Érasme de Rotterdam, un humaniste européen engagé pour la paix

LIBRE EXPRESSION

« La guerre paraît douce à ceux qui n’en ont pas l’expérience » Erasme, Adage 3001

Il y a 508 ans paraissait la « Complainte de la Paix » (« Querela Pacis ») du grand humaniste de la Renaissance Érasme de Rotterdam, né le 28 octobre 14661  à Rotterdam (Pays-Bas) et mort à Bâle le 14 juillet 1536, en vivant pratiquement dans tous les pays d’Europe. Autrement dit, il a vécu et œuvré dans une époque, à la fois marquée par les grandes découvertes, la naissance des États modernes (avec François Ier, Charles Quint et Henri VIII) et les conflits civiles et religieux – une guerre sanglante qui va déchirer la chrétienté et l’Europe dans le sillage la Réforme protestante de Martin Luther (1483-1546). 

Dans ce contexte, Érasme apparaît comme une personnalité inégalable et reconnue dans toute l’Europe de son temps. La liste des laudatifs est interminable : « Prince des humanistes », « âme de la République des lettres », « premier Européen », « premier cosmopolite conscient », « éducateur hors-pair », etc. Mais aujourd’hui Érasme de Rotterdam n’est qu’un nom pour la plupart d’entre nous ; au mieux, pour d’autres, un programme d’échange facilitant la circulation des étudiants et des enseignants à travers l’Europe. Il est surtout connu pour son illustre « Éloge de la folie », prosopopée sarcastique dédiée à son ami Thomas More (1478-1535). 

En fait, Érasme est un personnage majeur de notre histoire culturelle. Il laisse une œuvre considérable, éditant plusieurs livres par an. C’est avec la plume en main qu’il bataille paisiblement contre les ennemis des livres et de la paix. Nous vous invitons à faire connaissance avec le voyageur infatigable, qui arpente toute l’Europe en tous sens pour défendre la culture et promouvoir la paix en coalisant les hommes de bonne volonté autour de l’espérance d’un monde meilleur ; celui que son biographe, écrivain autrichien Stefan Zweig, présente comme un modèle de la conscience humaine, notamment comme un militant de la paix.

La vie d’Erasme en quelques repères historiques

Erasmus (son nom latin, ainsi inscrit à l’état civil) voit le jour à Rotterdam aux Pays- Bas, le 28 octobre 1466 (ou 1467, ou encore 1469). Il s’est toujours fait appeler Erasmus de Rotterdam.  Né hors mariage, sa mère, Margarete Rogers, était la fille d’un médecin, et son père, Roger Geert, est copiste (peut-être prêtre). En tout cas la relation entre ses parents est stable. Erasme fréquente les écoles religieuses à Gouda, puis à Utrecht, dont il critiquera plus tard la pédagogie dans une diatribe contre les mauvais maîtres, les Antibarbares (remanié et publié en partie en 1518). En 1478, il devient pour cinq ans élève de l’école de Deventer, dirigée par des Frères de la Vie commune. C’est là, auprès de bons maîtres, qu’il acquiert une très solide formation de latiniste et une solide piété.

En 1481, à quelques mois d’intervalle, il perd sa mère, puis son père, tous deux emportés par la peste. Il est alors placé par ses tuteurs chez les Frères à Bois-le-Duc, école qui relève aussi des Frères de la Vie commune sans avoir le prestige de celle de Deventer. À 18 ans, Érasme devient moine chez les chanoines réguliers de Saint-Augustin au couvent de Steyn, à Gouda – la voie pour un enfant pauvre de devenir Prêtre à l’époque, selon le droit canon. En 1492, Érasme est ordonné prêtre. Ses talents de latiniste lui valent d’être choisi comme secrétaire par l’évêque de Cambrai, Henry de Bergen., et d’échapper ainsi à la vie monacale qui n’est pas sa vocation Il peut ainsi se déplacer dans tous les Pays-Bas découvrant, d’autres univers. 

