[Éthique] Le cri d’une mère indignée après l’autopsie de son enfant

LE CŒUR D’UN RÉUNIONNAIS RETENU SOUS SCELLÉ À TOULOUSE

Autopsie et dignité ? Après avoir enterré son fils Jonathan, Chantale Payet a appris incidemment que le coeur avait été prélevé lors de l’autopsie. Depuis des mois elle crie sa douleur et demande, en vain, la restitution de l’organe. Saisi par la députée Nathalie Bassire, le Garde des sceaux Eric Dupond-Moretti a lui-même qualifié cette histoire d’« inhumaine ».

Que se passe-t-il dans le cœur des hommes ? Celui de Chantale Payet saigne depuis la mort de son fils Jonathan le 3 novembre dernier. Le jeune homme de 30 ans vivait à Toulouse avec son compagnon Anthony lorsqu’il a été victime d’une crise cardiaque dans la rue. Il n’a pas survécu malgré l’intervention des pompiers.

Chantale Payet demande la restitution du coeur de son fils Jonathan décédé le 3 novembre 2022
Le Riviérois Jonathan Payet vivait à Toulouse avec son compagnon depuis trois ans lorsqu’il a succombé d’une crise cardiaque en pleine rue.

Son jeune âge et le fait que la scène se soit déroulée dans l’espace public ont déclenché de manière automatique une enquête judiciaire. Une autopsie a été effectuée le 7 novembre et cette circonstance particulière a provoqué un deuxième traumatisme. Un traumatisme qui ne s’apaise pas au fil des mois et empêche les proches de la victime d’entreprendre leur deuil.

Ils ont en effet appris, longtemps après avoir enterré l’être cher au cimetière de la Rivière Saint-Louis, que sa dépouille avait été dépourvue de son cœur. Chantale Payet reproche à l’hôpital de Toulouse — où a été constaté le décès et où a été pratique l’autopsie — de ne pas l’avoir informée convenablement. « J’ai compris que son coeur avait été prélevé en lisant le rapport d’autopsie qui ne m’est parvenu que fin décembre alors que j’ai enterré Jonathan le 18 novembre ».

« Je ne veux pas que son cœur soit jeté comme un vulgaire morceau de viande ».

Très choquée elle a alors cherché des réponses à ses angoisses et entrepris des démarches. En même temps, elle restait discrète au sein de son foyer pour ne pas perturber les études de la jeune soeur de Jonathan. Mais ce coeur retenu sous scellé à 10 000 kilomètres la hantait et la hante toujours.

« Qu’on me rende l’organe de mon enfant, je payerai tout pour ça. Je ferai intervenir des pompes funèbres, pour le faire incinérer, ramener les cendres à La Réunion et l’enterrer dans la tombe de Jonathan. Je ne veux pas qu’il soit un jour jeté comme un vulgaire morceau de viande ».

Sans son action, c’est en effet ce qu’il adviendra. Le code de procédure pénal prévoit que l’autorité judiciaire ordonne la destruction, « en tant que déchets anatomiques », des prélèvements humains réalisés au cours d’une autopsie lorsqu’ils ne sont plus nécessaires à la manifestation de la vérité.

Quelle vérité pour Jonathan Payet ? Le rapport d’autopsie conclut à un « décès compatible avec un infarctus du myocarde ». L’absence de lésion traumatique exclut l’intervention d’une autre personne. Le seul doute qui subsiste tient dans l’éventualité d’un cause toxique (alcool, drogue, médicaments).

Le parquet de Toulouse refuse de rendre l’organe

Etait-il vraiment nécessaire de placer le cœur sous scellé en plus des prélèvements de sang, bile, urine et contenu gastrique ? Chantale Payet n’a jamais obtenu de réponse à cette question et à toutes les autres. Elle privilégie pour sa part une origine génétique puisque plusieurs ascendants de Jonathan ont souffert d’insuffisance cardiaque.

Le plus douloureux pour elle, c’est que le procureur de Toulouse lui a répondu — très froidement selon elle — que l’organe ne pourra pas lui être rendu ! Nous avons également contacté le parquet toulousain ce lundi. Il n’a pas encore donné suite à notre sollicitation.

Refusant d’entendre tous les interlocuteurs qui lui ont signifié que sa démarche était vaine, Chantale Payet a appris qu’un cas similaire se serait produit il y a 11 ans et que la famille aurait pu  récupérer les organes de leur défunt après autopsie.

Une proposition de loi déposée le 11 octobre dernier par Éric Ciotti et 18 autres députés démontre en tout cas que les proches de Jonathan Payet ne sont pas seuls à souffrir des conséquences de la médecine légale. Il y est justement question de « l’information des familles endeuillées et de la destination des prélèvements de fragments humains au cours d’une autopsie judiciaire. » A l’origine de cette démarche législative, on trouve des familles des victimes de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016 qui avaient estimé que les prélèvements d’organes entiers, plutôt que des échantillons, lors des autopsies, étaient injustifiés.

« Inhumain » selon Éric Dupond-Moretti

Les signataires de cette proposition de loi demandent d’imposer la restitution des prélèvements humains aux familles dans un délai d’un mois à compter de la date de l’autopsie et de faire de la destruction l’exception et non la règle. Si elle était adoptée, cette modification législative donnerait totalement raison à Chantale Payet.

En attendant, son principal espoir tient dans la démarche qu’a entreprise Nathalie Bassire au début de ce mois de juillet. Elle a remis un courrier en main propre au Garde des sceaux Éric Dupond-Moretti pour l’informer. « Lorsqu’il a pris connaissance de cette situation il a estimé que ce qu’endurait Mme Payet était inhumain. Et il m’a annoncé qu’il allait intervenir, relate la députée du Sud. J’en ai aussi parlé à des médecins du CHU de Terre-Sainte. Ils étaient choqués par le manque de communication et d’empathie de leurs collègues de Toulouse. »

Chantale Payet : « Mon fils ne peut pas reposer en paix sans son cœur. »

Croyante, Chantale Payet estime que Jonathan ne peut pas reposer en paix, privé de son cœur. Si son défunt fils n’est pas en paix, ni elle, ni son compagnon, ni tous ses proches ne pourront trouver la paix. Elle précise  de plus qu’au-delà de cette question de paix et de dignité, ni elle ni son fils ne se seraient opposés à un don d’organe pour sauver une autre vie. Cette perspective aurait même été une fierté.

Mais là, il s’agit juste de respect vis-à-vis d’une famille affligée de douleur. Chantale affirme qu’elle ira jusqu’au bout de sa démarche: « Je suis déterminée, prête à faire grève devant le tribunal s’il le faut ».

Franck Cellier

Réponse du parquet de Toulouse

En date du 21 juillet, le parquet de Toulouse confirme que, hélas, en l’état de la législation, « les organes prélevés lors d’une autopsie ne sont pas restituables». Ce refus a été confirmé par au moins deux jurisprudences de la chambre criminelle de la cour de cassation datant du 3 avril 2002 et du 3 février 2010.

Les seules exceptions à cette règle ont concerné des « fragments humains » ayant servi à identifier une victime et constituant les seuls éléments de la dépouille mortuaire. Le parquet indique également ne pas faire d’opposition de principe à la demande et être vigilant à ce que pourrait impliquer la nouvelle proposition de loi visant à renforcer le droit des familles confrontées à l’autopsie judiciaire de leur proche, déposé le 11 octobre dernier.

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.