Erick Fontaine dénonce la situation catastrophique du logement à La Réunion entre inactions , malfaçons et loyers inabordables


Les Réunionnais ont de plus en plus de difficultés à se loger. En 2020, l’INSEE dénombrait pas loin de 35 000 logements vacants à La Réunion. La Réunion est aussi la troisième région dont les loyers du social sont les plus élevés. Erick Fontaine , administrateur de la Confédération Nationale du Logement a répondu à nos questions sur la source de cette crise et les solutions possibles.

erick fontaine
Erick Fontaine

Pouvez-vous vous présenter et présenter votre action ?

Erick Fontaine, je suis administrateur de la Confédération Nationale du Logement (CNL) à La Réunion, et vice-président de la CINOR. La CNL est une association nationale qui défend les droits des locataires, des accédants à la propriété et des consommateurs dans le domaine du logement. Nous intervenons sur tout ce qui concerne le logement : qualité, loyers, charges locatives, droits des habitants.

Si vous deviez dresser un état des lieux du logement à La Réunion, que diriez-vous ?

Aujourd’hui, la situation est catastrophique. On a 51 000 demandeurs de logements à La Réunion. Et dans le même temps, on livre à peine 1 600 à 1 700 logements par an. C’est une chute importante du nombre de livraisons, et seulement 6 500 attributions sont réalisées chaque année sur les 51 000 demandes. Ce n’est pas suffisant. La demande explose et l’offre n’est pas à la hauteur.

Le prix des loyers, que ce soit dans le privé ou dans le social, est devenu inabordable. La Réunion est aujourd’hui la troisième région de France où le loyer dans le secteur social est le plus élevé, hors Paris.

Au-delà de ça, on a de gros problèmes de qualité. On a recensé 163 immeubles de moins de 10 ans qui présentent de graves dysfonctionnements : infiltrations d’eau, moisissures, immeubles qui penchent de un millimètre par mois… Il y a de tout. C’est inadmissible.

La responsabilité est partagée. Il y a les constructeurs, bien sûr, qui ne respectent pas les règles. Il y a les bailleurs sociaux, qui ne contrôlent pas correctement les travaux, et il y a l’État, qui finance mais n’assure pas de suivi. L’ensemble du circuit est défaillant.

Je donne un exemple concret : la résidence Marc-Boyer, de la SHLMR à Saint-Denis. L’État a financé 45 logements, livrés en mai dernier. Mais 12 logements n’ont jamais été mis en location, car ils sont trop sombres. Ce n’est pas une question d’esthétique malgré ce que dit le bailleur, c’est un non-respect du règlement sanitaire départemental. Aujourd’hui, ils sont en train de recasser les appartements pour transformer les T2 en T4, alors qu’à l’origine, ces logements étaient destinés à des personnes âgées. Ce n’est pas normal.

On a également constaté des défauts sur des constructions récentes lors du dernier cyclone. Il y a eu des villas livrées depuis deux mois seulement, et les dégâts sont considérables. Ce n’est pas une question de normes cycloniques, c’est une question de qualité de construction, tout simplement. Il n’y a pas de contrôle sérieux sur les chantiers, et tant que ça ne changera pas, on n’avancera pas.

Qui est le plus concerné par les problématiques du logement à La Réunion ?

Tout le monde. Ce sont tous les Réunionnais qui sont touchés, sans distinction. Avec la CNL, on a lancé une application pour signaler les logements indécents : c’est la seule de ce type à La Réunion. Avant, on recevait environ 200 déclarations. Depuis deux ans, on en est à 1 600 signalements. Ce sont des personnes âgées, des familles, des salariés, des chômeurs… Il y a de tout. La crise du logement touche tout le monde.

Quelles actions doivent être mises en place, et par qui ?

Il faut absolument renforcer le contrôle sur la construction et sur les réhabilitations. On a vu des cas comme la résidence Émile-Zola au Port ou François-de-Mahy à Saint-Pierre. Des gens quittent des logements pour qu’ils soient réhabilités, et ils se retrouvent avec des logements de qualité inférieure, pour un loyer plus élevé. Après réhabilitation, on observe souvent des augmentations de loyers de 20 à 25 euros par mois avec des accords collectifs votés. Les locataires acceptent parce qu’ils veulent un logement décent, mais ce n’est pas normal.