En 1495, relevé de ses vœux, il obtient la permission de se rendre à Paris pour y étudier la théologie. Étudiant pauvre, tout en préparant son doctorat à la Sorbonne, il exerce la fonction de précepteur en donnant des leçons de latin à de riches étudiants. Grâce à la mère d’un de ses élèves, Anne de Veere, qui devient sa patronne, Érasme va pouvoir rédiger des manuels pédagogiques, des manuels d’éloquence pour ses élèves… à l’origine de ses Colloques, publiés plus tard à Bâle (Suisse) en 1522. Avec l’aide d’un autre élève, le futur lord Mountjoy, il est invité en 1499 en Angleterre, où il demeurera pendant de nombreuses années, entrecoupées de séjours dans d’autres pays : Paris à nouveau, Bruxelles, Turin, Bologne, Venise, Bâle, Fribourg…

C’est chez Lord Mountjoy, en Angleterre, qu’il fera la connaissance de Thomas More, l’auteur de l’Utopie (un pamphlet qui dénonce les abus), qui deviendra son ami intime, ainsi que du théologie John Colet (1466-1519), qui le fera connaître l’œuvre de Saint Jérôme, et le futur Henri VIII. Toutefois c’est à Paris qu’Érasme commence par rencontrer les représentants de l’humaniste, tels que le diplomate Robert Gaguin (1533-1501) et le poète latin Fausto Andrélini (1450-1518). 

Érasme, un ennemi de la guerre et un pape refoulé à l’entrée du paradis

Au printemps 1506, l’occasion d’un voyage en Italie, voyage tant rêvé, se présente à Érasme : être le précepteur de deux fils d’un médecin du roi Henri VII, un Génois fixé en Angleterre, pour achever leur éducation dans son pays. Le voilà en route avec ses deux étudiants pour un séjour italien (1506-1509). C’est à Turin, lors de son séjour, qu’il obtiendra son doctorat en théologie. Adé de 39 ans, il est déjà connu de certains érudits et cercles et excite la curiosité de beaucoup dans l’Église romaine et ailleurs.

À Bologne, en novembre 1506, lui qui déteste la guerre il est profondément et durablement scandalisé et choqué, en tant que chrétien, en voyant le pape Jules II, cuirassé, botté, casqué, animer le siège de Bologne, puis faire son entrée à cheval dans la ville en véritable triomphateur antique ! Déjà, comme jeune moine au couvent de Steyn, Erasme se posait déjà comme un ennemi de la guerre dans son Oratio de pace et discorelia, dédié à son ami Corneille Gérard. Agé alors que 20 ans, il ne cessera dès lors de mettre son talent et son autorité au service de la paix. En 1504, chargé de rédiger le panégyrique de son souverain l’archiduc Philippe le Beau, rentrant aux Pays-Bas après un séjour en Espagne, Erasme saisit l’occasion de faire l’apologie de la paix, en terminant par ses mots : « Nous t’aimons mieux pacifique que vainqueur »

Dans son Julus exclusus, un pamphlet dialogué paru sans nom d’auteur, en 1518, mais qu’on sait qu’Érasme en est l’auteur, on y voit le pape Jules II, après sa mort en 1513, refoulé par Saint Pierre à l’entrée du paradis ! (Jacques Chomarat, 1974). Il reviendra dans nombre de ses écrits sur le thème de la paix, dans les Adages, dans l’Institutio Principis christiani (« L’éducation du Prince chrétien ») pour un jeune monarque Charles de Habsbourg (qui deviendra en 1516, roi de Castille et d’Aragon) et l’année suivante, la Querela Pacis (« la lamentation de la Paix chassée de partout »). Dans un chapitre de l’Education du Prince chrétien, Érasme met le prince respectueusement en garde contre les tentations de la guerre et dans la Queral pacis (Complainte de la Paix), un réquisitoire véhément contre la guerre, qui se voit disqualifiée du point de vue de la nature, de la raison et de la religion (Mathilde Lequin, in Philosophie Magazine, novembre 2011).

