[Run’Eva] Marché conclu pour ces très chères poubelles du Sud et de l’Ouest

470 MILLIONS D’EUROS POUR FINIR ET EXPLOITER RUN’EVA

Bonne nouvelle : Ileva vient de conclure un nouveau marché pour la construction du « pôle de traitement des déchets du Sud et de l’Ouest ». Mais ça va coûter plus cher que prévu. Le syndicat des déchets s’explique sur 200 M€ de surcoûts et de nouveaux coûts et présente le chantier.

Il n’y a pas de chantier sans aléas. La construction de Run’Eva, « pôle de traitement des déchets du Sud et de l’Ouest », soient 60% des déchets de La Réunion, en est la parfaite illustration. L’entreprise qui avait remporté l’appel d’offres en décembre 2018, la CNIM (ex-Constructions navales et industrielles de la Méditerranée), a abandonné le chantier en juin 2022 pour cause de faillite et a été liquidée en septembre 2022

Afin de poursuivre les travaux déjà bien avancés, le maître d’ouvrage Ileva (syndicat mixte de traitement des déchets de la Civis, du TCO et de la Casud) a organisé la coordination des 7 sociétés cotraitantes (Spie Batignoles, GTOI, Colas, Bollegraaf, Naldeo, Architrav et Ateliers architectes). « Le chantier s’est arrêté de manière très violente et dans un contexte extrêmement complexe, on a fait le choix de continuer, explique Mireille Maillot, directrice générale d’Ileva. L’arrêt aurait eu un impact économique important pour les quelque 100 sous-traitants du marché et les quelque 300 employés concernés. » En plus, telle une épée de Damoclès les menaçant de sanctions financières, les collectivités ont obligation d’arrêter d’enfouir les déchets.

Il fallait aussi et surtout trouver un remplaçant à la CNIM, seul spécialiste du groupement pour construire une UVE (Unité de valorisation énergétique, c’est-à-dire l’incinérateur) et pour exploiter l’ensemble de l’outil multifilière (réception, tri, Méthanisation, production d’électricité).

La démarche a été fastidieuse. Ce n’était pas gagné d’avance car une seule offre a été déposée et il faut se souvenir que la Paprec, repreneur de la CNIM, avait dans un premier temps refusé de poursuivre le contrat réunionnais. La bonne nouvelle est tombée cette semaine avec la publication de l’avis d’attribution du marché à Paprec Energies.

200 M€ de nouveaux coûts et surcoûts

Le n°3 français de la valorisation énergétique et du traitement des déchets a donc renégocié le contrat de 2018 et il apparaît, à la lecture du nouveau contrat, d’importants surcoûts. Le marché conclu, en quatre phases de travaux, s’élève au total à 470 M€, sachant qu’à la livraison de ce qu’y a déjà été réalisé (mi-2024), la collectivité a déjà engagé 175 M€. . Ce qui porte le coût prévisionnel global de Run’eva à 645 M€. Comparé au 400 M€ du marché initial, la rallonge dépasse les 200 M€.

« Mais il ne faut pas faire l’addition comme ça, tempère Mireille Maillot. Car le projet initial a évolué, ce qui fait qu’en plus de l’inflation et de la situation en Ukraine provoquant des surcoûts des matériaux et du transport, la sécurisation des process vient justifier cette augmentation. Il s’agit davantage de nouveaux coûts que de surcoûts. »

Pour être plus précis, il faudra autonomiser le centre de tri pour qu’il puisse fonctionner d’ici un an dans l’attente de l’UVE dont la livraison est désormais programmée pour novembre 2026. Paprec a modifié le Process de méthanisation par rapport au projet initial. Tous les équipements déjà achetés pour l’incinérateur sont repris mais les coûts de stockage prolongé et de transports ont « explosé ». Et le coût des équipements restant à acquérir a fortement augmenté en six ans. La sécurité incendie a également été améliorée.

Stabiliser la taxe d’enlèvement des ordures ménagères

« On ne peut pas dire qu’on paie 200 M€ de plus pour un même marché, insiste Mohammad Omarjee, vice-président d’Ileva. On a un marché qui s’est arrêté. On a continué seul et on a lancé un nouveau marché avec un nouveau process. On n’a pas perdu d’argent. Chaque euro dépensé est récupéré. On est resté maître de notre destin depuis la liquidation de la CNIM. A aucun moment Ileva a été en position de faiblesse pour négocier. On avait toujours moyens de relancer le marché si la proposition du candidat ne correspondait pas à nos attentes. »

Du point de vue de l’habitant, qui paie sa taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), est-ce que Run’eva va lui coûter plus ou moins cher que l’actuelle montagne de déchets enfouis qui s’élève à Pierrefonds ? Tel que présenté par Ileva, l’équilibre économique du projet est trouvé grâce à la valorisation énergétique et le recyclage de la majeure partie des déchets.

La directrice d’Ileva Mireille Maillot, le vice-président Mohammad Omarjee et le chef de projet Run’eva Eddy Lebon.

Comme expliqué dans la vidéo de visite du chantier, aujourd’hui 240 000 tonnes de déchets sont enfouis chaque année à Pierrefonds. Avec Run’eva, l’enfouissement des déchets ultimes issus de l’incinérateur et des méthaniseurs sera limité à 45 000 tonnes par an. La valorisation des 200 000 autres tonnes va donc générer des recettes censées « stabiliser la TEOM »… « à condition que l’usager fasse l’effort de réduire sa production de déchets à la source », prévient Mireille Maillot.

Une première en France

Les élus de la Civis, du TCO et de la Casud, sont allés négocier à Paris le prix de rachat de l’électricité que produira l’UVE de Run’eva avec la présidente de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Selon Mohammad Omarjee, tous les acteurs sont aujourd’hui d’accord pour une revalorisation de ce prix afin d’équilibrer financièrement le projet.

Comparaison n’est pas raison… pour autant, comparé à la Nouvelle Route du Littoral, dont le chantier est bel et bien à l’arrêt — et pour longtemps — ou au traitement des déchets du Nord et de l’Est qui produit des CSR (Combustible solide de récupération) sans les valoriser, le pôle Run’eva tient finalement la corde pour être la première usine de France à fabriquer des CSR à base d’ordures ménagères et à les transformer en électricité sur le même site.

Mais il aura fallu au moins dix ans, entre l’appel à projets, en 2016, et la mise en route de l’usine complète espérée fin 2026. Dix ans de débats et d’aléas pour une solution qui n’est finalement que partielle tant la production de déchets demeure un casse-tête réunionnais, voire un constat d’échec puisque chaque habitant continue à en produire toujours davantage en dépit des affichages et des objectifs légaux.

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.