Il faut aussi travailler sur le contrôle du prix des loyers. Quand on construit des logements, on le fait pour les attribuer à des personnes et si celles-ci n’ont pas les revenus pour accéder à ces logements, ça n’a pas de sens.

Aussi, dans le privé, les charges locatives s’élèvent à 45-50 euros par mois. Dans le social, on est à 90-95 euros par mois. C’est quasiment le double, sans que la qualité ou les services le justifient.

Les charges locatives comprennent : l’éclairage des parties communes, l’entretien des espaces verts, le ramassage des ordures ménagères, la maintenance de la VMC, du surpresseur, et de l’antenne parabolique.
Là aussi, il faut un contrôle strict pour éviter les abus.

En 2020, selon l’INSEE, près de 35 000 logements étaient vacants à La Réunion. On dénombre 23 400 logements vacants en zone tendue. Comment remédier à cela, même s’il existe déjà une taxe ?

Ces chiffres de l ‘INSEE sont à prendre avec des pincettes. Sur le territoire de la CINOR, l’INSEE avait recensé 8 000 logements vacants. Nous avons mené une étude beaucoup plus fine avec la CINOR puis avec un autre organisme dans une seconde partie, et le chiffre réel est plutôt de 800 logements vacants. Pourquoi cet écart ? Parce qu’il y a beaucoup de logements en indivision, bloqués par des successions non réglées. D’autres logements ont été détruits ou reloués, ce qui n’est pas pris en compte dans les chiffres de l’INSEE.

La taxe sur les logements vacants n’est pas suffisante. Ce qu’il faut, ce sont des incitations fiscales. Le gouvernement doit mettre en place des exonérations sur l’impôt sur les revenus locatifs. C’est la seule solution pour inciter les propriétaires à louer leurs logements.

Il y a aussi la problématique des logements meublés ou saisonniers. En 2023, vous disiez qu’il était nécessaire de mettre en place un permis de louer. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Saint-André a mis en place un permis de louer, mais uniquement pour les logements indécents. Il faudrait aller plus loin. Toutes les communes devraient imposer une déclaration obligatoire en mairie pour les locations saisonnières, comme les Airbnb. Et là encore, il faut des mesures fiscales contraignantes, sinon les propriétaires continueront à privilégier la location touristique, beaucoup plus rentable. Par exemple, un appartement en location longue durée qui rapporte 800 à 1 000 euros par mois, en saisonnier, c’est 5 000 à 6 000 euros. C’est évident qu’il y a un problème.

Je voudrais rajouter qu’on est dans une crise sociale et économique sans précédent à La Réunion et qu’ici on ne peut pas prendre un train pour aller dans un autre département. Il faut que l’État décide de se mettre autour de la table pour trouver des solutions concrètes.

Une des solutions, c’est de travailler sur la sous-occupation. Il y a des gens qui occupent des logements trop grands pour eux : des personnes âgées, des familles dont les enfants sont partis. Ces gens sont volontaires pour quitter leur logement pour un plus petit. Ça fait deux ans que j’en parle, mais les bailleurs et l’État traînent des pieds.

Autre solution : l’échange de logements. La loi permet à deux locataires d’un même immeuble quand une des familles a trois enfants, d’échanger leur logement sans l’autorisation du bailleur social. Nous demandons au bailleur de communiquer dans les immeubles à travers des tracts, pour informer les locataires mais les bailleurs sociaux ne le font pas. Moi, je l’ai déjà mis en place dans deux immeubles.

Si on développe cette pratique, on pourrait selon moi augmenter de 15 à 20 % le nombre d’attributions de logements. Aujourd’hui, sur les 51 000 demandeurs, beaucoup sont déjà locataires et cherchent juste un logement mieux adapté.

Entretien : Léa Morineau

A propos de l'auteur

Léa Morineau | Etudiante en journalisme

Cocktail de douceur angevine et d'intensité réunionnaise, Léa Morineau a rejoint l'équipe de Parallèle Sud pour l'éducation aux médias et à l'information, elle s'est rapidement prise au jeu du journalisme. A travers ses articles, elle souhaite apporter le regard de sa génération et défendre un journalisme qui rayonne au-delà des apparences.

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