Un esprit libre et pacifiste

Retournons en Italie où Erasme termine un séjour de près de trois années. À Rome, où il passe quelque temps, il est choqué par le faste de la cour papale. À Venise, en 1508, le très réputé imprimeur Aldo Manuzion publie ses Adages, une sorte de collection d’expressions proverbiales de l’Antiquité, accompagnés d’un commentaire explicatif plus au moins long. À l’automne 1509, Érasme est de retour en Angleterre pour un nouveau séjour. Et c’est à Londres, dans la résidence de la famille de Thomas More, qu’il rédige son célèbre Eloge de la folie, œuvre satirique, témoin de sa grande indépendance d’esprit, publiée à Paris deux ans plus tard, en 1511, chez Gilles de Gourmont. Érasme s’y moque des diverses catégories sociales de son temps : philosophes, théologiens et les moines surtout.

 En 1514, Erasme revient sur le continent européen, attiré par la renommée de l’imprimeur-éditeur Johann Froben, installé à Bâle (Suisse), qui publie effectivement plusieurs de ses travaux : une édition encore enrichie des Adages en 1515 et une édition étoffée de L’Éloge de la folie (1515), etc. Erasme séjourne à Bâle à trois reprises : de 1514 à 1516, de 1521 à1529, puis de 1535 à 1536, année de son décès. Entretemps, il continue à pérégriner à travers l’Europe. 

La période qui va de 1515 à 1518 marque l’apogée de sa renommée. On vient le consulter de partout.De partout, on le remercie.En mars 1516 est publié son œuvre majeure Novum Instrumentum.C’est la première fois que le Nouveau Testament est imprimé en langue grecque, avec le texte latin en parallèle. Et de l’avoir annoté en discutant les interprétations des Pères grecs et latins, et des exégètes plus récents. Le succès est immédiat. Notons que le Novum Instrumentum va servir de fondement à la traduction allemande de la Bible par Martin Luther. S’il critique les abus de l’Église, s’il presse ses amis à agir pour une réforme progressive de l’Église, Érasme, homme de concorde et de paix, refuse d’adhérer à la Réforme, tout comme il refuse le cardinalat que lui propose le pape Paul III en 1535. Il meurt à Bâle le 14 juillet 1536.

Quel Homme que ce combattant pacifiste et défenseur des libertés arpentant toute l’Europe pour promouvoir la paix et l’accès de tous à la culture et à la connaissance ! À l’heure des attaques contre l’État de droit et la démocratie qui désaxent l’ordre du monde, il faut lire et diffuser les idées des penseurs comme Érasme.

Reynolds Michel

Sources :

AUGRIS Etienne, Érasme l’européen, janvier 2022, dans l’éléphant

BIERLAIRE Franz, Érasme de Rotterdam ou l’humaniste dans tous ses états (CHICC, 2011)

CHOMARAT Jacques, Erasme de Rotterdam, humaniste, In : Vita Latina, N°133, 1994.

MAUVAIS Matthias, Érasme de Rotterdam, Un homme épris de vérité, In Hérotode.ne

VEREYCHEN Karen, Comment Érasme sauva notre civilisation, novembre 2017, ARTKAREL


  1. 1486 : Diaz s’aventure jusqu’au Cap de Bonne-Espérance ; 1490 : Behaim publie la première mappemonde ; 1492 : Colomb atteint les îles américaines ; 1497 : Cabot découvre le Labrador ; 1500 : Cabral découvre le Brésil ; 1522 :  Magellan accomplit le premier tour du monde ; 1530 : Copernic montre que la Terre tourne autour du soleil… Toutes ces découvertes et nouvelles connaissances sont décrites et publiées et diffusées grâce à l’imprimerie, découverte au milieu du XVe siècle par Gutenberg. ↩︎
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