Nourri à la culture hip-hop et forgé dans les ruelles du Tampon, le rappeur Reion sort un premier album puissant, Jolly Roger. Véritable déclaration d’amour à son quartier du 12e, entre flow créole et esprit combatif, il y défend une vision du rap ancrée dans l’expérience, la solidarité et le rêve.
À première vue, rien ne distingue Reion de n’importe quel jeune du Tampon : il me donne rendez-vous à la boutik Farfar, lieu de vie central dans le quartier du 12e kilomètre au Tampon, cannette à la main. Mais derrière cette apparente simplicité, se cache un artiste entier, passionné, qui sort tout juste Jolly Roger, un premier album autoproduit, pensé comme une carte au trésor pour toute une génération en quête de repères.
Le titre de l’album fait référence au drapeau pirate – une imagerie forte, héritée à la fois de l’histoire réunionnaise et de son propre imaginaire. « J’ai utilisé la piraterie comme métaphore de l’aventure, de la prise de risque, du rêve aussi », raconte-t-il. Jolly Roger, c’est l’affirmation d’un parcours atypique, d’une voix qui cherche à éveiller, sans faire la morale. « Je voulais parler de confiance en soi, de combativité, de la nécessité de ne pas lâcher. De continuer à y croire, même quand c’est dur. »

Une culture, une langue, une génération
Reion, 30 ans, n’a pas commencé la musique dans les studios aseptisés ni les écoles de musique. Son terrain de jeu, c’était la rue, les potes, les battles, les skateparks. « J’ai toujours écrit. Dès mes 13-14 ans, je posais des textes, surtout pour moi. J’ai tout testé : le break, le graffiti, le skate. C’était ça mon univers. » Un univers nourri à la culture hip-hop, omniprésente au Tampon. Mais aussi imbriqué dans la culture réunionnaise, entre maloya, créole et quartiers en mutation.
Parti en métropole à l’adolescence, Reion y affine son style, découvre les studios, la scène, les collectifs. « J’ai bossé dans un studio à Paris, Just Listen Records. J’ai fait mes classes là-bas. C’était ma vraie école. » De retour au pays, il s’éloigne un temps de la musique. Il faut bien, dit-il, « poser un peu les bases, avoir une assise ». Mais les vibrations de la boutique Farfar, les discussions du quotidien, les rêves et les galères du quartier le rattrapent. Et avec elles, l’envie de reprendre le mic, plus fort, plus structuré, avec un vrai projet en tête.
Du français au créole, un double terrain d’expression
À l’écoute de Jolly Roger, on perçoit très vite cette alternance naturelle entre le français et le créole. Une dualité que Reion revendique. « En métropole, je rappais surtout en français. Mais de retour ici, le créole s’est imposé. C’était pas une obligation, mais c’était important. » Aujourd’hui, il manie les deux langues avec la même aisance. « Le créole, il a une spontanéité, une force d’image. Rien qu’en parlant, on fait des punchlines. »
C’est aussi un moyen d’ancrer son rap dans un territoire, une mémoire, une réalité. Celle de jeunes réunionnais qui grandissent entre deux mondes et qui, trop souvent, peinent à se reconnaître dans le paysage musical. « Avant, on se demandait si on devait rapper en créole. Aujourd’hui, c’est une force. »
Un album comme une boussole
Mais Jolly Roger, ce n’est pas seulement un album de plus dans la scène rap locale. C’est un manifeste. « Je voulais que ce soit un message d’espoir, surtout pour les jeunes qui doutent, qui galèrent. » À travers des morceaux qui parlent d’accomplissement personnel, de rêve, d’audace, Reion veut rappeler que rien n’est figé. Qu’on peut prendre le large, au sens figuré, partir à l’abordage de sa propre vie.
Le quartier du 12e, lui, reste la matrice de tout. « Ici, je travaille, j’écris, je vis. Les gens me racontent leur vie, leurs hauts, leurs bas. Je m’inspire d’eux. » Dans la boutique, tous savent qu’un jour ou l’autre, leur anecdote deviendra un couplet. « C’est ça mon essence. Je suis dans la représentation de la vie d’ici. »
Même l’économie locale nourrit sa plume. Dans un de ses freestyles, il lâche : « Faut que je fasse de l’argent comme la boutique le 6 du mois », clin d’œil au jour de versement du RSA, où la boutique ne désemplit pas.
Une soirée de feu pour un lancement de flamme
Pour célébrer la sortie de l’album, Reion organise un concert ce jeudi soir avec plein d’autres artistes : Loska, Batys, Tupan, Morjane, Elwaz, Max-T, Lo Jamaicain… « Les répets sont terminées. Je peux te dire que tout le monde est chaud. Ça va être une dinguerie. » Une date importante, même Reion garde les pieds sur terre. « Je crois de plus en plus à la musique, mais je garde ma réalité. Je travaille ici, je vis ici. La musique, c’est aussi au service de ça. »
Olivier Ceccaldi
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