La Chambre régionale des comptes a mené une étude approfondie de la prévention et de la gestion des déchets à La Réunion. Elle constate les lacunes d’un système coûteux (270M€ par an) qui valorise à peine un tiers des déchets produits. Et recommande de fusionner les deux syndicats mixtes, Sydne et Ileva, en une seule structure.
Mais de quoi se mêlent-ils ? Voilà que les juges de la Chambre régionale des comptes se mettent à donner des conseils aux pouvoirs publics locaux sur la question de la gestion des déchets ! Eh bien oui, c’est une nouveauté de la loi 3DS de 2022, les CRC ont pour mission d’évaluer les politiques publiques au-delà de la seule gestion des comptes. Et celle de La Réunion vient de rendre son premier rapport EPPT (Évaluation de politique publique territoriale).
Il est question de prévention et de gestion des déchets dans le rapport rendu public ce mardi 26 août. Ce document de 212 pages, auquel il faut rajouter les commentaires et réponses des communautés d’agglomération (Casud, TO et Cinor), des syndicats mixtes (Sydne et Ileva) et de la Région Réunion, dresse un constat plutôt négatif :
- La réduction des déchets de 2,5% est bien en-deçà de l’objectif fixé par la Loi de transition énergétique pour la croissance verte qui est de 10%.
- Le volume des ordures ménagères ne recule pas.
- Le tri à la source des bio-déchets est quasi inexistant.
- La taxation incitative (On paye selon le volume de déchets qu’on produit) n’a pas été mise en place.
Pas assez de déchets valorisés
« Selon l’étude de caractérisation des déchets produite par l’ADEME, en 2018, 80 % des déchets de nos poubelles grises et jaunes pourraient être valorisés. Le taux de valorisation des déchets à La Réunion n’a jamais dépassé 38 % (loin de l’objectif national de 55 %). Ce faible taux s’explique par des collectes séparatives dont les volumes ne progressent pas d’année en année », lit-on dans le rapport. L’île demeure encore largement dépendante de l’enfouissement.
Pourtant, La Réunion y met les moyens. La CRC indique que les dépenses réelles liées aux déchets sont supérieures au produit de la fiscalité prélevée (Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – TEOM). En 2022, les coûts de gestion des déchets s’élèvent à 270 M€ environ pour l’ensemble des intercommunalités et syndicats. Cela représente en moyenne 170 € par habitant et par an, soit plus qu’en métropole (où la moyenne est autour de 120–130 €). Sujet d’inquiétude, les coûts explosent (+30% en 5 ans) plus vite encore que les volumes collectés.
Nicolas Péhau, le président des Chambres régionales des comptes à La Réunion et à Mayotte, explique que ce premier rapport d’évaluation met en lumière la dispersion des efforts : « On essaie de voir l’efficacité globale du dispositif. Et si c’est cohérent. Et là, tout n’est pas très cohérent parce qu’il y a justement trop d’acteurs. On propose notamment dans notre 13e recommandation de réfléchir à des transferts de compétences, voire à une fusion des syndicats en une seule structure. »
Il propose également que la Région devienne l’animateur du pilotage institutionnel des 5 intercommunalités concernées alors que la collectivité régionale se voit reprocher le retard de 7 ans pris pour adopter le Plan Régional de Prévention et de Gestion des Déchets. 7 ans — de 2017 à 2024 — pendant lesquels les autres acteurs ont agi sans cadre stratégique clair.
Les 16-29 ans sont les moins sensibles
Les juges ont été frappés par la faiblesse de la prévention, qui permettrait de réduire la production des déchets à la source mais ne représente que 1% des dépenses consacrées. « C’est le parent pauvre. (…) On n’est pas bon du tout », regrette le président de la CRC. Et les communications des différents acteurs ne vont pas toutes dans le même sens, ce qui perturbe le message envoyé à la population.
Pour son rapport la CRC a commandé un sondage que l’Ipsos a réalisé auprès d’un échantillon de 1 000 personnes. Il en ressort que les habitants des logements collectifs, 30% de la population, ne sont pas assez sensibilisés par les bailleurs sociaux. Autre révélation du sondage : Les 16-29 ans représentent la catégorie la moins sensible aux questions de déchets. « Quand ces jeunes arrivent dans l’autonomie, ils oublient ce qu’ils avaient appris au niveau scolaire », déplore Nicolas Péhau.
Alors que le coût de traitement des déchets est plus élevé que la moyenne nationale, la CRC est consciente que la « fiscalité déchet » est à son maximum. « Les dépenses réelles des déchets sont supérieures à l’impôt prélevé. Mais on voit mal comment on peut encore augmenter des impôts. Ça risquerait de favoriser les décharges sauvages, les mauvais comportements », relève le président de la CRC qui en appelle à des expérimentations locales de « taxes incitatives ».
« Battre le fer tant qu’il est chaud »
Le rapport relève aussi que les collectivités ne jouent pas toujours le jeu pour faire payer les commerçants ou les acteurs économiques pour le traitement de leurs déchets : « Ce n’est pas aux citoyens et à l’impôt de payer pour l’activité économique. » Il recommande enfin de généraliser les zones de réemploi dans les déchetteries et de créer un guichet unique pour faciliter la labellisation des réparateurs.
Le rapport « déchets » ne s’est pas voulu « accusateur », il n’a pas recherché les « irrégularités » comme le font les rapports habituels et s’est concentré sur des recommandations pour améliorer les performances. Il reconnaît les spécificités du climat tropical qui rend la question plus épineuse. Il relève les « échecs » pour le traitement des bio-déchets ainsi que « la question des déchets dangereux qu’on doit renvoyer vers l’Europe avec le coût du transport maritime ».
Au bout du compte, Nicolas Péhau salue cette démarche d’évaluation innovante : « C’était très stimulant intellectuellement. On a créé un comité d’accompagnement avec des universitaires, des associations, l’ARS. On leur a soumis nos méthodes. On a quand même payé avec de l’argent public un institut de sondage auprès de 1 000 Réunionnais. » L’étude, financée par la Cour des comptes, permettra-t-elle de mettre tous les acteurs concernés au diapason. En tout cas la CRC va saisir la Région pour présenter le rapport devant la Commission consultative d’élaboration et de suivi du plan régional de prévention et de gestion des déchets : « On va battre le fer tant qu’il est chaud », conclut-il.
Franck Cellier
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