans, la part des énergies renouvelables dans le mix électrique est constant entre 30% et 35%. Dans l’absolu, il y a du progrès mais pas de manière relative.

Quelles sont les pistes pour réduire cette dépendance énergétique ?

La Région veut relancer le projet d’autonomie énergétique sur le long terme. Pourcentage après pourcentage, il faut grignoter cette marge. La PPE fixe un objectif cumulé d’augmentation de 300 MW en photovoltaïque. Soit une multiplication par 2,5 de la puissance installée aujourd’hui. La nouvelle PPE permet de passer de 25% à 50% de production photovoltaïque sans bousculer le réseau électrique grâce à la mise en place de dispositifs pour sécuriser le réseau.

Si nous affections la moitié des 300 MW dédiés au solaire sur les toits des Réunionnais, ça représenterait 10 000 installations par an sur 5-6 ans. Aujourd’hui, nous en faisons à peine 500 par an.

Il y eu peu de nouvelles centrales solaires ces dernières années : quels sont les freins ?

On attendait la validation de la PPE pour débloquer les financements issus de la péréquation nationale énergétique. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) va lancer des appels d’offres pour les nouvelles centrales.

N’oublions pas que la PPE est un document dynamique. Plus de 100 M€ d’investissement national sont inscrits sur le déploiement des centrales photovoltaïques à La Réunion. Nous voulons prendre une autre direction que celle des grosses centrales avec un « plan solaire régional » du même type que celui des chauffe-eau. Couvrons les toits de La Réunion de photovoltaïque plutôt que les terres ! Déployer 100 000 stations photovoltaïques sur les toits des Réunionnais, c’est un chantier complet pour La Réunion. Si nous affections la moitié des 300 MW dédiés au solaire sur les toits des Réunionnais, ça représenterait 10 000 installations par an sur 5-6 ans. Aujourd’hui, nous en faisons à peine 500 par an.

J’ai demandé aux entreprises de nous faire une offre sur des centrales photovoltaïques de petite puissance de 1 500 W maximum avec un système d’aide qui permette aux personnes modestes, notamment les personnes âgées, de couvrir leur facture électrique.

La CRE va permettre d’augmenter le prix de rachat pour que ça devienne plus intéressant ?

Les négociations sont à mener. Jean-François Carenco, le président de la CRE, exprime une forte volonté de déployer les énergies renouvelables. Nous prenons la balle au vol. Nous allons investir sur nos fonds propres et des fonds européens mais il faut aussi que la Région soit aidée pour que notre plan solaire soit un modèle au niveau de l’Etat. 

Trois groupes de l’offshore et de l’éolien planchent sur un parc de 200 MW au large de La Réunion

L’éolien semble aussi ne pas avoir trouvé à la Réunion une région propice à son développement malgré les alizés qui balaie notre île…

Nous sommes limités en termes de surfaces et d’impact environnemental. L’ensembles des éoliennes actuelles vont être transformées pour multiplier par 5 la puissance du parc éolien : de 15MW à 75 MW.

A long terme, nous regardons du côté de la mer. Nous allons promouvoir le développement de plateformes éoliennes offshore alliant la technologie des plateformes pétrolières et des parcs éoliens. Nous parlons d’un projet de grande envergure qui émergerait dans 12 ou 15 ans. De grands développements se sont opérés en Mer de Chine, en Ecosse, en France. Nous sommes en contact avec trois entreprises de ces secteurs. Un développement industriel pour le montage pourrait se situer à l’arrière du port. Les industriels qui s’intéressent au projet évoquent un seuil de rentabilité à partir de 200 MW. Nous allons vite demander la révision de la PPE qui ne prévoit qu’une expérimentation de 40 MW pour basculer sur des plateformes de 200 MW. 

La principale exploration se situe au nord-est de La Réunion entre 5 et 10 km de la côte. Les éoliennes, grandes comme la Tour Eiffel, seront visibles de la côte mais elles n’abimeront pas le paysage.

Quelle zone réunionnaise serait concernée ?

La principale exploration se situe au nord-est de La Réunion entre 5 et 10 km de la côte. Les éoliennes, grandes comme la Tour Eiffel, seront visibles de la côte mais elles n’abimeront pas le paysage.

Beaucoup de projets ont été annoncés sans se concrétiser ensuite (géothermie, SWAC, énergie des mers). Quelle garantie apporte ce nouveau projet ?

Dans toutes mes discussions, nous ne nous référons qu’à des technologies matures. Le SWAC (utilisation des eaux froides de l’océan pour la climatisation) est mature et opérationnel en Polynésie avec la société Airaro. L’éolien offshore est lui aussi mature pour produire de l’électricité et, pourquoi pas, de l’hydrogène. Pour la géothermie, nous demeurons très attentif aux études en cours car c’est un potentiel de production d’énergie stable à La Réunion. Il y a des sources chaudes mais leur exploitation en géothermie n’est pas simple.

La PPE annonce une augmentation de la charge du service public de l’électricité de 520M€ à 742M€ en 2028. Qui va payer la facture ? Le citoyen réunionnais ?

Non la péréquation nationale sera toujours d’actualité. Sinon ce serait très compliqué. En France le prix de l’énergie est sous contrôle jusqu’à février 2023. Il y a eu une hausse de 4% au lieu de 44%. Ces investissements sont censés financer les centrales de forte puissance. Nous devons négocier avec la CRE pour utiliser ses fonds sur des centrales de plus petite puissance au-delà des fonds européens et régionaux.

Entretien : Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.